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Bon, je ne vais pas me faire beaucoup d’amis avec ce billet, si j’en crois l’enthousiasme ambiant autour du film que je m’apprête à aborder. Oyez oyez, cher amateurs de cinéma, j’ai un film à vous conter. Un film que j’aurais aimé admirer autant que celles et ceux qui l’avaient vu avant moi et m’avaient laissé entrevoir une œuvre qui les avait touchés en plein cœur. Le genre de film qui se trouve quelque peu délaissé par la critique mais que le public s’approprie (le taux de remplissage des quelques salles projetant le film en atteste). Un film sur la jeunesse, ô jeunesse qui fait s’enflammer le spectateur et fait fleurir les « Ce film, c’est moi, c’est comme si le réalisateur avait lu dans ma tête » et autres « Tu peux pas comprendre ! » à ceux qui leur répondent « Bof ». Le genre de film qui exacerbe l’identification qui peut s’en dégager.
Ce film c’est donc « Le monde de Charlie » - horrible titre français qui pourrait s’appliquer à tellement d’autres et perd la poésie et le mystère de l’original « The perks of being a wallflower » - première réalisation de Stephen Chbosky, qui porte là lui-même son roman à l’écran. Passez votre chemin si vous n’avez pas encore vu le film et comptez y jeter un œil. Peut-être même feriez-vous bien de passer votre chemin si « ce film, c’est vous », parce qu’il se peut que vous ayez envie de m’insulter à la lecture de ce billet, voire pire, de me lancer un cinglant, parlant, et définitif « Tu peux pas comprendre ». Mais je ne peux me taire, j’ai envie de dire ce que j’ai vu dans « Le monde de Charlie ».
Je tiens à préciser, avant que vous ne vous apprêtiez donc à me lancer « Tu peux pas comprendre », qu’à la base, je peux comprendre. Sur le papier, un personnage comme Charlie, je devrais le comprendre. Moi aussi j’ai été un ado dans les années 90, moi aussi j’aime la musique spleen, moi aussi j’étais un grand timide et je n’osais pas dire à une fille qui me plaisait qu’elle me plaisait, moi aussi j’ai été le p’tit nouveau qui a du mal à se faire des amis. Si vous avez sûrement compris maintenant que « Le monde de Charlie » m’a amplement déçu, comprenez bien que cette déception tient dans la promesse, dans le potentiel, dans le fait qu’il y avait derrière ce film quelque chose qui aurait pu me toucher comme il a touché tant de monde.
Le cinéma m’a pourtant appris depuis longtemps qu’il faut plus qu’un personnage sensé me toucher sur le papier pour que tout coule de source. J’attendais un regarde unique sur l’adolescence, j’attendais les rêves et les espoirs, j’attendais la joie et la tristesse, j’attendais de l’audace, du punch, j’attendais cette étincelle. Qui n’est pas venue. Qu’ai-je vu ? J’ai vu un film maladroit. C’est une chose la maladresse, elle peut même ne pas empêcher la grandeur. C’est quoi, en somme, « Le monde de Charlie » ? Idéalement, ce serait l’histoire d’un ado qui commence le lycée, un petit timide intelligent qui trimballe suffisamment de casseroles personnelles pour avoir du mal à être à l’aise et s’intégrer, et trouve l’amitié auprès d’une bande de marginaux un peu plus âgés qui vont l’aider à s’assumer.
Pourquoi pas. C’est le film que j’attendais, j’étais prêt à me plonger dedans. Le problème c’est que je n’ai jamais pleinement réussi à me plonger dedans. Parce que je n’ai jamais vraiment cru aux personnages, parce que cinématographiquement, c’est un beau bordel. Chbosky est un écrivain, et cela se ressent à chaque minute qui passe dans le film. Certains auteurs ont su se glisser dans la peau de cinéaste sans difficulté, Chbosky a du mal à se dépêtrer des différences narratives entre un roman et un film. Malgré une nette tendance à laisser un morceau de musique et des images exprimer des sentiments, Chbosky surutilise la voix-off. Il Elle inonde le récit et raconte tout, même ce que l’on ne voit pas, même ce dont on pourrait se passer, comme s’il n’osait pas couper. Mais ce n’est pas de la voix-off dont je voulais particulièrement parler. Elle n’arrange certes rien à l’affaire, mais c’est presque un détail.
Je voulais parler de ces personnages auxquels je ne suis pas parvenu à m’attacher. Charlie, Patrick et Sam, deux garçons, une fille. Chbosky a du mal à définir ses personnages. Ce sont des jeunes intelligents et incompris, marginaux mais branchés. Ils ont un goût musical pointu, ils ont des critères qui ne vont pas dans la norme, ils aiment les Smiths et Nick Drake. Ok. Vous allez me traiter de pinailleur, mais c’est un détail qui compte, alors pourquoi diable, après les avoir définis comme des amateurs éclairés de musique, qui connaissent les groupes qui compte et le disquaire branché, pourquoi diable les montrer entendant à la radio « Heroes » de David Bowie et les faire dire, l’air de débarquer de Mars : « Oh mon Dieu, mais c’est génial ! C’est qui ? C’est quoi ? ». Hein ? Quoi ? Pardon ? Non seulement ils ne connaissent pas une des plus célèbres chansons de Bowie, mais ils ne reconnaissent pas sa voix ? Donc ils ne connaissent pas Bowie, sauf peut-être de nom ? Ne me dites pas « Oh mais faut pas s’arrêter à ça ! », franchement, je suis obligé de tiquer là-dessus. C’est impossible. Le réalisateur n’a pas pu passer les 20 minutes précédentes à nous montrer à quel point les personnages étaient habités par la musique et connaissaient tout ce qu’il y avait d’important à connaître pour ensuite les faire passer pour trois neuneus découvrant l’existence de David Bowie.
Alors forcément, à partir de là, j’ai commencé à ne plus croire à ces personnages qui ne me semblaient plus faits de chair et d’os, mais les simples pantins d’un scénario bancal. Et ces personnages auxquels j’avais commencé à m’identifier, je m’en suis détourné. J’ai vu une foire au misérabilisme déguisée derrière un « coming of age movie », comme on dit à Hollywood. Tout cela n’a plus été à mes yeux qu’un drame de la bourgeoisie américaine, les adolescents dans leurs grandes maisons cossues auxquelles il arrivait tous les malheurs du monde. Le drame de Patrick ? Le garçon qu’il aime et avec qui il sort en cachette le méprise en public et se fait tabasser par son père lorsque celui-ci les surprend ensemble. Le drame de Sam ? Elle ne tombe jamais sur le bon garçon, et cela depuis toute petite puisque, comme elle le révèle au détour d’une conversation jusqu’ici gentillette à Charlie, elle s’est faite abusée à l’âge de 11 ans par le patron de son père. Mais Charlie la comprend, puisqu’il lui dit dans la foulée qu’il a vécu la même chose.
Ah bon ? Il a donc lui aussi été abusé sexuellement dans son enfance ? Ok, ça doit être ça les flash-backs incessants vers sa tante décédée, souvenirs qui l’obsèdent. Mais en fait, il ne s’en souvient réellement que plus tard, lorsque Sam lui caresse la cuisse, geste qui lui rappelle la tendresse trop prononcée de sa tante à son égard. Là c’est la révélation, mais comme Charlie avait glissé ce « J’ai vécu la même chose » 30 minutes plus tôt, on avait déjà compris. Mais Charlie lui n’avait pas compris, et part faire un séjour à l’hôpital. D’autant que, autre traumatisme, six mois avant qu’il ne rencontre Sam et Patrick, le meilleur ami de Charlie s’était suicidé (je sais ça fait beaucoup pour un jeune lycéen mais c’est comme ça).
Heureusement, le petit Charlie, ce freshman tout juste arrivé au lycée, trouvera un beau réconfort puisqu’il emballera tout de même deux seniors pendant sa première année de lycée. Aux États-Unis, le lycée c’est quatre ans, donc pour mieux comprendre ce qu’est un freshman et ce qu’est un senior il y a un écart de trois ans entre les nouveaux, comme Charlie, et les anciens qui ont la fac en ligne de mire, comme Patrick et Sam. Cela a fini de rendre les personnages moins crédibles à mes yeux, puisque le petit timide de 15 ans (équivalent d’un élève de 3ème chez nous) mal dans sa peau couche finalement avec deux terminales de 18 ans.
Alors oui, il y a quelques beaux éclats dans « Le monde de Charlie », il y a Ezra Miller, jeune acteur toujours fantastique qui campe Patrick, et globalement les acteurs relèvent le niveau. Mais ce qui s’annonçait comme un regard singulier sur l’adolescence s’est avéré à mes yeux comme une accumulation de clichés (j’ai précisé que Charlie s’entendait super bien avec son prof de lettre qui le comprenait si bien et l’encourageait à écrire et lui faisait lire ses bouquins préférés ?) souvent peu crédibles. Oui, il y a un peu de moi dans Charlie, sur le papier c’est évident. Mais cela en fait-il un film qui me touche ? Pas vraiment non. Alors ne me dites pas « Tu peux pas comprendre », parce que ça me fait sourire.