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Idéologie et réalisme?
Nouvelle pierre à l'édifice des désaccords entre la France et la Commission européenne, le dossier des tarifs réglementés d'électricité cristallise un antagonisme déjà ancien sur la libéralisation des services publics. Attaqué par la Commission, l'ancien système des tarifs, outil de régulation du monopole censément obsolète à l'heure de l'ouverture des marchés, semble pourtant avoir trouvé une justification renouvelée en permettant aux consommateurs français de se protéger contre l'augmentation des prix de l'électricité à l'échelle européenne
Par Ivoa Alavoine et Thomas Vayrenc
(Selection RELATIO sur la Fondation Schuman)
Thomas Veyrenc : Ingénieur Supélec, MSc University College London, et diplômé de l'Institut d'Etudes politiques de Paris, il travaille dans l'industrie électrique. Il est maître de conférences à Sciences-Po Paris (économie). UNE BATAILLE JURIDIQUE ET POLITIQUE Confusément assimilé à la notion de service public alors qu'il constitue un outil de politique industrielle, défendu vigoureusement par les parlementaires français en dépit des exigences constitutionnelles et communautaires, le système tarifaire permet pour l'heure aux consommateurs de capter une rente nucléaire qui, sans cela, (re)tomberait dans le patrimoine de l'opérateur historique. Aussi, il est permis de douter que la seule évocation de l'idéal européen ou des mérites supposés de la concurrence suffise à convaincre la France d'abandonner d'elle-même un système qui l'a si bien servie, en lui assurant des prix très compétitifs. Dès lors, l'éventuelle suppression à terme des tarifs pourrait être le fruit d'une décision de justice, politiquement explosive.
Alors que la France, qui exercera au second semestre la présidence de l'Union européenne, a placé le dossier énergétique au rang de ses priorités, un conflit important l'oppose à la Commission européenne sur la question des tarifs réglementés nationaux de fourniture d'électricité. Outil de politique industrielle autant que mécanisme de partage de la rente nucléaire au profit des consommateurs nationaux, le système des tarifs cristallise l'ambivalence de la position française par rapport à l'ouverture des marchés, et la difficulté de la Commission à convaincre du bien-fondé de la libéralisation un pays dont le modèle antérieur, bien que monopolistique, était perçu comme très performant. Malgré l'ouverture du marché, les tarifs réglementés, tardivement assimilés à un "service public à la française" et défendus selon cette ligne n'en finissent pas d'être prolongés, alors que la Commission les juge contraires au droit communautaire et préjudiciables à la construction du marché unique, et en demande de ce fait la suppression... Ce qui inspirait à Marcel Boiteux, dans un article sur les ambiguïtés de la libéralisation du secteur de l'électricité en France [, ce savoureux paradoxe : "avec la suppression des tarifs régulés que demande Bruxelles, il ne s'agit donc plus, comme on pouvait le croire initialement, d'ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d'élever les prix pour permettre la concurrence". A LIRE >>>>