Comme j’ai pu l’écrire, et comme l’a fort bien expliqué le Pr. Naudet, l’année 2013 s’annonce économiquement et politiquement très difficile. Certains, loin d’être lucides, préconisent des solutions radicales, comme annuler la dette ou autres catastrophes économiques aussi populaires que populistes. Deux pays peuvent cependant servir à éclairer notre réflexion à ce sujet : l’Islande et la Chine.
Pour l’Islande, le plus délicat consiste à faire la part des choses, et à déterminer, du flot plutôt ténu d’informations qui nous parvient de cette petite île, ce qui s’y passe exactement et le bilan objectif qu’on peut tirer des expériences qui ont été menées.
On m’a à ce sujet fourni l’adresse du blog de Baldur Bjarnason, dans lequel il a écrit un billet assez long et argumenté dans lequel il revient en détail, justement, sur les différentes rumeurs et informations plus ou moins biaisées qu’on entend sur son pays et il tente de fournir un état des lieux. Par exemple, on trouve assez facilement des billets nous expliquant que les Islandais, lessivés par la crise des subprimes et le carry trade qu’ils avaient mené avec des banques anglaises, ne se sont pas laissés faire. Sur Agoravox, on brosse à gros pinceaux un tableau très optimiste :
« Le bilan est donc positif, 3 ans après la faillite, l’Islande se porte encore une fois comme un exemple pour le monde. »
Sur des médias un peu plus sérieux, le bilan est décrit de façon plus contrasté, mais le chapeau de l’article laisse place à un optimisme franc et massif :
« En quasi-faillite il y a trois ans, le pays a refusé de renflouer ses banques et de régler ses dettes, à contre-courant de ses voisins européens. Un pari osé mais payant : la croissance sera de 3 % en 2012. »
Cependant, d’après notre blogueur Baldur, il est nécessaire de revenir sur ces bonnes nouvelles. La réalité est, comme toujours, bien moins rose et plus difficile à vendre dans des journaux et des sites plus attirés par la quantité que la qualité. Ainsi, lorsqu’on lit que l’Islande aurait envoyé paître ses créanciers et le FMI, Baldur rappelle qu’il n’en est rien : le pays a bien suivi les recommandations du FMI à la lettre, et a même souvent été plus loin que ce que l’institution internationale lui demandait. Quant à ses créditeurs bancaires, elle ne les a pas envoyé promené, elle s’est simplement retrouvé dans la position de faillite qui l’a empêché, concrètement, de les rembourser : le rapport de la Commission Spéciale d’Enquête explique bien que le gouvernement aura absolument tout tenté pour sauver les banques, y compris demander des prêts intenables pour pouvoir rembourser les dettes contractées. Et si quelques banques ont dû s’asseoir finalement sur certaines dettes, cela est plus dû, selon Baldur, à l’incompétence du gouvernement qu’à une quelconque volonté de ne pas rembourser.
Un gouvernement incompétent… Est-ce si difficile à croire ?
Pour ce qui est de la « nationalisation des banques », cela s’est fait de bien piteuse manière : rapidement nationalisées, les trois banques les plus en difficulté ont été re-privatisées en temps record, et sont maintenant la propriété des créditeurs. Autrement dit, les banques islandaises sont maintenant la propriété d’étrangers. Plus intéressant encore, la description par le blogueur de la façon dont une partie de la dette a été « effacée » (celle des prêts portés par du carry trade) permet de bien se rendre compte que les Islandais sont toujours dans un marécage légal. Et que l’autre partie de la dette, assise sur l’inflation, est loin d’être annulée, d’autant que cette inflation n’est pas nulle, et ne l’a jamais été. Pire : l’effort d’annulation de la dette ayant porté sur les emprunts les plus risqués (en carry trade), ce sont ceux qui ont pris le plus de risque qui se retrouvent avec le moins de dette.
Quant à la reprise économique souvent vantée, … elle est anémique pour le dire pudiquement : avec une inflation actuellement à 4% pour 2012 (inflation sur laquelle sont assis nombre d’emprunts, je le rappelle) et une augmentation du PIB de 2.7%, l’Islande fait, au mieux, du surplace (merci d’aller lire le paragraphe correspondant, détaillé, dans le billet du blogueur). Concrètement : les Islandais s’appauvrissent.
Bref : les « solutions » prônées par certains, solutions qui consistent à laisser filer la monnaie, ne pas rembourser la dette ou nationaliser les banques ont été tentées dans cette île, et très clairement, elles ne satisfont qu’une petite minorité fort vocale sur les bienfaits récoltés. Du reste, on ne s’étonnera pas de savoir que le gouvernement islandais est socialiste.
De l’autre côté de la planète à présent, regardons ce qui se passe en Chine.
C’est intéressant à plus d’un titre et notamment par le fait que le pays est dans une position diamétralement opposée à celle de l’Islande : il est massivement créditeur, dispose d’une croissance qui, si elle a été plus forte il y a quelques années, n’en reste pas moins supérieure à la croissance moyenne en Europe, et de très loin.
Devant ces constats, la Chine est souvent présentée comme l’exemple type de capitalisme turbolibéral, l’image ne s’embarrassant pas du régime politique clairement dictatorial, de l’absence de liberté d’expression et de la censure massive qui l’accompagne, et de la structure même du capitalisme en place dont on peine à dire, sans une mauvaise foi bien altercomprenante, qu’il puisse être néo, ultra ou turbolibéral.
C’est à ce sujet que je voudrais vous faire part d’un lien fourni par un lecteur : dans cet article d’un magazine anglo-saxon obstinément versé dans le journalisme d’investigation (par opposition à la presse française, mollement accoudée au bar/PMU du Copier-Coller), on découvre une corrélation — pas très étonnante — entre l’entregent des dirigeants d’entreprises chinoises vis-à-vis du pouvoir politique et le nombre de morts dans leurs entreprises. Surprise : plus un patron est « connecté », c’est-à-dire mieux il connaît les rouages du pouvoir et les « bonnes » personnes pour s’éviter les ennuis, plus son entreprise pourra enregistrer d’accident tragique au cours de son année. Inversement, moins il est connecté, plus l’entreprise sera sûre pour ses employés.
Eh oui : le capitalisme de connivence, caractéristique typique d’un état centralisateur fort, d’une corruption importante et d’une éthique faible dans le milieu des affaires, ce capitalisme là tue. Dans nos démocraties, cela se traduit plus indirectement, de façon diffuse, par des décisions hermétiques ou arbitraires, mais le mécanisme est le même. D’ailleurs, le travail qui a été fait par Fisman et Wang pourrait être fait dans d’autres pays et il n’y a guère à parier que la tendance serait la même.
Tout indique que la Chine s’approche du moment où elle va clairement adosser son Yuan à l’or, et ce d’autant plus facilement que cette manœuvre aura l’assentiment tacite (et joyeux) des américains et des européens, trop contents de voir s’évaporer leur monnaie et les dettes qui y sont attachées. Évidemment, un tel changement international ne serait pas sans conséquences extrêmement douloureuses pour toute une population baignée de dettes et d’habitudes économiques inappropriées (crédit facile, état social disproportionné, etc…).
Au vu de ces éléments, on comprend que les solutions prônées par ceux qu’on entend le plus dans les médias, dont la démagogie s’y dispute souvent à la plus crasse des ignorances en matière d’économie de base, ont déjà été testées par d’autres, que les lieux communs sur les « réussites » économiques cachent souvent des réalités si nuancées qu’elles viennent contredire les belles évidences qu’on veut nous faire gober.