Devant la menace d’un effondrement de l’Etat malien face à une nouvelle attaque des groupes terroristes (AQMI, Ansar Dîn et MUJAO) qui, après avoir éliminés les partis touaregs, occupent la partie septentrionale du pays depuis mars 2012, la France a décidé d’intervenir, le 11 janvier 2013, en s’appuyant sur la résolution 2085 votée à l’unanimité, grâce aux efforts du Maroc, au conseil de sécurité des Nations-unies, le 19 décembre 2012.
Crédit photo : ECPAD, Sirpa Terre
En effet, profitant de la lenteur à mettre en place une force de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et des atermoiements de certaines Etats, les groupes terroristes marchaient sur la bourgade de Mopti. La chute de cette localité stratégique pouvait leur ouvrir la voie vers Bamako avec pour résultat l’effondrement de l’Etat et une "somalisation" du Mali. Il n'était évidemment pas possible de laisser se développer aux portes de l'Europe un État terroriste acoquiné avec les narcotrafiquants et toutes sortes de mafias.
Il convenait donc de répondre, sans tergiverser, à l’appel au secours des autorités maliennes. Sur ce pont, la position claire de la France au service de la légalité internationale tranche avec les attitudes mitigées et pour tout dire fort peu compréhensibles d’autres pays. En tout cas, l’intervention française au Mali a fait trois victimes collatérales.
D’abord l’Algérie qui est désormais réduite à faire le grand écart en prenant acte de l’intervention française alors que la presse algérienne n’a pas de mots assez durs contre le prétendu néocolonialisme de Paris. A vrai dire, la dégradation de la situation a montré l’inanité de la tactique consistant à privilégier une bien hypothétique négociation avec des mouvements ou des individus susceptibles de se dissocier des groupes radicaux. Ce comportement, motivé par le souci d’exporter ses problèmes vers la zone sahélienne et encouragé par les États-Unis, a conduit l’Algérie à faire de l’agitation médiatique autour d’une vague déclaration de dirigeants de troisième zone d’Ansar Dîn. De téméraires experts déclaraient alors à l’instar de Mathieu Guidère sur le site du Figaro : "Il existe d'autres moyens d'agir (qu’une intervention militaire). D'autant qu'Aqmi montre des signes de dissensions internes importantes. L'Algérie, seul pays à détenir les moyens et l'expérience pour mener une telle intervention, y est hostile et mise sur une solution politique". Le même croyait pouvoir ajouter que la France aurait fait preuve "d'un activisme étonnant et ce serait "enfermée dans une logique infernale" !
En réalité, il s’est avéré que la logique infernale n’était pas du côté de Paris. En effet, il est maintenant incontestable que l’option algérienne n’était que de la poudre aux yeux. Cela est d’ailleurs patent depuis qu’Ansar Dîn avait désavoué les quelques individus recyclés par Alger et que les groupes terroristes avaient accentué leur menace sur l’ensemble du Mali. Plus encore, la bien singulière prise d’otages occidentaux dans un très important site gazier algérien, les 16-17 janvier 2013, vient rappeler que l’Algérie reste la matrice des mouvements terroristes. En même temps, les derniers événements au Mali ont sonné le glas du fantomatique Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), créé en 2010 avec le Mali, le Niger et la Mauritanie et basé à Tamanrasset, pour "mener des opérations de localisation et de destruction des groupes terroristes". Or, depuis le déclenchement des opérations des groupes terroristes au nord Mali, le fameux comité est entré en hibernation.
De fait, le fiasco du CEMOC est aussi celui des Etats-Unis qui avaient cru pouvoir compter sur l’Algérie pour sécuriser la région. Voici donc la deuxième victime de l’affaire malienne : comme le notait le New York Times du 13 janvier, l’échec des Etats-Unis au Sahel est cuisant. Tout aussi désireux qu’Alger de sortir les pays du Sahel de l’influence de la France, les Etats-Unis avaient donné leur bénédiction au feu CEMOC et financé et organisé l’armée malienne. Or, ce sont les unités formées par les Etats-Unis qui, pour les unes, ont fait le coup d’Etat du 22 mars 2012 ou, pour d’autres, se sont débandées face aux combattants d’AQMI, du MUJAO et d’Ansar Dîn, quand elles ne sont pas passées à l’ennemi avec armes et bagages !
Le seul résultat des stratégies compliquées d’Alger et de Washington aura été de bloquer le rôle de la CEDEAO et laisser les groupes terroristes organiser et préparer une offensive que seule la France a pris la décision d’arrêter. A cet égard, il est notable que Paris n’a pas reçu dans cette affaire le soutien qu’on aurait été en droit d’attendre des partenaires européens.
Voici bien la troisième victime du conflit, une "union" européenne qui a montré une fois encore qu’elle n’a aucune diplomatie cohérente, ni aucune unité puisqu’elle est incapable de manifester la moindre solidarité avec le seul pays qui s’engage résolument pour éviter le chaos aux portes de la Méditerranée méridionales. L’attitude de l’Allemagne est particulièrement ambiguë, surtout si l'on considère que la presse d’outre-Rhin a eu des accents francophobes rappelant curieusement ceux de la presse algérienne. En fait, la seule nation à apporter un soutien moins ambigu est la Grande-Bretagne, qui, il est vrai, est fort peu européenne…
La leçon de cette crise est que, face au terrorisme et aux risques de déstabilisation de la zone saharo-sahélienne, il faut des orientations claires et des moyens militaires efficaces. Il faut également une bonne connaissance des réalités locales et choisir de coopérer en priorité avec ceux des acteurs régionaux qui sont loyaux, crédibles et dénués d’arrière-pensées plus ou moins sordides. Il faut enfin une véritable proximité et une amitié sincère pour le monde africain. C’est en réunissant toutes ces conditions que la France a pris ses responsabilités. N’en déplaise aux habituels détracteurs d’une diplomatie française dynamique, il faut s’en féliciter.
Charles SAINT-PROT
Directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques