Sur ce schéma, s'en suivra une longue attente, si longue, de l'aspirant écrivain, ponctuée de lettres de refus, plus ou moins convaincantes, encourageante parfois malgré le refus poli en guise de conclusion. Et encore, même lorsque le contact est enfin établi avec un éditeur, parce que par chance quelqu'un a lu votre prose et l'a appréciée, il faut s'armer de patience, toujours la patience jusqu'à plus soif…
Il y a beau en avoir vu de toutes les couleurs, avoir écrit 62 livres signés par d'autres, Dan Franck n'en revient toujours pas: il y a quelques années, le hasard a fait qu'il s'est retrouvé dans la même émission que son « client », un magistrat qui publiait des Mémoires que lui avait rédigés. «Je vous assure, raconte Dan Franck, que j'avais écrit son ouvrage de la première à la dernière ligne. Alors, quand j'ai entendu ce magistrat déclarer: “J'ai rédigé ce livre à la sueur de mon front, j'ai vécu les affres de la création”, je n'ai pas pu m'empêcher de marquer mon étonnement… Heureusement que la caméra n'était pas tournée sur moi. » Aujourd'hui, Dan Franck n'écrit plus pour les autres. La dernière commande qu'il a honorée est un récit signé Zidane, en 1999. Le champion du monde de football a insisté pour que son apparaisse sur la couverture. Un geste élégant, et exceptionnel. On murmure que l'écrivain aurait également travaillé pour Rika Zaraï, Bokassa, Frédéric François, Linda de Souza...
C'est qu'il s'établit un drôle de rapport entre le et le client. Catherine Siguret (35 livres écrits pour les autres en une dizaine d'années, aussi bien des anonymes que des stars de la télé ou de la chanson: Lorie, Gérard Louvin, Julien Courbet, Claudia Schiffer…) résume la relation ainsi: «Le client commence par vous dire “votre livre”, ensuite “notre livre” et ça s'achève par “mon livre”.»
La méthode de travail, aussi, est surprenante. Les s sont capables d'écrire trois cents pages en deux ou trois mois, dotés du don de broder à partir des notes prises avec un client qu'ils n'ont vu, la plupart du temps, que quelques heures. «En dix heures, on y arrive; en quinze, c'est bien; en vingt, c'est idéal», résume Dan Franck. Kervéan se compare à un « interviewer massif ». Pour preuve de son implication, il demande le tiers des droits d'auteur de celui qui signe le livre.
Ce rapport ambigu provoque nécessairement des tensions. Jean-François Kervéan n'a pas apprécié qu'Hervé Vilard déclare, avec un certain mépris, que son n'était qu'un collaborateur ayant apporté des petites retouches à son texte, des «coutures», selon ses termes. Alain Dugrand a riposté vertement quand Mgr Gaillot, convaincu de plagiat, a dénoncé son . S'ils n'ont pas d'ego, les s ont de l'amour-propre.
Ils font un métier risqué, le danger pour eux est de sacrifier leur propre talent de créateur. Un écrivain comme Lionel Duroy, de nombreux people (Bigard, Nana Mouskouri, Sylvie Vartan, Mireille Darc…) ou Anne Bragance (qui travailla pour Michel de Grèce) l'ont fait au détriment de leur œuvre. D'autres sont sortis sains et saufs de l'aventure. Max Gallo qui écrivit pour Martin Gray Au nom de tous les miens, François Furet pour Edgar Faure, Erik Orsenna ou Patrick Rambaud qui ont décroché le Goncourt sous leur nom.
Source : Mohammed Aïssaoui 03/04/2008