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La salle de ce théâtre des Amandiers à Nanterre est grande. Il y a pas mal de monde quand je considère les températures négatives qui ont éprouvé nos motivations respectives pour venir voir cette pièce adaptée du roman d'Alaa El Aswany, à savoir Chicago. Le titre de la pièce mise en scène par Jean-Louis Martinelli renvoie, pour ceux qui connaissent la production du romancier égyptien, à un recueil de nouvelles. Mais c'est bien Chicago qui est la toile de fond de cette pièce. Un étudiant égyptien obtient une autorisation, après d'âpres discussions au niveau d'un jury d'enseignants, pour venir poursuivre ses classes dans une grande université de Chicago. Naguib est un activiste gauchiste et patriote qui rêve de se consacrer à la littérature et qui tente de trouver par le biais d'un cursus en histologie le moyen de trouver un emploi à venir qui pourra soutenir sa passion pour l'écriture. Mais, dès ses premiers contacts à Chicago, il retrouve Danana, un collaborateur du régime du Raïs qui fut à l'origine de ses incarcérations en Egypte.
La pièce commence lentement. Les acteurs semblent un peu se chercher. On cherche de l'oreille les mots de l'acteur qui s'exprime. On entend, mais il faut être attentif. Les lycéens qui constituent une bonne partie de ce public le sont, eux. La polyphonie du roman s'installe avec des alternances de situations, de lieux, de familles. Car la pièce tourne autour de Naguib qui est très rapidement mis en relation avec la communauté égyptienne de Chicago. Coptes, musulmans, félons, barbouzes et patriotes se côtoient et accueillent différemment l' étudiant présomptueux qui n'hésite pas à porter des jugements à l'emporte pièce. Mais aux polémiques politiques et ethniques, succèdent le dialogue intime dans les foyers, l'impuissance sexuelle ici, la violence conjugale par là, les intrigues inhérentes à certains couples mixtes, la religion et la revendication patriarcale du pouvoir sur la cellule familiale.
Le jeu des comédiens s'affine au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Les transitions d'une scène à l'autre sont particulièrement fluides et sont les marques d'une mise en scène soignée et qui fait vivre le texte du roman sur les planches des Amandiers. Les symptômes identifiés en début révèlent au fur et à mesure des maux profonds, la question de l'exil, ce qui poussent les gens à partir, comment la terre d'accueil transforme l'immigrant. Le choix de Chicago est très pertinent car, en dépit du fait que l'arrière-plan est américain, Jean-Louis Martinelli propose au travers du regard nuancé d'Alaa El Aswany une focale sur la condition du nord africain en Occident. Certes, le milieu est élitiste, souvent intégré dans le système professionnel, avec beaucoup de réussite. Une communauté sous contrôle d'un état égyptien policier aux bras tentaculaires, même en terre américaine. C'est une bonne introduction pour la découverte d'un pays complexe comme l’Égypte.
La condition décrite de ces immigrés égyptiens dépasse le cadre de cette communauté. Comme l'abord des questions d'ancrage sur le territoire américain qui sont les mêmes pour beaucoup qui arrivent en France. Les interrogations sur l'éventualité du retour vers une terre où la liberté est l'apanage d'une classe sont universelles.
Bref, je suis conscient que cette chronique n'est pas complète. Mais, si elle vous permet de voir les deux dernières représentations de cette saison, alors ce sera gagné. Je regrette juste un point : l'absence dans le public de celles et ceux dont on mettait en scène leurs histoires singulières : les immigrés.J'aurai voulu être égyptienD'après le roman Chicago d'Alaa El AswanyTexte français Gilles Gauthier
Adaptation et Mise en scène Jean-Louis Martinelli
Avec
Éric Caruso
Laurent Grévill
Azize Kabouche
Mounir Margoum
Luc Martin Meyer
Sylvie Milhaud
Farida Rahouadj
Sophie Rodrigues
Abbès Zahmani