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Pierre Desproges, à plus d’un titre

Publié le 18 janvier 2013 par Savatier

Pierre Desproges, à plus d’un titreLa question de l’intitulation des œuvres d’art, objet d’un précédent papier qui rendait compte de l’excellent essai La Fabrique du titre, fut traitée à sa manière en 1985 et 1988 par Pierre Desproges, dans deux ouvrages, le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis (Editions du Seuil, collection « Point », 143 pages, 5,60€) et L’Almanach (Editions Rivages, épuisé). Il ne s’agissait manifestement pas, pour l’humoriste, de développer une théorie, mais de se livrer à un détournement du titre d’une œuvre picturale, en le déclinant à l’envi sur un mode ludique. Pour autant, au-delà d’un emploi humoristique de la dérision et d’un pur exercice de style, cette approche montrait combien un titre pouvait influencer le regard que porte le spectateur sur l’image qui lui est proposée et orienter l’interprétation qu’il peut en faire.

Cette méthode ne produit guère de conséquence lorsque l’œuvre est universellement connue. Ainsi, en choisissant, pour L’Almanach, le célèbre Guernica de Picasso, Pierre Desproges ne semait pas vraiment le trouble dans l’esprit du lecteur, puisqu’aucun effet de surprise n’intervenait – le lien souvent hilarant entre la toile et le caractère loufoque des titres mis à part. Parmi ceux-ci, figuraient, par exemple : « 3 janvier 1987, bousculade pour la viande aux Restaurants du Cœur », « Brigitte Bardot (à droite) au milieu de ses amies les bêtes », « J’ai guère niqué à Guernica (extrait de "La Vie sexuelle du général Franco") », « La Nativité (par Picasso) entre le bœuf et l’âne gris. On reconnaît de g. à d. : Jésus, Marie Curie, Joseph Staline », Vue du camping "Les Frelons" à Antibes » ou « 6 mai 1861 : ouverture à Chantilly de la première boucherie chevaline ».

En revanche, lorsque l’œuvre choisie se révèle plus confidentielle, moins familière au public, le lien polysémique entre les signifiants proposés et le signifié joue pleinement son rôle : le spectateur, plus ou moins consciemment, subit, dans son appréhension de l’image, l’influence de la légende qui lui est indiquée. Ainsi, dans Le Dictionnaire superflu, figure une toile de Jean-Paul Laurens, L’Empereur Maximilien du Mexique avant son exécution, (1882) conservée au musée de l’Hermitage de Saint-Petersbourg. Moins célèbre que L’Exécution de Maximilien d’Edouard Manet, ce tableau exalte un pathos particulièrement expressif dont se sert Desproges pour accentuer l’effet comique introduit par le caractère ambigu, voire totalement décalé et iconoclaste, des titres qu’il lui attribue – ces derniers étant supposés entretenir une relation avec chaque entrée du Dictionnaire.

Pierre Desproges, à plus d’un titre
Il devient alors très rapidement évident pour l’observateur que, quel que soit la légende proposée, la lecture de l’image diffère en fonction de celle-ci, le caractère plausible de cette lecture dépendant de l’aspect plus ou moins farfelu du texte. A titre d’exemple, à l’entrée « Judaïsme », Desproges livre cette définition : « Religion des juifs, fondée sur la croyance en un Dieu unique, ce qui la distingue de la religion chrétienne, qui s’appuie sur la foi en un seul Dieu, et plus encore de la religion musulmane, résolument monothéiste. » Et, dans la partie supérieure de la page, s’affiche la toile de Laurens, assorti de ce texte : « Pie XII repoussant le juif (Chapelle Sixtine, détail). »

Le tableau de Laurens se trouve notamment défini par les titres suivants, choisis parmi les 53 versions insérées dans le Dictionnaire, correspondant aux 53 entrées qu’il comporte : « Exemple de soutane bleue (ici en noir) », « Essayage de chaussures sacerdotales », « Endivier ruiné par la grande sécheresse de 1864 », « Goering implorant le pardon de l’abbé Lévy », « De gauche à droite : les cinq sens », « Exemple d’autotorture : la génuflexion », « Les Ysopets funèbres de Bossuet bouleversaient Zapata », « Douaumont : saute-mouton devant l’ossuaire », « Les Derniers moments de Jaurès », « Bourgueillais ayant fui le mildiou à Mexico », « Les Notables de Saint-Gilles-Croix-de-Vie surpris par la marée montante », « La Métamorphose de Pancho Villa », « Gambetta (à droite) terrassé par le Chivas Regal ».

Une manière peu conformiste, mais éclairante, d'attirer l'attention sur les enjeux de l'intitulation d'une œuvre et ses conséquences sur le public. 

Illustrations : Pierre Desproges, photographie - Jean-Paul Laurens, L’Empereur Maximilien du Mexique avant son exécution.


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