Metz, de droite à gauche
I. Une gauche conquérante (avril 2012)
II. L’effondrement de la droite (juillet 2012)
III. Une ville française (janvier 2013)
Troisième et dernier temps des analyses sur le basculement de Metz à gauche : le vote des quartiers. Le bond spectaculaire du Parti Socialiste de 2007 à 2012 (+ 60%) s’est en effet accompagné d’une recomposition sociale et géographique majeure de son électorat – recomposition qui pose aujourd’hui question : comment la municipalité -et cela vaut pour toutes les grandes villes- peut elle maintenir le Commun face aux injonctions contradictoires de ses administrés ?
UNE NOUVELLE « COALITION ÉLECTORALE »
En 2007, le PS local tient avant tout par les quartiers nord de la ville1 ; des quartiers populaires, actifs, largement dominés par le salariat d’exécution. Le Parti Socialiste y réalise lors des législatives de 2007 entre 26 et 32% des voix au premier tour. Cela peut paraître peu; à Metz en 2007, c’est beaucoup: partout ailleurs le parti socialiste est contenu en dessous des 25%. Une tête de pont plutôt qu’un fief, donc.
En 2012, toujours au premier tour des élections législatives, le glissement géographique du vote socialiste est net : la tête de pont des quartiers Nord a totalement perdu sa force relative : dans un contexte général de forte progression, c’est ici que les gains en nombre de voix rapportés aux inscrits sont les plus faibles (voir, dans le tableau ci-dessous, le décrochage spectaculaire des Îles au regard de la dynamique des autres quartiers). Une autre formation politique y a pris pied, avec une ampleur pour le moins préoccupante : le Front National. Sa présence, à peu près anecdotique en 2007, est devenue massive en 2012, triplant de volume (de 6 à 18% des voix en moyenne). A Patrotte, le Front National compte désormais plus d’électeurs que l’UMP.
Le coeur socialiste de Metz bat donc ailleurs. Dans le centre historique avant tout2 où se concentre l’offre culturelle et universitaire. C’était, autrefois, le bastion bourgeois de la Moselle – que l’on parle de bourgeoisie économique et industrielle, ou de cette bourgeoisie nomade que représentaient les centaines d’officiers de la garnison. Aujourd’hui résolument tourné vers l’extérieur et en pleine ébullition artistique, ce centre vote à gauche avec une vigueur inconnue depuis les débuts de la municipalité en 1848. Le quartier impérial, UMP à 45% en 2007, vote socialiste dans les mêmes proportions en 2012… L’autre relais de croissance de la gauche messine se trouve sur la colline de Borny3, que couronnent les barres des années 60; quartier plus jeune que le reste de la ville, où réside une importante population d’origine immigrée (24%) et où l’essentiel du parc locatif est social. Le PS gagne vingt points sur ces deux territoires que presque tout oppose, passant de 20-25% à 40-45% des voix au premier tour des législatives.
On peut apprécier très simplement ce glissement : en 2007, le Nord pesait autant en nombre de voix socialistes que les quartiers du Centre et de Borny réunis : 1700 électeurs de part et d’autres, 20% chacun de l’électorat socialiste. En 2012, le Centre et Borny représentent 24% de ces électeurs, contre 16% pour le Nord. Le centre de gravité socialiste est moins ouvrier, et repose un peu plus sur la coalition hétérogène du coeur urbain et des « quartiers ».
La droite subit une déportation de même nature. Ses représentants ont longtemps tenu le centre conservateur, ainsi que les quartiers pavillonnaires du sud4 fief de la classe moyenne et de la classe moyenne supérieure. Aujourd’hui le centre est en partie perdu, au profit du PS, et le sud pavillonnaire lui échappe au profit du FN. Magny, en 2007 l’un des quartiers les plus hermétiques au Front, s’est littéralement livré à lui en 2012 : le FN y multiplie ses scores par 6 (de 2,9 à 15,8% des voix), surfant sur le sentiment d’insécurité culturelle de ces populations. Ne restent aujourd’hui à la droite messine que quelques zones de maintien dans les faubourgs résidentiels du centre-vile5.
Profil sociologique et vote des quartiers de Metz au premier tour des élections législatives de 2007 à 20126
Derrière ce glissement des centres de gravité électoraux se lisent des dynamiques d’opinion contradictoires. Les fractures culturelles, sociales, politiques qui courent partout sur le territoire français7 s’infiltrent entre ces quartiers et fissurent la commune même – le plus petit échelon électoral de la vie politique française. Crispations des zones pavillonnaires (Magny), radicalisation de la demande de protection des quartiers populaires (Patrotte), enthousiasme culturel des quartiers centraux : ces attentes politiques centrifuges placent la municipalité sous tension, et la mettent au défi de réinventer, indispensable condition de la victoire, un commun politique.
Les options ne sont pas si nombreuses. Option tactique, ici comme ailleurs : ajuster la liste municipale de manière à satisfaire à chaque quartier, chaque communauté : des entrepreneurs, des fonctionnaires, des minorités visibles, des jeunes, des seniors, des cadres militants, des sportifs, etc. Petite prise d’EPO politique, supposée gonfler les scores de la liste auprès de tel ou tel public. C’est naturellement insuffisant – c’est surtout contre-productif : le commun y est sacrifié aux identités particulières ; la juxtaposition d’individus ne fait pas le commun. Il faudra bien en passer par la verticale du discours politique, seule à même de souder la collectivité, de proposer à chacun une raison plutôt que des occasions d’être ensemble.
- Les îles (bdv 101, 111, 181), Patrotte (bdv131, 132, 161, 171, 172), Devant les Ponts (bdv 121, 122, 141,n 151, 152) [Revenir]
- Ancienne Ville, Nouvelle Ville, Metz Centre/Gare (bdv : 201, 202, 211, 212, 301, 302, 322, 323, 321, 331, 332, 333, 341, 342, 343) [Revenir]
- bdv : 441, 442, 451, 452, 461, 462 [Revenir]
- Magny (bdv 385, 391, 392, 395), Grange-aux-Bois (bdv 471, 481, 491) [Revenir]
- Plantières-Queuleu pour l’essentiel [Revenir]
- sources : Le Républicain Lorrain 11/06/07, 11/06/12 (voix/votants), Diagnostic Santé de la Ville de Metz/Orsas Loraine [Revenir]
- lire à ce sujet les travaux on ne peut plus éclairant de Christophe Guilluy, Laurent Bouvet, ou encore Fabien Escalona et Matthieu Vieira [Revenir]