Projeter violemment des montres sur une dalle de carrelage à l'aide d'une potence et d'un mécanisme implacable, écouter le strident bruit sec émis et constater les dégâts: tel est le travail quotidien d'un technicien de la firme d'électronique japonaise Casio.
Lui et d'autres chercheurs malmènent à longueur de journée les montres que leurs collègues se sont escrimés à rendre robustes et étanches, et ce afin de garantir la qualité de la production et la réputation de la maison.
A en croire leur notice, les montres de la populaire gamme "G-Shock" de Casio sont parfaitement hermétiques, ne s'émiettent pas en chutant sur du béton, endurent des variations de température extrêmes et supportent sans rompre vibrations et hautes pressions.
Pour prouver qu'il ne s'agit pas d'un boniment, Casio fait subir à ses montres les pires supplices, qu'aucun client sensé n'oserait infliger à un précieux objet personnel.
Dans un centre de recherches en banlieue de Tokyo, la firme a aménagé plusieurs salles emplies d'engins de torture de montres, en partie développés en interne, tous plus effrayants les uns que les autres.
Les bourreaux des lieux n'y vont pas de main morte pour vérifier si les boîtiers sortent effectivement indemnes d'expériences d'une rare brutalité.
Après la potence, les montres doivent séjourner quelques minutes à l'intérieur d'une cuve sous haute pression, recevoir des coups de marteau, se faire vigoureusement doucher, passer d'un froid sibérien à une chaleur tropicale ou rester fixées 24 heures sur une plaque de métal soumise à des vibrations d'une fréquence insoutenable.
"Chacune des montres est conçue selon des spécifications précises qu'elles doivent respecter", assure, inflexible, le directeur de la division des montres de Casio, Yuichi Masuda, à l'origine des G-Shock.
"Il n'existe pas d'autres moyens que ce type de tests pour être absolument sûrs que les techniques et matériaux sont efficaces", ajoute-t-il. La simulation informatique permet certes d'évaluer, mais pas de contrôler.
Comme de nombreuses firmes japonaises, Casio veut se distinguer des concurrents par les fonctionnalités innovantes de ses produits "made in Japan".
"Quand nous sommes entrés sur le marché des montres dans les années 1970, nous n'avions de chances d'y vivre qu'en nous différentiant totalement des acteurs existants, en utilisant l'électronique pour apporter une valeur et des fonctions supérieures", explique-t-il.
"A l'époque, les montres étaient analogiques, fragiles, des bijoux produits en petites séries et vendus chez des spécialistes. Comme nous étions avant tout une firme d'électronique, nous avons pris le contre-pied en développant des modèles numériques qui se ne cassent pas, fabriqués en volume, à bas prix et distribués dans des circuits tels que les hypermarchés", raconte M. Masuda.
"Sur le plan de la résistance, nous avons dû fixer nous-mêmes un objectif: que la montre ne se brise pas, même en tombant d'une hauteur de dix mètres sur du bitume. Las, avant d'y parvenir, il a fallu des mois de recherche et des tests à la queue leu-leu. Nous en avons fusillé, des boîtiers!", sourit-il.
Mises sur le marché en 1983, les premières montres G-Shock, "dont le design est déterminé par leurs particularités physiques", ont d'abord fait un flop auprès des Japonais parce qu'elles étaient considérées comme des produits sans valeur, selon M. Masuda.
En revanche les Américains ont d'emblée adoré, parce qu'elles n'étaient pas chères et résistantes. Leur côté massif voire grossier ne gênait pas.
Ce n'est qu'au début des années 1990 que la gamme a commencé à faire un tabac au Japon, "parce que les jeunes Japonais se sont alors inspirés de la mode des rappeurs américains qui avaient tous une G-Shock au poignet".
Depuis lors, après plus de 1.000 variantes conçues, le succès mondial des G-Shock ne se dément pas, tant auprès des filles que des garçons.
Karyn POUPEE
AFP