[note de lecture] "La lampe allumée si souvent dans l’ombre" d'Ariane Dreyfus, par Jean-Pascal Dubost
Par Florence Trocmé
Dans la fameuse collection « en lisant en écrivant » des éditions
Corti, cet essai d’Ariane Dreyfus, voire, cet essai d’essai, c’est-à-dire, pour
se référer à Montaigne, un essai de soi par le moyen d’un essai sur la poésie
écrite par quelques-uns de ses pairs et sur la poésie écrite par elle-même. En
effet, Ariane Dreyfus évoque ses lectures fondatrices de poètes d’aujourd’hui,
Ludovic Degroote, Valérie Rouzeau, James Sacré, Eric Sautou, Nicolas Pesquès et
quelques autres, plus quelques romanciers (Dostoïevski, Gibbons, Nabokov) chez
lesquels elle a puisé matière à enrichir une de ses matières à être vivante
dans le poème, le conte. L’intérêt de ce livre, dont l’esprit rappelle celui du
Jean-Pierre Richard de Poésie et
profondeur, assavoir une approche sensible, littéraire, et non point
didactique, des œuvres regardées, parfois mimétique par amour, une façon qui
relève du parcours plutôt que de l’étude, d’un parcours destiné à plonger dans
l’œuvre afin d’y approcher la cohérence profonde (ce qu’indique le titre de
l’ouvrage), l’intérêt de ce livre est que, ce faisant, Ariane Dreyfus nous
ouvre les portes de son atelier intérieur ; démarche d’ouverture qui
caractérise aussi bien sa poésie. Lisant les auteurs qui la touchent ou pensant
des artistes en d’autres arts (très attachée à la danse et au cinéma qu’elle
évoque de même longuement), elle tente, en tant que poète, d’établir des liens
avec sa propre démarche, recherche des gisements profonds dont elle puisse
tirer énergie et activation de ses moyens d’écriture (le conte, la danse, le
cinéma) ; contrairement à d’autres pratiques dans les arts poétiques,
Ariane Dreyfus use de la transversalité artistique, mais avec les mots seuls. À
l’image de James Sacré dont c’est une revendication, elle ne perd jamais le lecteur
de vue : « Ainsi l’amour n’est-il pas un thème poétique, c’est au
contraire écrire un poème qui devient de l’amour. Quand James Sacré dit :
“Le poème comme un geste intime qui pense
à l’autre”, quand Roland Barthes affirme : “L’écriture, c’est quand le texte désire le lecteur” […], ils
rappellent la règle majeure. » Le poème comme présence intense du corps
aimant, ce pourrait être la ligne de conduite de la poésie d’Ariane Dreyfus,
car elle aime aussi la langue française d’amour, et fait corps avec elle pour
faire corps et mouvement vers l’autre. Ainsi donc, n’hésite-t-elle pas à nous
livrer une démonstration d’écriture d’un poème, à livrer des secrets de
fabrication, pour désacraliser l’acte et faire montre de même qu’il y a
nécessité de puiser dans les profondeurs de la lecture des écrivains pour
tisser un réseau souterrain d’émotions. Toujours s’ouvrir à l’autre, c’est le
mot d’ordre, l’éthique poétique d’Ariane Dreyfus.
[Jean-Pascal Dubost]
Ariane Dreyfus
La lampe allumée si souvent dans l’ombre
Editions José Corti