Magazine Culture

La Vénus au Phacochère

Publié le 18 janvier 2013 par Gjouin @GilbertJouin

Théâtre de l’Atelier1, place Charles Dullin75018 ParisTel : 01 46 06 49 24Métro : AnversLa Vénus au Phacochère
Une pièce de Christian SiméonMise en scène et scénographie de Christophe LidonLumières de Marie-Hélène PinonAvec Alexandra Lamy
L’histoire : En 1896, Thadée Nathanson, fondateur de la Revue Blanche, déclenche une grave crise dans le couple qu’il forme avec son épouse, la resplendissante pianiste Misia, égérie du Tout-Paris de la belle Epoque, modèle de Lautrec, Vuillard et Renoir, lorsqu’il publie un article de Strinberg intitulé « De l’infériorité de la femme » puis refuse d’engager Henri Bergson pour la chronique philosophique de la revue comme elle le lui demande…Quelques mois plus tard, à la première d’Ubu Roi, Misia rencontre le très vulgaire et richissime Alfred Edwards, l’homme qui respire les femmes. Edwards lui répugne dès le premier regard, mais il la veut à tout prix. Et, dès lors, elle se retrouve écartelée entre Thadée et Edwards, entre l’idéaliste et le cynique, entre l’homme aux idées et l’ogre aux parfums.
Mon avis : La Vénus au Phacochère pourrait être le titre d’une fable. Une « Vénus », on sait tous que c’est une très jolie femme. C’est la déesse de l’amour… Un « phacochère », on le sait moins. C’est un bestiau de la famille des porcins particulièrement hideux et répugnant… Une Vénus et un phacochère, c’est une métaphore de la Belle et la Bête.« La Belle », bien sûr, c’est ici Alexandra Lamy, qui incarne la splendide Misia, égérie de l’intelligentsia de la Belle Epoque. Une Alexandra Lamy dans un registre où on ne l’attendait pas. Quant à la Bête, on la découvrira plus tard en la personne d’Alfred Edwards, dans la description qu’en fera Misia.
La Vénus au PhacochèreC’est la sempiternelle histoire du triangle amoureux. Mais c’est loin d’être un triangle isocèle car ses trois côtés sont terriblement inégaux à tout point de vue. La Vénus au Phacochèrec’est donc deux gars, une fille. Mais plutôt que de s’enfermer dans ce registre classique, l’auteur a préféré mettre en scène un gars et deux filles… Le gars, c’est Thadée Natanson. C’est un brillant intellectuel. Il est avocat, homme d’affaires, journaliste, critique d’art et fondateur du magazine culturel la Revue Blanche… Les deux filles sont son épouse Misia, une excellente pianiste russe, très, très belle, cultivée et passionnée, et sa meilleure amie, Geai, une jeune femme libre et indépendante à la très forte personnalité… La pièce toute entière est construite autour des échanges épistolaires de ce trio.
Mais ce qui ajoute à notre curiosité, c’est qu’Alexandra Lamy, seule en scène, tient simultanément les trois rôles. Une formidable performance d’actrice ! Très élégante dans sa tenue de scène noire, elle joue du geste et de la voix et cela suffit à nous faire comprendre qui s’exprime dans la lettre ou le télégramme qu’elle lit. Naturelle quand elle incarne Misia, elle monte un peu le ton lorsqu’elle campe Geai et adopte un timbre plus fort et grasseyant lorsqu’elle est Thadée. Au physique aussi, elle se transforme et se crée une gestuelle propre à chacun des trois protagonistes. Elle se livre ainsi à un exercice brillantissime, d’autant plus impressionnant qu’il n’y a aucun temps mort.
La Vénus au PhacochèreLe ton de la pièce est d’abord à l’image des deux femmes. Misia et Geai sont très complices. La première est espiègle, primesautière, mutine, elle déborde de joie de vivre. Elle s’’amuse visiblement –bien que les arguments qui ont provoqué sa fâcherie avec Thadée soient tout à fait fondés – à taquiner son mari et à la faire tourner en bourrique. Tout en affirmant haut et fort son amour pour lui… La seconde, libre et libertine, est une séductrice invétérée. Son personnage m’a fait penser à Colette. Elle est frivole, délurée et impertinente, elle a une véritable influence sur Misia dont elle est la confidente. Ce sont deux féministes avant l’heure… La première moitié de l’histoire est légère, vivante, drôle. Et puis, avec l’apparition du Phacochère, l’abominable Alfred Edwards, le ton va devenir de plus en plus grave jusqu’à cette scène paroxystique dans laquelle Misia explose de douleur et de dégoût.Cette évolution dans l’état d’esprit de Misia permet à Alexandra Lamy de montrer toute l’étendue de son talent, toute l’amplitude de son éventail dramatique. Avec ce « seule en scène » elle confirme, si besoin était, qu’elle est une formidable comédienne capable d’aborder tous les registres, de la comédie au drame. Et, en plus, elle a une classe folle ! Je suis convaincu que La Vénus au Phacochère marquera un palier décisif dans sa carrière. En ayant ainsi démontré sa large palette de jeu, elle nous prouve qu’elle peut et sait tout jouer.
Mon intérêt pour cette histoire n’a fait qu’aller grandissant. Au fur et à mesure que le curseur se déportait vers la gravité, je me sentais de plus en plus captivé, littéralement happé par la fascinante et paradoxale aventure que vivait Misia. Gentiment intéressé au début, j’ai fini en extase. Nous avons assisté à un grand moment de théâtre. Bravo L’Artiste ! (Ah bon, le qualificatif a déjà été endossé par quelqu’un d’autre ? Pas de souci, je suis sûr que ce quelqu’un d’autre sera complètement ravi de le partager…)

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gjouin 18712 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte