Ici au loin.
Titre déjà évocateur d’une exposition qui nous emmène dans des contrées reculées, épousant souvent la continuité du froid actuel. Il s’agit là d’une rétrospective de l’œuvre du photographe finlandais Pentti Sammallahti, dont la galerie propose l’exposition de 50 tirages effectués sur environ quarante années, et qui coïncide avec la sortie de la monographie conséquente du même titre parue aux Actes Sud (qu’il est possible de feuilleter sur place).
Dans l’exposition, nous partons autour du monde, de l’Inde, à la Russie en passant par le Népal, rejoignant les îles méconnues de la Mer Blanche, et jusqu’à la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la France, et surtout la Finlande. Très rapidement, nous comprenons qu’il s’agit là de nous présenter un regard très puissant sur le monde, sur ses paysages dont la richesse scintille de mille facettes. A l’image par exemple, de cette mer à Kihti en Finlande, dont la surface est piquetée de gouttes de pluie, créant une certaine texture. On s’aperçoit aussi rapidement du travail subtil de la lumière qu’il utilise pour modeler les espaces, et créer la consistance.
Pour le photographe, s’articule un mélange ingénieux entre la dimension documentaire (car nous visitons ici des lieux peu fréquentés) et l’invention de fables, de contes visuels. Frôlant et déjouant les clichés, les photos puisées dans les plus fines parcelles de l’Europe du Nord, de la Sibérie ou du nord de l’Asie, inventent elles-mêmes une représentation des lieux. Dans ces étendues silencieuses et immaculées, surgit souvent un élément de vie, une présence de la nature, qui donne une dimension immédiate à la photo dans laquelle il devient possible de se projeter. C’est ainsi que Pentti Sammallahti envisage le sujet des animaux. Il parvient à jouer habilement entre l’instant décisif et leur pouvoir déclencheur d’humour, qui apporte aux images un message un peu décalé. Dans des portraits qui reflètent la fraternité, nous voyons ainsi des chevaux qui semblent s’embrasser, ou un chiot minuscule dormant sur le dos d’une vache. C’est eux effectivement, qui, dissimulés dans l’image, lui donnent une autre lecture, dès lors qu’on les distingue. C’est le cas ainsi dans la photo d’un chien tacheté aux pieds de sapins lourdement enneigés.
La lumière, la teinte des sujets sont des outils brillamment maîtrisés : dans le format panoramique de bords de mare où nous apparaissent ainsi des cygnes et des canards, nous devinons par la force de la couleur projetée sur la blancheur des cygnes, le rayon de soleil qui semble percer le ciel noir menaçant.
A l’inverse, dans la série de portraits, Andante, à Tallin en Estonie, il imagine le croisement des personnes en musique, captant leurs expressions, parfois contraires qui créent un contrepoint réussi : le petit garçon les sourcils froncés suivant son petit frère qui tient la main à leur parent, s’oppose puissamment à la jeune femme à l’air détendu qu’il croise.
Je conclue par 3 images incroyables : le panoramique qui représente une île à Varanasi (Bénares) en Inde, les barques semblent posées sur l’eau, l’effleurant à peine. Les gens sont réduits à des silhouettes imperceptibles. Les nuages dessinent le vide dans le reflet de l’eau. On dirait que l’île est suspendue dans les airs. A Airisto en Finlande, la photo prise de la mer est à peine envisageable : entre un ciel gris foncé et une mer noire sans reflets, un bouillonnement blanc qui ressemble à une erreur photographique surgit entre les deux. Enfin, les portraits des hongrois devant le seuil de leur porteavec leur chat sous la table placée à l’extérieur, devant la maison, insiste sur les expressions des gens et dénote d’un art de la composition, jouant avec les espaces, le dehors est investit par l’intimité, on entre chez les gens en étant quand même dehors.
Enfin, terminons par les mots du photographe qui s’exprime ainsi dans la préface du livre Archipelago : « Me trouvant sur une petite île rocheuse j’ai compris que la terre n’était pas ronde, mais un plateau couvert d’une voûte gigantesque… J’étais sur le point le plus haut du firmament, dans le point focal de la voûte, et j’ai décidé de ne pas bouger. A ce moment, tout semblait trouver sa place, même l’homme avec ses menues occupations. C’est avec reconnaissance que j’ai compris que l’élément le plus important du travail du photographe n’est pas la création, ni l’imagination, mais le regard et la volonté de rendre justice à ce que l’on voit. J’ai alors compris qu’on ne prenait pas les photographies, mais qu’on les recevait ».
A courir voir avant le 26 janvier 2013
Galerie Camera Obscura
268, Boulevard Raspail
75014 Paris