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Les enjeux anthropologiques du « mariage Gay »

Publié le 17 janvier 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch

 

par Charles-Eric de Saint-Germain* 

Par delà les réactions passionnelles (« pour » ou « contre ») autour  du projet de loi du « mariage pour tous », et pour préciser philosophiquement le débat, je propose un éclaircissement sur les an-thropologies qui sous-tendent l’opposition des partisans et des adversaires de cette loi, puisqu’il y a au moins un point d’accord entre tous : reconnaître que la « question de fond » n’est pas d’abord une question juridique, mais une question fondamentalement anthropologique.

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1) Pour les partisans du « mariage gay », la thèse anthropologique est clairement « culturaliste ». Comme le montre la théorie du Gender, qui s’inspire de ce « culturalisme », l’homme ne s’humanise que par la culture, en sorte que la différence biologique n’est pas « signifiante », elle est même insignifianteconcernant ce qui fonde « l’identité » de la personne. Cette « identité » est plutôt le produit d’une construction culturelle, et c’est pourquoi la « reproduction », en tant que fonction purement biologique, n’est pas décisive, puisque le corps biologique de l’homme relève seulement de la part « animale » de lui-même. En d’autres termes, on ne naît pas homme (ni femme, d’ailleurs…) on le devient (selon la célèbre formule de Simone de Beauvoir), et ce devenir s’appuie sur un « choix » qui marque l’arrachement de l’homme à la nature biologique.

Du coup, la « féminité » ne renvoie plus à une donnée biologique naturelle, mais elle se ramène à l’image souvent standardisée qu’une certaine culture véhicule de la femme, et cette image est bien sûr variable selon les époques et relative selon les cultures (on cite alors les travaux fondateurs de Margareth Mead sur l’étude des sociétés océaniennes qui refusent toute forme de patriarcat, mais force est de reconnaître que les femmes ont souvent été, au cours de l’histoire, enfermées dans des « stéréo-types culturels » qui ne devaient rien à la « nature féminine » – si tant est qu’il y en ait une, ce que conteste justement la théorie du Gender). Il suit de là que notre image de la masculinité ou de la féminité, par laquelle nous constituons notre identité en nous identifiant à ces repères culturels, ne doit rien à la « nature », pas plus d’ailleurs que notre « orientation sexuelle », qui ne doit rien à un quelconque déterminisme biologique, mais relève seulement d’un choix individuel (on peut alors choisir d’être hétéro, homo, bi, trans, etc.).

Et c’est dans ce choix que l’homme affirme et constitue son identité, une identité « humaine » précisément parce qu’elle est « arrachée » à ce qu’il y a encore « d’animal » dans notre nature (en l’occurrence notre identité corporelle sexuée). De là la désidentification qui s’opère, dans la théorie du Gender,  entre le sexe biologique (dont la fonction biologique, liée à la reproduction, reste purement animale) et l’orientation sexuelle (marque de l’humanité, de la culture, signe d’une préférence subjective qui ne doit rien au sexe biologique).

Dès lors, reconnaître le mariage pour tous, ce serait reconnaître que la nature biologique, du fait de son « animalité », ne doit pas imposer de « limites » à ce qui est humainement acceptable et légitime, puisque c’est précisément en s’arrachant à cette nature biologique, à ce « donné naturel », que l’homme peut construire son humanité, et il ne la construit que par et grâce à cette culture qui le constitue de part en part (d’où le lien du Gender avec le marxisme et le structuralisme de Foucault, qui nient toute « nature humaine »). L’altérité sexuelle (dans sa dimension biologique) ne devrait donc pas être signifiante pour la formation d’un « couple », pas plus que ne l’est la capacité de « reproduction » (réservée biologiquement aux seuls hétérosexuels à l’exception des couples sté-riles) car ce serait alors réduire l’humain à l’animalité.

la « question de fond » n’est pas d’abord une question juridique, mais une question fondamentalement anthropologique.

2) Pour les opposants au « mariage gay », la thèse anthropologique n’est pas naturaliste (elle n’affirme pas que l’homme est déterminé intégralement par sa nature biologique) mais elle n’est pas non plus culturaliste, et s’oppose à ce « culturalisme ». Elle considère, en revanche, que l’on ne peut pas séparer la dimension biologique (l’identité sexuelle) de l’humanité de l’homme (de son identité personnelle), autrement dit que la « féminité » ou la « masculinité » ne se décrètent pas par choix, mais qu’elles s’enracinent dans cette dimension corporelle biologique. En d’autres ter-mes, la différence anthropologique de l’homme et de la femme s’enracine ici dans la différence biologique du corps sexué, et l’altérité sexuelle, posée au fondement du corps humain, doit être considérée comme « signifiante » et comme « fondatrice ». Elle ne considère pas que l’orientation sexuelle puisse faire l’objet d’un « libre choix » (« on ne choisit pas son orientation sexuelle, on la subit, que l’on soit homosexuel ou hétérosexuel », dit cette thèse) et elle insiste surtout sur l’idée que le corps biologique sexué (homme ou femme) est déjà irréductible à sa dimension « animale », qu’il fait « signe » vers son humanité.

Par exemple, le corps humain est « expressif » (un sourire, un pétillement des yeux, un geste, expriment un sens), il incarne une signification, ce dont le corps animal est incapable :  la conduite de l’animal a certes une signification, mais son corps n’a pas en lui-même la capacité d’exprimer un sens, de « faire signe », et c’est pourquoi la dimension pro-prement « humaine » de l’homme ne relève pas seulement de la culture, mais elle s’enracine déjà dans les potentialités biologiques du corps humain, dans sa capacité à « faire sens », qui est la mar-que même de son humanité. La culture permet, certes, à l’homme de prendre possession de son corps, en liant tel « geste » à tel « sens » (et ce « lien » peut varier d’une culture à une autre, comme le montre le « rire jaune » des japonais, qui exprime plutôt la colère, et non la joie) mais elle ne crée pas cette « capacité expressive » qui semble être spécifique au corps humain.

L’identité biologique (celle du « corps sexué ») n’est donc pas un substrat « neutre », et le rôle de la culture est donc plutôt ici d’accompagner ce qui, dans la nature, fait « sens » pour l’homme, ce qui témoi-gne déjà de son « humanité » (homme ou femme), sans l’effacer ni le nier, mais en lui donnant la possibilité de s’enrichir à l’intérieur d’une culture qui actualise cette signification latente, dans une « expression » culturelle toujours particulière. Il y a donc un lien direct, dans cette perspective, entre le « corps sexué » et la « féminité » ou la « masculinité », bien que celles-ci puissent revêtir des « expressions » différentes en fonction des particularités culturelles dans lesquelles cette poten-tialité biologique du corps humain trouve à s’actualiser.

Il est certes vrai que la « reproduction » est une fonction animale, mais la sexualité humaine, dans sa dimension biologique, a déjà quelque chose d’irréductible à la sexualité animale, et qui témoigne de son sens profondément « humain » (un sens enraciné, donc, dans l’ « identité biologique »). Par exemple, les animaux n’ont le désir de s’accoupler que durant leur période de fécondité, alors que l’homme peut s’accoupler en toute saison, ce qui semble montrer que l’union sexuelle des partenaires, et le « plaisir » qui accompagne cette union, peuvent être recherchés pour eux-mêmes dans la sexualité humaine, dont la signification est irréductible à la seule décharge animale de la pulsion sexuelle en vue de la reproduction.

Dans ces conditions, vouloir déconnecter l’identité « personnelle » de l’individu, en tant qu’elle serait le fruit d’une pure construction culturelle, de son identité corporelle sexuée, ne peut aboutir qu’à nier ce qu’il y a déjà de proprement humain, ce qui est déjà porteur d’un sens dans ce qui relève de la nature « biologique » de l’homme, et selon les tenants de cette thèse, cette négation risque fort d’aboutir, à plus ou moins long terme, sur une perte du sens de l’humanité elle-même, au profit d’une autocréation démiurgique de l’humanité par elle-même – une humanité qui, désormais indifférenciée, ne reconnaîtra plus de limites extérieures lui permettant de se structurer (les opposants au mariage gay mobilisent la psychanalyse pour montrer que la « limite » est une condition de la structuration psychique des individus). Le risque de cette indifférenciation, dit alors cette thèse, est de générer le « chaos » de la confusion, le trouble dans l’identité, s’il est vrai que la « séparation » et l’altérité sont une condition de la formation de celle-ci, laquelle repose toujours sur un jeu complexe d’identification d’avec le parent du même sexe, et de différenciation d’avec le parent de sexe opposé. Voilà pourquoi il faut préserver l’altérité biologique des sexes au fondement du mariage humain, car elle seule est garante de la construction de l’identité personnelle de l’individu, qui s’enracine dans l’altérité des corps (dans le corps sexué), sans pour autant s’y réduire (puisque l’individu s’affirme aussi à travers le choix des possibilités que la culture lui propose).

Mais ces possibilités ne sont pas infinies, elles se heurtent aussi, selon eux, à certaines limites naturelles qui témoignent de la résistance du réel à la tentation qu’à l’homme de vouloir s’affranchir de toutes limites – ce qui revient, pour l’homme, à vouloir être Dieu, à être à soi-même sa propre origine, au lieu de se recevoir d’un « donné » naturel qui est pourtant, pour lui, déjà signifiant et structurant…

* Charles-Eric de Saint Germain est philosophe, Agrégé et ancien élève de l’ENS Fontenay-Lyon, professeur en CPGE. A récemment publié « Cours particuliers de philosophie » I et II (Ellipses).


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