Une version téléchargeable de cette étude est accessible ici.
Debout pour le mariage traditionnel à Washington, 2012
« Dieu les bénit, et Dieu leur dit : “Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez, et dominez”. » (Genèse 1:28a)
« Par moi les rois règnent, et les princes ordonnent ce qui est juste. Par moi dominent les puissants et les grands, tous ceux qui jugent la terre. » (Proverbes 8:15-16)
« Et il dit aux juges : “Prenez garde à ce que vous ferez, car ce n’est pas au nom de l’homme que vous jugerez, mais au nom de l’Éternel, qui sera avec vous quand vous prononcerez un jugement”. » (2 Chroniques 19:6)
+++++
La doctrine chrétienne de la théonomie — c’est-à-dire la transposition de la Loi morale biblique (incluant les ordonnances civiles) dans le droit actuel effectif des collectivités politiques [1] — loin d’être une innovation récente, fut la doctrine historiquement professée par l’Église confessionnelle et mise en application par les pouvoirs façonnés par le christianisme. Cet enracinement séculaire de la théonomie atteste qu’elle est une doctrine éprouvée, mais ne saurait être l’unique axe d’un discours authentiquement protestant, qui doit systématiquement se référer aux Saintes Écritures (Ancien et Nouveau Testaments).
Une mésentente sur la signification de la Grande Commission sert de bon point de départ pour aborder cette question. Jésus dit « Faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Matthieu 28:19). Les chrétiens d’aujourd’hui comprennent ce passage clé par « faite des disciples individuels parmi toutes les nations », alors que le sens du texte grec est beaucoup plus fort, et signifie plutôt « faire des disciples avec les nations en tant que collectivités » ou, littéralement (selon le texte grec), « disciplez les nations [2] ». Cette compréhension théonomique est d’ailleurs conforme avec le verset suivant : « Enseignez-leur [les nations] à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Matthieu 28:20). En tant que membre de la Trinité, Jésus-Christ est Dieu, donc les prescriptions de Christ sont toutes les prescriptions que Dieu donne dans la Bible, incluant les ordonnances civiles attachées à l’immuable Loi morale dont il ne nous est pas permis d’évacuer la dimension collective. Tandis que les non théonomistes ont une compréhension très individualiste de la Nouvelle Alliance, les théonomistes — sans négliger l’importance du salut des âmes individuelles — ont une compréhension plus communautaire de cette Alliance.
Le présent exposé répond à treize objections fréquemment formulées à l’encontre de la théonomie par ceux appelés piétistes (des croyants qui pensent que l’Église doit, par principe, se désengager des enjeux civiques la concernant) et ainsi fournir au chrétien un guide sommaire de la place que doit tenir la Loi divine dans la régulation des pouvoirs publics terrestres. Afin que le lecteur ne se méprenne pas, affirmons d’emblée que la théonomie implique le refus du polythéisme politique (« pluralisme religieux ») qui prévaut actuellement dans le monde occidental et qui est professé (explicitement ou implicitement) par la majorité des églises chrétiennes.
Malgré sa position plus stricte (et plus cohérente) face au pouvoir étatique, la théonomie soutien que le pouvoir, plutôt que d’être en soi une incarnation du Malin, est plutôt une « expression de l’amour de Dieu pour ses créatures [3] » et soutien que « toute législation selon l’équité [et] selon la Loi de Dieu véhicule l’amour de Dieu [4] », c’est pourquoi il en découle que « le but premier du pouvoir est de faire respecter l’ordre établit par Dieu [5] » pour la société humaine. Ce n’est donc pas dans l’optique d’une simple volonté répressive de la part des chrétiens que la théonomie est ici envisagée, mais dans celle de l’intense amour de Dieu pour Ses élus qu’elle véhicule.
1.1. Objection piétiste : Le christianisme n’a rien à voir avec la politique.
1.2. Réponse théonomique : En fait, le christianisme a quelque chose à voir avec toutes choses, incluant les enjeux culturels, sociaux et politiques. Jésus est Seigneur sur tout l’univers (Mathieu 28:18), ce qui signifie que Jésus est le Seigneur du gouvernement civil. En tant que subordonné et délégué de Jésus, le rôle des magistrats civils est d’exercer la justice temporelle de Dieu selon Sa Loi révélée (Romains 13:4). Le magistrat doit certainement être au service de Dieu étant donné qu’il tient (indirectement) sa légitimité de Dieu [6].
2.1. Objection piétiste : Jésus n’était pas impliqué en politique.
2.2. Réponse théonomique : Jésus n’était pas marié, mais ça ne veut pas dire que Jésus interdit le mariage. Le cheminement spécifique de Jésus ne peut aucunement servir de modèle à tous les chrétiens, sans quoi le christianisme ne serait qu’une hécatombe stérile. Réitérons que les commandements de Jésus ne se limitent pas à son ministère terrestre. D’ailleurs, Jésus a agi politiquement en chassant manu militari les marchands hors du Temple de Jérusalem (Jean 2:13-16), et cela malgré que Jésus lui-même disait clairement qu’il n’était pas un officier civil (Luc 12:14) — autrement dit qu’il n’agissait qu’à titre de simple sujet/citoyen. Nous devons tirer de ce constat une doctrine de magistrature universelle pour tous les chrétiens, semblable au sacerdoce universel, les devoirs civiques du croyant complémentant ses obligations spirituelles.
3.1. Objection piétiste : Mais Jésus a dit « mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18:36).
3.1. Réponse théonomique : Cela signifie que le monde n’est pas la source du pouvoir de Christ. En Daniel 4:17, la Bible dit « le Très-Haut domine sur le règne des hommes, et il le donne à qui Il lui plaît ». Donc le Royaume de Christ n’est pas de ce monde, mais son Royaume s’étend sur le monde. « Partout où la volonté du Père est faite, le Royaume de Dieu est effectivement venu sur la terre [7]. » Puisque le Royaume de Dieu inclut le monde terrestre (Luc 17:21), les régnants terrestres doivent se soumettre à lui. Le même Christ qui a dit à Pilate « mon Royaume n’est pas de se monde » a aussi dit à Ponce Pilate « tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » (Jean 19:11).
4.1. Objection piétiste : Mais Jésus a dit « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc 20:25), alors il y a une séparation entre la foi et la politique.
4.2. Réponse théonomique : Cela veut dire que les hommes ont des obligations envers César, cela ne veut pas dire que César n’a aucune obligation envers Dieu. Similairement, les épouses ont des obligations envers leurs époux, mais cela ne veut pas dire que les époux n’ont aucune obligation envers Dieu. Jésus est le Roi des rois, ce qui signifie que tous les rois, princes, césars, présidents et premiers ministres doivent se soumettre à lui. Cette soumission implique l’application des lois bibliques qui se rapportent aux affaires civiles. Le plus grand mal jamais commis fut le meurtre de Jésus, qui s’est produit dans le domaine civil. Et le meurtre de Jésus assumait que César n’avait pas d’obligations envers Dieu. Souvenez-vous, ceux qui voulaient que Jésus-Christ soit crucifié scandaient « nous n’avons de roi que César » (Jean 19:15). Quand quelqu’un dit que César n’a pas d’obligation envers Dieu, alors cette personne dit que César n’a pas de contrainte morale, qu’il peut mettre à mort qui il le veut, quand il le veut et pour le motif qu’il veut, comme il le fit avec Jésus.
Et vous qui vous dites chrétiens, n’avez-vous de roi que César en matière civile ? Niez-vous que Jésus-Christ soit le Seigneur des seigneurs dans le domaine civil ? Ou acceptez-vous que Jésus est le Seigneur suprême du gouvernement civil, comme Il le dit lui-même dans la Grande Commission : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (Mathieu 28:18) ?
5.1. Objection piétiste : La Bible dit que « toute la Loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates 5 :14).
5.2. Réponse théonomique : Aimer Dieu et aimer son prochain est un résumé de la Loi morale (Matthieu 22:40), or un résumé n’annule pas ce qu’il résume, bien au contraire ! En disant cela, Jésus ne fait que citer et endosser l’Ancien Testament (Lévitique 19:18), où il est clair qu’aimer Dieu et son prochain implique la responsabilité collective de concourir au maintien de la Loi morale (incluant ses composantes civiles) dans la sphère sociopolitique.
6.1. Objection piétiste : L’apôtre Paul nous informe que « Le péché ne dominera pas sur vous, car vous n’êtes plus sous la Loi, mais sous la grâce » (Romains 6:14). « La grâce fait place à la Loi et Jésus-Christ à Moïse », schématise un cantique reçu.
6.2. Réponse théonomique : De prime abord, il est évident que l’accomplissement ultime des ordonnances sacrificielles de l’Ancienne Alliance par l’œuvre de rédemption de Jésus-Christ sur la Croix ne donne nullement licence au peuple de Dieu de pratiquer l’immoralité, comme nous le rappellent Galates 5:13 et 1 Pierre 2:16. Il ne devrait donc jamais être question d’antinomisme dans l’Église. Cependant, que veut dire Paul lorsqu’il affirme que les chrétiens ne sont « plus sous la Loi » et qu’il met cette « Loi » en opposition à la grâce ? Et qu’en est-il du rapport de la société tout entière avec la Loi divine ? Ce sont là des interrogations cruciales.
Pour saisir l’argumentation de l’apôtre Paul, il faut savoir qu’il donne plusieurs sens différents au concept de « Loi ». Une mauvaise compréhension de ces distinctions pauliniennes conduit aujourd’hui bon nombre de chrétiens à se méprendre sur les modalités de la Nouvelle Alliance. Paul critique surtout l’idée erronée de la loi comme étant un moyen de justification (ce qui n’était aucunement une caractéristique de l’Ancienne Alliance, mais plutôt une dérive pharisienne en vogue au temps du Messie, cf. Deutéronome 7:7-8), puis oppose cette idée erronée à la vraie doctrine de la Loi comme moyen de sanctification (ce qui était déjà en vigueur sous l’Ancienne Alliance).
Si Paul réfute l’idée de la loi comme moyen de justification en de nombreuses occurrences (Romains 3:20, Galates 2:16 & 21, etc.), le Nouveau Testament affirme également la validité de la Loi morale sous la Nouvelle Alliance :
« Annulons-nous donc la Loi par la foi ? Loin de là ! Au contraire, nous confirmons la Loi. » (Romains 3:31)
« Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout [la fin des temps] soit arrivé. Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le Royaume des cieux ; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le Royaume des cieux. » (Matthieu 5:17-19)
« La Loi donc est sainte, et le commandement est saint, juste et bon. […] Or si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la Loi est bonne. […] Car je prends plaisir à la Loi de Dieu, selon l’homme intérieur. » (Romains 7:12, 16 & 22)
« Quiconque pèche transgresse la Loi, et le péché est la transgression de la Loi. » (1 Jean 3:4)
« Je ne suis point sans la Loi de Dieu, étant sous la Loi de Christ afin de gagner ceux qui sont sans loi. » (1 Corinthiens 9:21)
En d’autres occurrences, le terme « commandement » est utilisé comme synonyme de « Loi », et cela en sous-entendant encore que la Loi divine demeure valide :
« Car l’amour de Dieu consiste à garder ses commandements. » (1 Jean 5:3a)
« Si vous m’aimez, gardez mes commandements [...] Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, je l’aimerai et me ferai connaître à lui. » (Jean 14:15 & 21)
D’où la clarification que fait Paul lui-même : « Nous n’ignorons pas que la Loi est bonne, pourvu qu’on en fasse un usage légitime » (1 Timothée 1:8). Ainsi l’usage de la Loi comme procédé de justification est illégitime (et inopérant spirituellement), tandis que l’usage de la Loi comme levier de sanctification est légitime et prescrit par la Parole de Dieu.
De même que Paul oppose la Loi divine de sanctification à la loi pharisienne de justification, l’apôtre différencie entre deux concepts de la « loi intérieure » sous la Nouvelle Alliance. L’une est la loi charnelle, la « loi du péché », tandis que l’autre est la Loi de Dieu que le Saint-Esprit place dans notre cœur (Romains 7:21-25, Hébreux 8:10). Il y a effectivement intériorisation de la Loi morale par les chrétiens, mais la portée de la Loi morale ne se limite pas à cette intériorisation individuelle.
Certes, l’apôtre Paul dit aussi « Je ne suis pas moi-même sous la loi » (1 Corinthiens 9:20), mais il ne se réfère pas ici à la Loi morale servant à la sanctification. Dans ce verset et dans d’autres similaires, Paul renvoie soit au faux concept de loi de justification, soit aux à l’ancienne Loi cérémonielle qui est expirée (mais qui gardent leur valeur morale, le cas échéant), ou soit à la condamnation divine que la Loi morale faisait peser sur les élus jusqu’à leur rachat par le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix.
Il importe ici de souligner que ces distinctions légales dans la Nouvelle Alliance ne sont pas des innovations n’ayant aucun appui dans l’Ancienne Alliance, mais au contraire qu’elles étaient déjà présentes dans l’Ancienne Alliance. Par exemple, dans l’Ancien Testament, la Loi cérémonielle (particulière et circonstancielle) est déjà dissociée de la Loi morale (universelle et permanente) en ce que Dieu subordonne en importance l’accomplissement des rites sacrificiels à l’obéissance à Sa Loi morale (Ésaïe 1:11-17, Psaume 40:7-9, 1 Samuel 15 :22, Jérémie 7 :21-26, Michée 6 :6-8, Amos 4 :4-5, Joël 14:2). Dans la même ligne, nous voyons dès l’Ancien Testament que Dieu récusait la répudiation entre mariés (Malachie 2:16) ainsi que la polygamie (Deutéronome 17:17) même s’Il choisit souverainement de tolérer temporairement ces pratiques. Jésus et les apôtres inspirés par le Saint-Esprit n’ont donc pas rompu avec l’Ancien Testament en signalant l’expiration des ordonnances cérémonielles.
7.1. Objection piétiste : Jésus semble rejeter la loi du talion en disant : « Vous avez entendu qu’il vous a été dit “œil pour œil, dent pour dent”, mais mois je vous dis de ne pas vous venger de celui qui vous fait du mal » (Matthieu 5:38).
7.2. Réponse théonomique : Cette parole de Jésus fait partie du sermon sur la Montagne, qui est une série d’hyperboles. Les hyperboles sont des exagérations pour marquer un point. Aucune théologie cohérente ne peut prendre tous les passages du sermon sur la Montagne de façon littérale, car faire ainsi génère des contradictions internes au discours. Jésus dit dans ce prêche de ne pas se venger et de pardonner, alors qu’un instant plus tôt il maintient l’institution des tribunaux civils (Matthieu 5:22) dont le fonctionnement implique un degré de vengeance (fut-elle interposée). L’enseignement est donc celui-ci : exigez la justice lorsque le droit est piétiné, mais ne devenez pas tellement obsédé avec la vengeance que cela empoisonnera votre esprit, votre vie et votre relation avec notre Sauveur.
8.1. Objection piétiste : La coercition par les autorités étatiques ne peut pas rendre les gens meilleurs, seulement l’annonce de la Bonne Nouvelle et l’amour fraternel.
8.2. Réponse théonomique : Les Saintes Écritures proclament l’inverse :
« Parce qu’une sentence contre les mauvaises actions ne s’exécute pas promptement, les cœurs des fils de l’homme se remplit en eux du désir de faire le mal. » (Ecclésiaste 8:11)
« Si l’on fait grâce au méchant, il n’apprend pas la justice. » (Ésaïe 26:10)
Bien sûr, seule l’action du Saint-Esprit peut régénérer les cœurs. Assurément, la principale mission du gouvernement civil n’est pas la prédication de l’Évangile, dont la tâche incombe à l’Église. En revanche, les magistrats civils – qui tiennent leur légitimité de leur soumission et de leur obéissance à Dieu – ont la responsabilité de faciliter le travail d’évangélisation des cœurs et des mœurs en établissant un encadrement régalien (législatif et policier) qui protège le christianisme, favorise sa consolidation et privilégie son expansion [8]. Le gouvernement ecclésial et le gouvernement civil sont ainsi deux instruments aux rôles distincts, mais complémentaires que Dieu emploie pour l’avancement de son Royaume [9].
Or les politiques du gouvernement civil ne sont jamais complètement exemptes de caractéristiques éthiques. Il s’ensuit nécessairement que les agissements des magistrats ont inévitablement une répercussion spirituelle, bonne ou mauvaise. C’est ainsi que « par rapport à la proclamation de l’Évangile, le pouvoir temporel, par son affirmation des exigences de la Loi de Dieu, exerce une fonction de préparation au salut semblable à celle qu’eut Jean-Baptiste à l’égard du Messie. […] Quand le pouvoir public ne distingue plus publiquement par ses jugements cette différence radicale entre le bien et le mal, il renonce à son rôle de précurseur du Royaume de Dieu [10]. »
En somme, refuser de châtier les péchés (infanticide, inconduite sexuelle, promotion de l’idolâtrie, etc.) qui doivent être châtiés en vertu du droit biblique a pour effet de banaliser ces péchés et par contrecoup de compliquer la repentance des citoyens. Si le comportement de l’État n’est pas exemplaire, combien plus le corps civique sera-t-il porté à penser qu’il est admissible de déroger à l’autorité divine ? « Là où le magistrat sévit fortement contre les malfaiteurs, le peuple comprend la différence entre justice et crime. Si l’État se prétend neutre, cette “neutralité” ne fera que favoriser toutes les erreurs et, à la fin, par son pluralisme même, rendra plus ardue l’écoute de la vérité par le peuple, ceci même dans les églises fidèles [11]. »
9.1. Objection piétiste : Les Lois civiles de l’Israël antique n’ont plus de valeur aujourd’hui parce qu’elles se rapportaient à l’État hébreu qui était une nation sainte choisie et mise à part par Dieu [12].
9.2. Réponse théonomique : Nous avons déjà établi la continuité des Lois civiles/morales sous la Nouvelle Alliance. Précisions maintenant que même sous l’Ancienne Alliance, bien que le peuple hébreu recevait une attention et une affection singulière de l’Éternel, toute la Création était astreinte à la Loi morale du Seigneur. Les exemples bibliques l’attestant sont multiples. Le prophète Daniel, vrai ambassadeur de Dieu, admoneste le roi de Babylonie, Nebucadnetsar, d’une façon qui indique l’universalité de la Loi morale divine : « Mets un terme à tes péchés en pratiquant la justice, et à tes iniquités en usant de compassion envers les malheureux » (Daniel 4:27). Le ministère de Jonas à Ninive – la capitale de l’Empire assyrien – où le redressement de la moralité de cette cité après la prédication de cet envoyé du Tout-Puissant illustre excellemment le caractère contraignant de la Loi divine sur les non-Hébreux dès l’Ancienne Alliance (Jonas 3:1-10). Dans le même ordre d’idées, les très nombreuses prophéties contre diverses nations ayant désobéi à la Loi de Dieu (pas seulement guerroyé contre les Hébreux) indiquent l’universalité de cette Loi déjà à l’époque de l’Ancienne Alliance (Ésaïe 13 à 23, Ézéchiel 25 à 32, Jérémie 46 à 51, Amos 1 & 2, etc.) [13].
10.1. Objection piétiste : Jésus a dit « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » (Jean 8:7) aux accusateurs de la prostituée. Conséquemment, il ne faut plus imposer la peine capitale pour la prostitution et les crimes sexuels d’une gravité équivalente.
10.2. Réponse théonomique : En réalité, Jésus a en cette occasion maintenu la Loi mosaïque. Celle-ci stipule que pour qu’un crime d’adultère ou d’autre débauche soit dûment puni par la peine capitale, les deux coupables doivent être surpris en flagrant délit par au moins deux témoins oculaires (Deutéronome 22:22, Lévitique 20:10). Dans le cas précis où est intervenu Jésus, les accusateurs n’ont pas mis en accusation le complice de la prostituée, minant ainsi leur statut de témoins oculaires au plan légal. Les circonstances ne permettaient donc pas que la prostituée soit mise à mort, c’est pourquoi Jésus — qui connaissait la femme en son omniscience — lui dit « Va, et ne pèche plus » (Jean 8:11) [14]. Si l’on ne pouvait plus punir les crimes sous prétexte que tous les hommes sont pécheurs, cela engendrerait immédiatement une anarchie inouïe, chose qui serait évidemment contraire à la volonté du Seigneur législateur.
11.1. Objection piétiste : L’apôtre Paul souscrit à la liberté religieuse lorsqu’il exhorte « à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. » (1 Timothée 2:1-2).
11.2. Réponse théonomique : Le « nous » qui devons pouvoir mener une « vie paisible » auquel Paul se réfère correspond aux chrétiens, parce que Paul précise que cette vie paisible se caractérise par la « piété », ce qui exclut logiquement le paganisme.
Les chrétiens ont aujourd’hui complètement oublié la distinction entre le pardon spirituel et le jugement civil. Si Dieu pardonne tous les péchés des élus parce qu’ils ont été rachetés par le sacrifice de Christ, ce n’est pas dans le mandat d’un juge civil de pardonner, mais d’appliquer la Loi. La condamnation civile des criminels méritant la peine capitale (prostitué(e)s, blasphémateurs non repentants, etc.) ne signifie donc pas nécessairement leur déchéance spirituelle au moment de leur mort (et dans l’au-delà).
12.1. Objection piétiste : Un mauvais usage de la Loi biblique dans un État chrétien pourrait être dommageable à la réputation du christianisme, il vaut donc mieux s’abstenir d’appliquer la Loi au niveau politique.
12.2. Réponse théonomique : Il est en effet possible qu’une utilisation peu scrupuleuse de la Loi biblique par des chrétiens malhabiles ou des pseudo-chrétiens donne un témoignage infidèle de ce que la théonomie devrait être. Advenant cette éventualité, est-ce que l’application civile de la Loi est caduque pour autant ? Le Livre de Malachie fournit à cet égard un enseignement instructif. Dans un premier temps, le prophète fustige les Hébreux pour leur distorsion de la Loi : « Vous vous êtes écartés de la voie, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour plusieurs, vous avez violé l’alliance de Lévi, dit l’Éternel des armées » (2:8). Le prophète inspiré du Saint-Esprit tire-t-il de ce triste constat la conclusion que l’applicabilité de la Loi doit être rejetée puisque certains en ont fait une occasion de chute ? Non, au contraire, il adresse au peuple de Dieu la perpétuelle remontrance : « Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, auquel j’ai prescrit en Horeb [mont Sinaï], pour tout Israël, des préceptes et des ordonnances » (4:4).
13.1. Objection piétiste : Mais la Bible dit que « Tous ceux qui ont péché sans la Loi périront sans la Loi, et tous ceux qui ont péché avec la loi seront jugés par la loi » (Romains 2 :12), et puisque la loi est difficile à suivre, alors il vaut mieux ne pas essayer de la suivre afin de ne pas courir le risque d’être jugé selon celle-ci.
13.2. Réponse théonomique : Le second chapitre de l’Épître aux Romains est hypothétique, il ne peut donc pas être pris à la lettre. [Ce point sera élaboré prochainement.]
Récapitulatif
En somme, l’avancement du Royaume de Dieu, c’est-à-dire la révérence du Dieu trinitaire et l’obéissance à Sa Loi, ne s’effectue pas seulement à travers la prédication pastorale et l’exhortation fraternelle, mais également par l’application civile de Sa Loi morale pure et parfaite révélée dans la Bible. L’application de la Loi biblique dans le domaine civil sert trois fonctions. Premièrement, le caractère public de la Loi morale glorifie Dieu en proclamant Sa sainteté et Sa justice [15]. Deuxièmement, même si la publicité de la Loi divine court peu de chances de convaincre l’absolue totalité du corps civique, elle établit un cadre favorable à la progression de l’Évangile en protégeant l’Église et en endiguant la dégénérescence sociale. Troisièmement, cette incitation au bien par les instances civiles « peut aller jusqu’à une prise de conscience providentielle qui soit à salut [16] », comme l’exprimait Jean Calvin dans son Institution de la religion chrétienne (II, VII, XI).
+++++
« Tu ôteras le mal du milieu de toi. » (Deutéronome 13:5)
« Je parlerai de tes préceptes devant les rois, et je ne rougirai point. » (Psaume 119:46)
« L’Éternel est dans son saint temple. Que toute la terre fasse silence devant lui ! » (Habacuc 2:20)
« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » (Matthieu 6:10)
[1] « Une transposition purement mécanique des lois bibliques n’est ni souhaitable, ni possible, vu les nombreux changements culturels et techniques qui nous séparent de l’ancien Israël. » | « Il nous faut donc affirmer en même temps l’unité des lois – toutes fondées sur une Loi transcendante unique et normative de tous droits – et la diversité dans la façon d’appliquer les lois […] Il faut donc une unité en ce qui concerne les universaux juridiques (la justice) et une diversité en ce qui concerne les accidents (les mœurs) [applications particulières], une unité essentielle et une diversité existentielle. » Jean-Marc BERTHOUD, Apologie pour la Loi de Dieu, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1996, p. 44 et 94 sur 206.
[2] Pierre COURTHIAL, « La catholicité de la Loi de Dieu. Première séance », Semper Reformanda, consulté le 15 janvier 2013.
[3] Jean-Marc BERTHOUD, Le règne terrestre de Dieu. Du gouvernement de notre Seigneur Jésus-Christ : Politique, nations, histoire et foi chrétienne, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2011, p. 30 sur 615.
[4] Ibid, p. 108.
[5] Ibid, p. 20.
[6] Le théologien réformateur Samuel Rutherford observa que Dieu dote rarement les collectivités humaines de dirigeants politiques de façon immédiate, mais le fait habituellement de façon médiate, par l’entremise de la population concernée. Pierre LURBE, « Résistance et régicide dans Lex Rex (1644) de Samuel Rutherford », Études Épistémè, 15 (2009), p. 36-43. « La royauté est de Dieu, mais les rois viennent des hommes », expliquait ce covenantaire écossais.
[7] Jean-Marc BERTHOUD, Le règne terrestre de Dieu, opere citato, p. 35.
[8] C’est ce modèle combinant une stricte distinction et une étroite collaboration des ministères du glaive et de la prédication qui fut appliqué avec succès par les huguenots pendant la Réformation en Suisse et en France au XVIe siècle. Consultez à ce sujet Robert Dean LINDER, The Political Ideas of Pierre Viret, Genève, Droz, 1964, 217 p.
[9] Jean-Marc BERTHOUD, Le règne terrestre de Dieu, opere citato, p. 32 et 35.
[10] Ibid, p. 57-60 et 77-80.
[11] Ibid, p. 85.
[12] Cet argument très répandu est notamment utilisé par Wayne GRUDEM dans Politics According to the Bible, Grand Rapids, Zondervan Publishers, p. 65-66 et 83-85 sur 624.
[13] Curieusement, ces exemples sont fournis dans ibid, p. 79 et 85.
[14] Pierre COURTHIAL, opere citato.
[15] Pierre COURTHIAL, opere citato.
[16] Pierre BERTHOUD, « Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des réformateurs, et de Jean Calvin en particulier », Revue Réformée, 244 (2007).
Lire également :
- Le chrétien et la Loi de Dieu, par Vincent Bru.
- Les lois peuvent-elles promouvoir la morale ?, par Rousas Rushdoony.