Les fêtes de fins d’années me semblaient déjà loin. Et voilà que la période des soldes battait son plein. Deuxième démarque. Des rabais jusqu’à moins soixante dix pour cent. Tu parles. Comme s’il me restait un seul centime à dépenser pour du superflu. Pas vraiment. Pourtant la semaine de cours à peine terminée, je n’avais qu’une seule idée en tête : m’engouffrer dans les magasins et partir en mission shopping ! Acheter des nouveaux pulls bien chauds, le rêve étant d’en dénicher un en cachemire avec une super réduction… Ou alors des nouvelles chaussures. Une femme a toujours besoin d’une nouvelle paire pour se remonter le moral. Tellement ras-le-bol d’attendre la fin du mois que la paye tombe et renfloue un peu mes comptes. Bref on était samedi midi, la cloche avait sonné, je pouvais enfin ranger mon cartable et partir pour une virée au centre ville.
En voiture je me répétais comme un mantra « Ne te laisse pas abattre, tu vas bien, tout va bien ». J’avais déjà pas mal dépensé depuis le début du mois et je commençais à m’inquiéter de mes crises d’achats compulsifs. Et au diable ce foutu régime ! Pas la moindre envie non plus de me priver de nourriture. Il faisait tellement froid dehors en ce moment, je méritais bien une petite douceur. Je me prendrais bien un cannelé ou deux et puis une bonne part de flan pâtissier. Après tout ce n’était pas ça qui allait me rendre tellement plus grassouillette ni plus pauvre, pas comme cette paire de bottes ash cloutées si jamais je finissais par craquer…
Trois semaines qu’aucun enfant n’avait disparu. Tout le monde n’avait qu’une seule envie. Qu’il soit arrivé quelque chose à ce dingue et qu’on n’entende plus jamais parler de lui. Le glas avait bien assez sonné dans les églises aux quatre coins du pays. Je me demandais, tout en faisant la queue à la boulangerie, comment pouvait-on commettre de pareils actes. Une telle barbarie restait absolument incompréhensible. Qu’est-ce qui pouvait bien engendrer pareille folie, aussi destructrice, aussi sadique ? D’ailleurs à propos de sadisme, beaucoup de gens ne songeaient aussi qu’à la vengeance. Beaucoup de parents indignés, des pères surtout parlaient avec virulence du retrait de la peine de mort. D’autres encore en venaient à souhaiter des condamnations dignes de la torture, s’égosillant qu’un mec pareil méritait de se faire châtrer avant d’être pendu haut et court ! On se serait cru dans une scène de Germinal en entendant certaines conversations…
Enfin moi pour l’instant, ma petite parenthèse de bonheur et de douceur ce serait mon butin récolté chez Paul. En plus des cannelés et du flan, je repartais aussi avec de gros macarons. L’un à la pistache, l’autre à la framboise. J’étais complètement nulle en pâtisseries, par contre pour ce qui était de les dévorer, j’étais très douée ! J’espérais bien que celles-ci allaient me tenir au moins deux bonnes soirées ! Mon Dieu, comme ce sucre me faisait du bien…
Sur le chemin du retour, je passais encore devant le bureau de presse et les unes affichées en devanture me replongèrent dans mes sombres pensées sur le « voleur d’enfance ». C’est ainsi que les journaux l’avaient baptisé. Ou plutôt c’est le surnom que les enquêteurs lui avaient donné, surnom que les journalistes s’étaient empressés de reprendre dès qu’ils en eurent pris connaissance.
Le pervers était particulièrement cruel. Une partie du corps du petit Kyllian avait été découverte par des promeneurs en forêt, légèrement enfouis sous la neige. Là où l’affaire avait pris un tournant particulièrement ignoble fut sans aucun doute le jour où ses organes furent à leur tours retrouvés sur l’étal d’un petit boucher sur un marché de Provence, à plus de deux cent kilomètres du reste de sa dépouille. Quand il s’était rendu compte de la présence d’un gros coeur bien rouge au milieu de ses petits coeurs de volaille, le boucher avait d’abord cru à une farce de ses collègues. Mais en ouvrant sa caisse enregistreuse, une gourmette tachées de sang, reposait sur les billets de cinq euros. Il l’avait sortie de là avec curiosité et en lisant dessus le nom du petit garçon disparu il avait chancelé avant de tourner de l’oeil sous le coup de l’émotion et devant l’oeil ahuri des premiers clients.
Très vite une ambulance et la police était arrivées sur place. Autant pour prendre en charge le malheureux que pour relever son témoignage. L’équipe scientifique avait accompli son travail avec son sérieux habituel, mais des fuites révélèrent au public que le foie, les reins, une partie des intestins et le coeur du garçon avaient été dissimulés parmi les pièces de viande. L’horreur. Le boucher était tombé depuis en dépression et plusieurs de ces clients étaient soudainement devenus végétariens.
Les mots imposés pour la 88ème de Des mots, une histoire étaient : église – attendre – châtrer – midi – pauvre – chose – toujours – diable – alors – envie – décrire – accomplir – étal (et oui, ça faisait longtemps que je n’avais pas tenté l’expérience et là j’ai eu bien du mal à poursuivre la suite de mon petit récit).
Parties précédentes :
-
- Une veille de vacance endeuillée
-
- Jeux d’enfants
-
- Préparatifs
-
- Défi litéraire
Partie 1 : Une veille de vacances endeuillée
Partie 2 : Préparatifs
Partie 3 : Jeux d’enfants
Source illustration : Lemon-blueberry Cupcakes with Egg-free Lemon Curd by Creature Comforts on Flickr.