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Instants critiques

Publié le 16 janvier 2013 par Gjouin @GilbertJouin

Instants critiquesLa Pépinière Théâtre7, rue Louis le Grand75002 ParisTel : 01 42 61 44 16Métro : Opéra
Adaptation de François Morel et Olivier BrocheMise en scène par François MorelAvec Olivier Broche (Jean-Louis Bory), Olivier Saladin (Georges Charensol) et Lucrèce Sassella
L’intention : D’après les échanges entre Georges Charensol et Jean-Louis Bory de l’émission radiophonique « Le Masque et la Plume » sur France Inter dans les années 60-70.
Mon avis : Très honnêtement, je ne m’attendais pas du tout à découvrir ce que j’ai vu. Je m’attendais d’abord à me retrouver entouré de septuagénaires et d’octogénaires, c'est-à-dire de personnes qui, comme moi, avaient été de fidèles auditeurs du Masque et la Plume à la fin des années 60 et durant les années 70. Je m’attendais à me laisser bercer par cette sorte de musique que procure l’écoute d’un vieux microsillon qui gratte délicieusement dans une ambiance tout aussi délicieusement naphtalinée… Et bien, j’avais quasiment tout faux. La salle, comble jusqu’au moindre strapontin latéral, était totalement intergénérationnelle. Et, surtout, la mise en scène et le ton de ces Instants critiquesétaient résolument modernes.
François Morel a délibérément mis de côté l’identité radiophonique de l’émission de France Inter. Il a emmené ses deux critiques dans une petite salle de projection équipée d’une douzaine de fauteuils, fauteuils qui accueilleront tour à tour au gré des scènes les augustes séants de nos deux cinéphiles. Le seul clin d’œil à l’émission est placé en ouverture avec l’arrivée d’une pianiste qui se met à égrener la fameuse météo marine. Cette mutine jeune femme, qui possède un fort joli brin de voix, interviendra d’’ailleurs tout au long du spectacle pour assurer des séquences musicales, voire entraîner nos deux lascars dans de savantes chorégraphies. Chacune de ses apparitions servant ainsi de virgule pour ponctuer les différents échanges entre Charensol et Bory.
Le tout premier, qui a pour thème le film de Jean-Luc Godard Bande à part, débouche tout de go par une dispute. Ce qui nous permet immédiatement de déterminer les profils et les caractères de nos deux critiques. Charensol est plus dans l’imprécation. Il se montre sanguin, vitupérant, voire éructant… Alors que Bory, plus explicatif, essaie d’être complaisant. Mais ce ne sera pas toujours le cas. Il arrive que les rôles s’inversent. Il suffit souvent que Jean-Louis Bory se laisse emporter par la passion ; auquel cas Georges Charensol joue au contrepoids et se révèle alors plus tempéré. En fonction de son humeur, sucrée ou acide, Bory presse tour à tour sa moitié d’orange et sa moitié de citron. Il est en outre le champion de la métaphore exacerbée
Instants critiquesLe spectacle couvre une période de treize ans, de 1964 à 1977. Et ce ne seront pas moins de dix-sept films qui passeront au crible de leurs analyses.On comprend très vite que ces deux là s’amusent. Ils rient d’ailleurs beaucoup ensemble, s’offrant parfois d’irrésistibles fous rires. S’appuyant sur un langage brillant riche en formules et en digressions, on sent qu’il y a entre eux un grand respect. Mais comme ils sont à la fois très joueurs et détenteurs d’un ego surdimensionné, ils adorent adopter des postures dont le trait dominant est la mauvaise foi. La mauvaise foi au service de l’exercice de style. Cela engendre d’homériques joutes verbales. Ce sont deux élégants bretteurs qui ne détestent pas se fendre d’un coup de Jarnac dès que possible.
Ce spectacle à la mise en scène inventive et enlevée se révèle finalement être une vraie comédie. Certaines séquences (celle des Parapluies de Cherbourg, par exemple) sont d’une formidable drôlerie. François Morel a reçu la totale adhésion de ses complices et amis des Deschiens, Olivier Saladin et Olivier Broche. Ces deux excellents comédiens s’en donnent visiblement à cœur joie. Ils savent nous restituer fidèlement les caractères de Bory et Charensol. Tout en étant jamais dans la caricature, ils incarnent néanmoins les deux célèbres critiques avec suffisamment de distance pour faire de ce spectacle une sorte de grand jeu de rôles parfaitement réjouissant.

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