La flamme olympique arrive à Paris dans l’embarras politique et les exhortations de Robert Ménard, reporter sans frontières installé dans la capitale où il poursuit un lobbying intense en faveur des journalistes frappés de censure ou d’emprisonnement, vont à nouveau mettre l’accent sur la répression qui s’exerce au Tibet.
Pour justifier les émeutes qui ont eu lieu à Lhassa et dans d’autres villes de cette région du monde annexée par la Chine communiste en 1951, il n’y a pas de mesure impopulaire à l’endroit de la population locale de la part du pouvoir central pékinois, ni de dégradation brutale de la situation économique avec une disette pour conséquence. Le lent travail de sape et d’acculturation des communistes chinois se poursuit inexorablement aux dépens des Tibétains qui souffrent d’être considérés comme des citoyens de second ordre et qui voient d’un mauvais œil arriver chez eux en conquérants les industriels et commerçants chinois, bouleversant des habitudes ancestrales, des coutumes auxquelles ils sont attachés, atteints jusque dans leur langue à laquelle est préférée le mandarin pour trouver un emploi ou s’adresser à l’administration. À vrai dire, l’économie tibétaine a plutôt profité de la colonisation chinoise, plus encore depuis que la Chine communiste est devenue l’atelier du monde.
Les journées de troubles qui ont remis la question du Tibet sous les feux de l’actualité coïncident avec l’anniversaire du soulèvement du 14 mars 1959 et le voyage de la flamme olympique à travers le monde. Au lieu de : quelles sanctions économiques seraient-elles à prendre afin de faire plier les autorités chinoises ? s’impose donc celle, opportuniste : faut-il boycotter les jeux olympiques de Pékin ? La Chine, en effet, est devenue un acteur économique incontournable pour tout le monde et le premier fournisseur des Etats-Unis. La seule pression qu’il conviendrait de lui imposer est d’ordre moral, l’arme des impuissants.La CIA toujours à la pointe de la lutte anticommuniste :
Les défenseurs de la liberté sont donc prêts à se mobiliser pour jeter l’opprobre sur le pouvoir chinois et la manifestation sportive au retentissement international que constituent les jeux olympiques constituent une opportunité sans égale. Comment, en effet, concilier à Pékin les valeurs de l’olympisme telles que les avait conçues le baron de Coubertin au début du siècle précédent avec les atteintes répétées d’un pouvoir stalinien aux droits de l’homme ?
La CIA, très en pointe dans la promotion des valeurs libérales qui sont à la source de l’essor américain, du combat pour la liberté individuelle et contre le communiste, ne pouvait pas être en reste. Elle a longtemps œuvré pour équiper, instruire et soutenir les opposants au communisme de Mao Tsé-Toung, en particulier au Tibet, et ce dès 1949. Deux ouvrages célèbres ont décrit les turpitudes de l’agence au Tibet à partir de documents déclassifiés à la fin du siècle et d’abondantes recensions en sont faites sur la Toile. Le Dalaï-Lama lui-même a été mis dans une fâcheuse posture au moment où il a dû publiquement désavouer son frère aîné mis en cause pour ses liens avec la CIA. Il est à présent établi que sa fuite en Inde, en 1951, a été organisée par les services secrets américains, qui n’ont eu de cesse ensuite, de l’exhorter à choisir l’exil aux États-Unis.
C’est en 1972 qu’intervient la normalisation des relations entre Pékin et Washington, et les services secrets des deux pays ne peuvent plus œuvrer directement à la déstabilisation du pouvoir adverse. Cette nouvelle donne n’exclut pas pour autant de financer discrètement des officines et des mouvements de protestation, et c’est encore le cas aujourd’hui.
Les fonds secrets d’un généreux mécène :
En avril 2006, le journaliste guévariste Maxime Vivas accuse Robert Ménard et Reporters Sans Frontières de recevoir des subsides octroyés par des officines écrans de la CIA. Le président de l’association ne le nie pas, mais minimise l’importance des fonds alloués, ainsi que l’influence qu’exercent les services secrets dans son organisation. Comme il le clame à cette occasion, les comptes de notre organisation — reconnue d’utilité publique — sont certifiés par des commissaires aux comptes indépendants et publics. En 2005, 52% de nos ressources provenaient de la vente de nos albums photos, 20% du mécénat d’entreprise, 14% de subventions publiques et privées et 7% de dons. Le détail de ces comptes est consultable sur notre site Internet.
En effet, il suffit de se rendre sur le site de Reporters Sans Frontières pour apprendre qu’au nombre des généreux donateurs de l’association, figurent la Fondation Soros, le Center for a Free Cuba, le National Endowment for Democracy, des fondations écrans de la CIA. Selon Maxime Vivas, le NED a versé 40.000 dollars en janvier 2005 à Reporters Sans Frontières, une paille par rapport aux 600.000 euros qu’a offert Sanofi Aventis l’année suivante… Pourtant, ce financement n’est ni anodin ni négligeable, puisqu’il a pratiquement couvert le montant des impôts dus par cette association en 2005. Enfin, ces subsides sont récurrents et parmi les prédateurs de la liberté de la presse que fustige Robert Ménard, on retrouve toutes les têtes de turc de l’Administration américaine.
Il faut dire que l’action tous azimuts des reporters sans frontières est sélective, à tel point que nous avons décidé de dénoncer les atteintes à la liberté de la presse en Bosnie et au Gabon et les ambiguïtés des médias algériens ou tunisiens… mais de ne pas nous occuper des dérives françaises (Marianne 5 mars 2001).
À Londres dimanche, le parcours de la flamme olympique a été perturbé par des militants pour les droits de l’homme à l’appel d’organisations qui, elles aussi, sont notoirement financées par l’agence américaine, et l’on ne peut que craindre que l’orchestration médiatique de la cause tibétaine par des éléments aussi proche des services secrets n’entachent finalement des intentions légitimes.
Philippe Gras
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