Genève au temps de la Réformation
Jean Calvin avait compris que Dieu, dans son amour, n’a pas laissé les sociétés humaines sans loi…
La manière de ce réformateur d’intégrer la parole-loi de Dieu dans sa réflexion sur la société civile et l’action qui en découle a eu un impact significatif dans la vie de la cité, partout où son influence s’est fait sentir. À un tel point que E.G. Léonard, dans son Histoire générale du protestantisme, intitule son chapitre consacré à Jean Calvin : « Calvin fondateur d’une civilisation ».
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Usage politique de la loi divine
Cet office de la loi a pour finalité de contribuer à l’harmonie et à la paix de la cité. Cet usage s’exerce généralement par la contrainte en vue de restreindre la progression et le déploiement du péché et du mal dans la société civile et d’encourager la pratique du bien. En un mot, en suscitant « une certaine crainte de Dieu », cet office est, d’abord, de nature dissuasive. Mais, dans la théologie de Calvin, cet usage assume aussi un rôle prescriptif. En effet, comme l’argumente le réformateur de Genève dans le quatrième livre de l’Institution chrétienne (IV, XX), « la loi morale est le fondement de toutes les lois strictement politiques ». Il s’ensuit que l’Église comme l’individu ont à exercer une responsabilité politique dans la société civile et à contribuer à son bien. C’est ainsi que Calvin écrit: « Néanmoins cette justice contrainte et forcée est nécessaire à la communauté des hommes, à la tranquillité de laquelle notre Seigneur pourvoit, quand il empêche que toutes choses ne soient renversées en confusion, ce qui serait, si tout était permis à chacun » (II, VII, X) C’est ainsi que ce deuxième usage, malgré son caractère contraignant, exerce un rôle positif qui peut aller jusqu’à une prise de conscience providentielle qui soit à salut (II, VII, XI).
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La loi morale, qui représente l’essence de la loi de Dieu, s’incarne dans le Décalogue, lequel est résumé par Jésus dans le sommaire de la loi : aimer Dieu et aimer son prochain. Cette loi morale est normative et est appelée à éclairer tous les aspects de la vie individuelle et communautaire. Ainsi Calvin, parlant de l’équité et de l’ordonnance des lois, dit : « Or puisque la Loi de Dieu, que nous appelons morale, n’est rien d’autre qu’un témoignage de la loi naturelle et de la conscience que notre Seigneur a imprimée au cœur de tous les hommes, il n’y a nul doute que cette équité dont nous parlons maintenant ne soit en celle-ci parfaitement déclarée ; il convient donc que cette équité seule soit le but, la règle et la fin de toutes lois » (IV, XX, XVI).
Source : La Revue réformée
Calvin expliquait plus en détail la mission des magistrats ailleurs dans son maître-ouvrage…
Il nous faut brièvement déclairer quel est l’office des Magistrats, selon qu’il est escrit par la Parole de Dieu, et en quelle chose il gist. Or si l’Escriture n’enseignoit qu’il appartient et s’estend à toutes les deux tables de la Loy, nous le pourrions apprendre des escrivains profanes ; car n’y a nul d’entre eux ayant à trailter de l’office des Magistrats, de faire des loix, et ordonner la police, qui n’ait commencé par la religion et par le service de Dieu. Et par cela tous ont confessé qu’il ne se peut eslablir heureusement aucun régime en ce monde, qu’on ne prouvoye devant tout à ce point, que Dieu soit honoré ; et que les loix qui laissent derrière l’honneur de Dieu pour seulement procurer le bien des hommes, mettent la charrue devant les boeufs.
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Nous avons monstre que ceste charge leur est spécialement commise de Dieu. Comme c’est bien raison, puis qu’ils sont ses vicaires et officiers, et qu’ils dominent par sa grâce, qu’aussi ils s’employent à maintenir son honneur. Et les bons Rois que Dieu a choisis entre les autres, sont notamment louez de ceste vertu en l’Escriture, d’avoir remis au dessus le service de Dieu, quand il estoit corrompu ou dissipé ; ou bien d’avoir eu le soin que la vraye religion florist et demeurast en son entier. Au contraire l’histoire saincte, entre les inconvénients qu’apporte le défaut d’un bon gouvernement, dit que les superstitions avoyent la vogue pource qu’il n’y avoit point de Roy en Israël ; et que chacun faisoit ce qu’il luy sembloit. Dont il estais de rédarguer la folie de ceux qui voudroyent que les Magistrats, mettans Dieu et la religion sous le pied, ne se meslassent que de faire droict aux hommes. Comme si Dieu avoit ordonné des supérieurs en son nom pour décider les différens et procès des biens terriens, et qu’il eust mis en oubli le principal, asçavoir qu’il soit deuement servy selon la reigle de sa Loy.
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Les Rois ne doyvent [...] mettre leur coeur à l’avarice, ne s’eslever orgueilleusement par-dessus leurs prochains ; mais doyvent estre tout le temps de leur vie assiduellement à méditer la Loy de Dieu.
Item, que les Juges ne doyvent décliner en une partie ny en l’autre, et n’accepter présens aucuns ; et autres sentences semblables, qu’on lit communément en l’Escriture. [...] Nous voyons doneques que les Magistrats sont constituez protecteurs et conservateurs de la tranquillité, honnesteté, innocence et modestie publique.
Source : Institution de la religion chrétienne, 1564, Tome II, Livre IV, Chapitre IX.
Et cette application de la loi divine à la sphère politique par les calvinistes genevois a porté ses fruits…
Lorsque ses adversaires politiques [de Calvin], les libertins, sont bannis en 1555, il peut également s’appuyer sur les autorités séculières. [...] Le système de surveillance semble avoir été efficace puisque le taux de naissances illégitimes à Genève est alors le plus bas d’Europe à 0.12 %.
Source : Liens protestants
Le réformateur Pierre Viret élaborât encore plus la doctrine théonomique…
Le réformateur Vaudois, Pierre Viret, nous semble avoir mieux saisi que Calvin, et plus encore que Luther, toute l’actualité et la pertinence du premier usage de la loi, l’usage civil ou politique. Voici ce qu’il dit dans Le monde à l’empire, publié à Genève en 1561 : « Car les princes et les magistrats doivent êtres sujets aux lois, et modérer leur gouvernement selon icelles. Car ils sont, non pas maîtres des lois, mais ministres d’icelles, comme ils sont ministres de Dieu, duquel toutes bonnes lois procèdent. »
Alors, de Pierre Viret il faut lire plus particulièrement son Instruction chrétienne en la Loi et l’Évangile (Genève, 1564), qui n’a malheureusement pas été réédité en français depuis le XVIe siècle [deux tomes d'une série de dix ont récemment été réédités], pas plus d’ailleurs que son remarquable ouvrage sur les Dix commandements, dont je vous livre une citation. Il s’agit de l’introduction. Viret dit ceci :
« Dieu a voulu donner lui-même une loi qui servit de règle à tous les hommes de la terre pour régler l’esprit, l’entendement, la volonté et les affections, tant de ceux qui doivent gouverner les autres que de ceux qui doivent être gouvernés par eux […] Donc, soit que nous voulions bien être instruits pour nous savoir conduire et gouverner nous-mêmes en nos personnes propres, en notre particulier selon droit, raison et justice, ou au gouvernement de nos maisons et familles, ou au gouvernement du bien public, cette loi pourra nous servir de vraies éthiques, économiques et politiques chrétiennes, si elle est bien entendue. »
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Il me semble que dans notre situation aujourd’hui, il serait indispensable que de nombreux intellectuels chrétiens s’attachent à la traduction juridique des lois mosaïques dans le contexte de notre civilisation.
Source : Semper Reformanda
La christianisation du droit occidental s’est faite dans différents milieux et pas étapes successives, na jamais été terminée. La première couche de christianisation de notre droit s’est faite sous l’Empereur romain Constantin Ier à la fin de l’Antiquité. Le Moyen Âge fut témoin d’une autre étape, comme en atteste les nombreuses citations bibliques dans le Code civil émis par l’Empereur byzantin Justinien le Grand. Les Réformations luthérienne puis calviniste furent une occasion supplémentaire de christianiser le droit, et une large part des innovations légales introduites pendant ces Réformations sont encore présentes aujourd’hui dans le Monde occidental, comme l’a magistralement exposé un juriste de Hrvard. Par exemple, le droit de repousser par la force armée des agresseurs dans sa propre propriété, qu’on appel la « castle doctrine » dans la common law anglo-américaine, remonte aux puritains et à la Bible. Le travail serait bien sûr à reprendre.
Consultez également :
- Crime and Punishment in Calvin’s Geneva between February 1562 and February 1563 [Theonomy Resources]
- Le cinquième commandement : fondement biblique de la légitimité de l’autorité des magistrats chez Pierre Viret [Théonomie Biblique]