Je passe deux ou trois fois par mois déjeuner chez ma mère. Le rituel est toujours le même. Je sonne, ma mère vient m’accueillir. Phobos sort de son panier, pousse un miaulement, vient gratter le bas de mon pantalon et fini par jouer avec mes lacets. Une des passions de ma mère est la cuisine. Elle passe beaucoup de temps derrière les fourneaux. Athérosclérose, connaît pas. Elle use et abuse du beurre et des produits laitiers en général. Elle tient cela de ma grand-mère qui, à maintenant 96 ans, continue de boucher ses artères avec sa demi plaquette de beurre quotidienne. Pendant mon enfance et mon adolescence, elle m’a quotidiennement gavé de plats en sauce. L’embonpoint était dans ma famille synonyme de bonne santé. J’étais donc en forme(s) avec un BMI vraiment trop élevé pour mon âge. La vie était injuste: alors que je commençais à être obèse, ma mère gardait une ligne impeccable. Elle faisait partie de ces individus méprisables qui pouvaient se gaver de crème et de chocolat sans prendre le moindre gramme.
Samedi dernier, la table dégueulait une nouvelle fois de denrées hypercaloriques diverses et variées. Entrées gorgées de mayonnaise, salade noyée sous la vinaigrette, raie au beurre noir, fromage, crème aux oeufs et cake. Tout était réuni pour faire exploser mon taux de triglycérides et me plonger dans un profond coma. Je me suis souvenu du jour ou mon ami Jérôme était venu dîner. Ma mère l’avait tellement gavé qu’il avait fini par s’endormir sur le canapé. Il me parle souvent de cette histoire, mi-amusé, mi-gêné d’être tombé dans les bras de Morphée en post prandial alors que ma mère lui parlait. J’ai une nouvelle fois tenté de lui faire comprendre que je n’étais pas une oie qu’elle se devait de gaver et que je ne courrais pas cinq fois par semaine pour tout perdre en quelques minutes. Elle a abattu sa carte “as du volant” en me disant juste qu’elle pensait me faire plaisir. La culpabilisation indirecte marche toujours aussi fort sur moi. J’ai tenté un “c’est la dernière fois, hein”, tout en sachant que lors de ma prochaine visite, le gavage serait encore au programme.
Nous avons comme souvent discuté de tout et de rien, parlé un peu politique et visionné les photographies prises en Chine. Nous avons également abordé le sujet des nouvelles technologies. J’ai enfin réussi à la persuader de se connecter à internet. Je me suis aperçu que Numéricable lui facturait un accès à 20 chaînes du câble pour près de 40 euros par mois. Elle fait partie des Parisiens câblés de la première génération qui possèdent un abonnement depuis plus de vingt ans et qui n’ont jamais pensé à renégocier les services proposés. Quarante euros pour 20 chaînes accessibles gratuitement par la TNT, il ne faut quand même pas pousser mémé dans les orties. Ma douce et tendre môman m’a également demandé de lui apprendre à se servir de son téléphone portable. Si elle comprenait depuis peu comment passer un coup de fil et mettre fin à une communication, elle ne savait toujours pas comme lire et envoyer des SMS.
Je me suis donc amusé avec son téléphone. Le dictionnaire T9 étant une notion trop abstraite pour elle (et il y a peu pour moi), je me suis contenté de lui expliquer comment taper lettres et espaces : taper une fois pour obtenir un « D », trois petits coups consécutifs pour un « F », ou la touche située sous le 9 pour les espaces. Vint ensuite la séance de travaux pratiques. Au bout de dix petites minutes, elle était capable d’envoyer son premier SMS. Il fallait encore qu’elle puisse lire les messages reçus. Son téléphone contenait une grande quantité de messages non lus. Beaucoup provenaient de sa boîte vocale ou de son opérateur. Apprendre à ouvrir, lire, puis jeter, jusqu’au moment où je suis tombé sur un message qu’il m’a partiellement mis dans l’embarras.
« Ma princesse, merci pour cette soirée, je t’aime xxx» (sourire Ginger) J’ai commencé à lui lire pour rapidement botter en touche en lui disant qu’elle savait maintenant parfaitement se servir de son téléphone et qu’elle n’avait dorénavant plus besoin de moi pour lire ses messages.
Je suspectais déjà une « love affair » après être tombé par hasard sur des photographies. Savoir ma mère être une croqueuse m’a partiellement gêné, même si je suis in petto plus que ravi qu’elle entretienne une relation.
Devrais-je lui conseiller de se protéger et lui faire un cours sur le préservatif ?