Yue Minjun, Memory-2, 2000 / Huile sur toile, 140 x 108 cm
Collection de l’artiste, Pékin. © Yue Minjun
En décembre, nous avons eu notre réunion annuelle lifeproof à Paris, ce qui a été l'occasion d'aller visiter l'une ou l'autre exposition telles Hopper au Grand Palais ou encore Yue Minjun. Avec cette dernière, je me suis pris une véritable claque !
Comment des portraits d'un homme souriant largement peuvent devenir sources d'angoisses ? Éléments de réponse avec l'artiste chinois Yue Minjun qui se représente riant dans nombre de ses peintures. La première rétrospective de cet artiste, organisée en Europe, est à découvrir jusqu'au 17 mars 2013 à la Fondation Cartier pour l'art contemporain.
Yue Minjun, The Sun, 2000 / Acrylique sur toile, 200 x 280 cm
Collection privée / © Yue Minjun
L'exposition est visible sur les deux étages de l'espace de la fondation. On y retrouve principalement les grandes peintures de Yue Minjun dans lesquelles le rire est le sujet principal. Il s'agit d'un rire figé qui semble très éloigné d'un rire sincère : dans la plupart de ses œuvres, il se peint, souriant de toutes ses dents en un motif répétitif. Cette figure souriante de l'artiste reproduite à l'infini est angoissante. Yue Minjun est né en 1962 en Chine dans une province près de Pékin. Il a commencé à peindre en autodidacte avant d'entrer dans une école d'art. Il aimait y peindre des grands formats que l'un de ses professeurs considérait comme vides de sens... Après l'école, c'est au début des années 1990, que son style commence à se définir et que le rire fait son apparition comme motif central de sa peinture : mais ce rire est-il vide ou fait-il sens ?
Dans un premier temps, ce sont ses amis qu'il va représenter dans ses œuvres mais, progressivement, c'est lui-même qui va en devenir le sujet : « Les artistes de la Révolution culturelle n'avaient qu'un seul devoir, celui de représenter le président Mao. Il s'agissait d'une mission glorieuse. Or aujourd’hui, non seulement je peux façonner ma propre image, mais en plus je peux l'utiliser dans toutes sortes de scènes. Elle peut même avoir d'autres fonctionnalités encore inexploitées. C'est pourquoi je dis toujours que si l'artiste fait partie du spectacle, il peut ne pas seulement en être acteur, il peut aussi être metteur en scène de sa propre image (...) »* nous dit-il. Ainsi, il se montre mais il le fait d'une façon telle qu'elle interpelle : cette représentation de lui-même ne semble pas réaliste avec une carnation du visage et du corps d'un rose presque fuchsia tellement il est accentué : encore plus rose que les fesses d'un chérubin, cette couleur semble fausse, exagérée comme le sourire. Ce visage de Yue Minjun, les yeux fermés, est déformé par un rire-sourire si large qu'il est crispé. Dans certaines peintures, ce visage riant et bloqué est répété, tellement qu'il finit par devenir foule. Cette dernière remplit l'espace mais un vide émerge de tout ce plein. Il ne s'agit pas d'un vide de sens mais plutôt d'un vide d'âme : cette foule n'est constituée que d'une seule et même personne, comme si les différences existants entre chaque être étaient gommées pour abolir l'idée même d'individualité.
Yue Minjun, The Execution, 1995 / Huile sur toile, 150 x 300 cm
Collection privée / © Yue Minjun
La répétition de ce motif du rire forcé engendre l'angoisse et dresse un mur : on ne peut voir ce qui est au-delà, ce qui se cache derrière ce masque souriant : de la tristesse, de la résignation ? Au début des années 1990, en Chine, se développe un courant artistique appelé réalismecynique qu'avait rejoint Yue Minjun. Les membres portent un regard plus critique et beaucoup moins idéaliste sur leur société à un moment où la Chine commence l'ouverture de son économie au marché mondial. Il dit à ce propos : « c'est pour cela que le fait de sourire, de rire pour cacher son impuissance a [une grande] importance pour ma génération »*. L'acte de créer, de peindre peut devenir alors un geste politique : les œuvres de Yue Minjun parlent d'un monde où la communauté prime sur l'individualité et où les différences sont difficilement acceptées. Au sous-sol de la fondation Cartier pour l'art contemporain, des tableaux traditionnels chinois sont reproduits mais modifiés par l'artiste. Il les a vidés. Ainsi, on ne voit plus les le peuple représenté dans la peinture The Founding Ceremony of the Nation (1953) de Dong Xiwen par exemple. Que serait la Chine si personne ne s'était rendu à cet endroit ce jour-là ? Peut-être aurait-elle un autre visage et que ce dernier aurait un sourire sincère...
Yue Minjun, sans titre, 1994 / Huile sur toile
Collection privée / © Yue Minjun
En 1999, il participe à la 48è biennale de Venise, il acquiert alors une renommée internationale et entre dans certaines de collections les plus prestigieuses à travers le monde. Il trimbale, sa tête (sous)riante sous le bras à travers la planète, démontrant, via ses œuvres, l'absurdité d'un monde ambivalent : une Chine en pleine expansion et, dans un même en temps, essayant de limiter les libertés individuelles. Il s'agit d'une œuvre forte, angoissante, qui interpelle : puissante par la répétition, à voir et revoir jusqu'au 17 mars 2013.
*Source: Entretien avec Yue Minjun par Shen Zhong (catalogue de l'exposition)
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"Yue Minjun, L’ombre du fou rire" : du 14 novembre au 17 mars 2013 à La Fondation Cartier : 261, boulevard Raspail, 75014 Paris. Tél : 01 42 18 56 50
Tous les jours, sauf le lundi, de 11h à 20h. Nocturne le mardi jusqu´à 22h.Tarifs: 9,50 euros. Tarif réduit : 6,50 euros (étudiants, moins de 25 ans, carte Senior, Amis des Musées, demandeurs d´emploi)
Cécile