Live is life.
Croyez-le ou non mais depuis que la critique rock constitue mon unique horizon, j’ai été amené à vivre – et ils sont trop rares – de grands, de très grands concerts. Découvrir Elvin Jones, Wayne Shorter ou encore Magma en « live » – et donc alive, vivant – modifie en profondeur votre perception de la musique qui trop souvent se limite au format du disque. La musique est ainsi un spectacle de plein air, même en vase clôt, un acte concret, spontané, une convulsion naturelle que les répétitions n’arrivent jamais vraiment à contrôler. Le passage éclair de Django Django au Trianon fut tout simplement la meilleure performance – et je pèse mes mots – à laquelle il m’ait été donnée d’assister. Ceci n’est pas à prendre à la légère. Trop souvent les groupes se contentent de rejouer à la note près leurs albums, trop souvent le concert s’apparente à une formalité presque commerciale. Et pourtant, à l’heure de la crise du disque et du téléchargement illégal, le live est devenu pour beaucoup – les formations indie notamment – un enjeu crucial, le théâtre d’une entreprise de séduction inédite, bref, le haut lieu de la méritocratie pop. C’est alors que débarquent les quatre de Django Django, quatre de l’Apocalypse. Leurs visages poupins et leurs coiffures proprettes – en somme leur élégante désinvolture – pourraient dérouter. Voire, susciter la méfiance. Un à priori immédiatement dissipé. Même si Django Django se trouve au stade relativement confortable du premier album achevé, emballé – et emballant, la hype ayant fait son job – le quatuor a rodé son show une année durant – le mot n’est ici pas innocent – et chacun de nous ce soir en a eu la preuve, que dis-je, la sensation – là encore un mot essentiel s’agissant de leur musique. Organique, vibratoire, elle vous enveloppe, vous remue, vous pousse dans vos ultimes retranchements au point d’extraire de votre corps chaque membre qui devient dès lors autonome. Toute forme de résistance est inutile. Le plus frappant tient dans l’extrême maîtrise dont ces jeunes musiciens témoignent. Juchés sur leurs instruments, ployés au dessus de leurs machineries étranges, ils sont littéralement habités par leurs chansons, les lisent puis les tirent vers des sommets qui ne sont pas sans rappeler, dans un autre genre mais avec la même démarche, les improvisations dilatées du Grateful Dead. Pour dire les choses autrement, chaque garçon constitue la variable connue d’une équation musicale moins simple qu’il n’y paraît, malgré son affriolante immédiateté. Folie sonore lorsque le lead guitarist empoigne ses maillets pour frapper les peaux d’un tambour énorme dans une logique tribale, percussive qui est le prolongement physique de la musique électronique dont le groupe s’est fait l’un des porte-drapeaux les plus inspirés. À ce moment précis, nous sommes tous projetés dans un autre espace-temps. Osons une comparaison : avec Django Django nous revivons l’esprit des grandes kermesses rock comme à Woodstock où la jeunesse communiait sans différence aucune, effaçant les origines sociales, les parcours, les petites destinées. Pas d’exception ici au Trianon. La foule ne fait qu’un bloc. Mouvant. Ondoyant. Elle semble même connectée à la scène, aux ordinateurs et donc, par extension, au groupe. Chaque sonorité, chaque impulsion est pareille à un coup de défibrillateur. Sous les vêtements griffés les chairs frissonnent. Comble de la jouissance, le groupe a intégré à son dispositif scénique trois écrans diffusant clips arty et images impressionnistes. Ainsi, le spectacle est total. Et malgré une durée relativement courte – une petite heure – on ressort de cette expérience comme transfiguré. Oh, je ne ferai pas étalage des conditions techniques, le Trianon offrant une acoustique excellente, quasi parfaite en plus de dérouler le faste qu’il réservait jadis aux représentations théâtrales. Théâtre. Un mot assez juste au final. L’art de Django Django étant à la fois musical et visuel. Tout sauf virtuel donc. Un paradoxe au vu de son ascendance électronique. Le plaisir quant à lui fut charnel. ÉLECTRIQUE.
15-01-2013 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 1 fois | Public Ajoutez votre commentaire