Ce soir c’est la première de Don Quichotte au Théâtre de Chaillot. Autour de moi, des familles, des grands-mères, des enfants même assez jeunes, des classes d’adolescents agités. Un certain éclectisme déjà dans la salle.
Certains ignorent ce qu’ils s’apprêtent à voir, ils s’étonnent en parcourant rapidement le programme. A l’inverse, j’attends ce moment avec impatience.
Ce soir donc, il s’agit d’une réinterprétation du ballet classique de Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus. Il s’agit là d’une belle relecture de la pièce originale : José Montalvo conserve ainsi la musique originale à multiples reprises, il présente des morceaux authentiques qu’il agrémente de danses hip-hop ou d’influences autres. Il est aidé pour cela de Carole Arbo, ancienne danseuse étoile de l’Opéra de Paris. Il confie lui-même que son intension chorégraphique est née du savant mélange entre cette nouvelle lecture du Ballet de Petipas d’une référence au cinéma burlesque, à la commedia dell’arte revue à la lumière des danses urbaines et d’un certain hommage à Louis de Funès.
Ici Don Quichotte est tenu par le truculent Patrice Thibaud, comédien savoureux et ici chef d’orchestre au sens propre de cette myriade de danseurs d’horizons colorés. Maestro qui mélange à la gestuelle normée du chef d’orchestre, des manières plus ordinaires empruntées à la vie de tous les jours. C’est lui notre fil rouge, qui donne son approbation aux mouvements de la danseuse classique qui présente les variations du ballet d’origine, et qui à l’inverse critique ses écarts plus modernes, c’est lui qui participe aux numéros des danseurs, et singe gentiment leur gestuelle. C’est lui encore qui introduit le questionnement, la dérision et le rire qu’il provoque chez le spectateur. On apprécie ses interventions et ses intermèdes dans lesquels il est accompagné d’un Sancho Panza brillant (Simhamed Benhalima, dit Seam Dancer), dont les mouvements tournoyants, rappellent sa quête initiale. Dès le départ d’ailleurs, par un jeu de mains simple mais étonnant, Patrice Thibaud montre qu’il suit le langage corporel ambiant.
Cette expression multiple est d’ailleurs un beau discours qui cherche à s’inscrire dans un quotidien actuel. Par les danses et les influences en présence d’abord (danses urbaines et entre elles le krump, flamenco, claquettes, ou danses plus latines), mais aussi par le travail réalisé dans le métro parisien. Mises à contribution, les stations, les quais et les couloirs de Saint-Lazare, Porte des Lilas notamment. Dans ce décor familier, les artistes se sont réappropriés les affiches 4 par 3 et en deviennent les égéries, ils apparaissent dans le flux ininterrompu des escaliers roulants en tenue de danse, l’illusion de notre héros se matérialise, et notre Don Quichotte fait face aux voyageurs chevauchant tantôt un poney, tantôt une rampe d’escalator. L’absurde s’immisce avec finesse dans notre univers. La stratification de l’espace scénique en même temps que cette interprétation de la réalité instille à merveille le message de Don Quichotte.
Pendant une heure vingt, nous verrons des alliances étonnantes comme le dialogue virtuose des frappés de pieds du danseur de claquettes et de la danseuse de flamenco. Dans cette conversation de rythme, chacun des danseurs énonce le même son, mais avec une expression corporelle propre à chacune des danses. On regrette un peu de n’avoir pas eu davantage de moments semblables où la fusion des danses trouve une certaine unité dans un langage purement corporel. Mais on apprécie les interventions des artistes, dans des danses qui ne sont pas les leurs : le danseur classique qui esquisse des mouvements de danse urbaine avec brio par exemple. Enlevée, la pièce est bien rythmée et pour cela on peut s’en remettre à Warenne Adien dit Desty Wa. Il mène ainsi dans une variation intimiste un petit groupe de danseurs à parcourir l’espace de la scène progressivement. On peut aussi se fier au roulement précis des castagnettes de Sharon Sultan. Pourtant, à certains moments la frénésie des gestes nous perdent un peu, et on apprécie les moments plus calmes, qui viennent contrebalancer la cadence. Certains duos laissent sans voix, devant une esthétique indiscutable, et une telle délicatesse des mouvements. Dans ces moments de grâce, on sent la symbiose des danseurs, on partage leur aisance, leur interprétation légère. Dans la fusion réussie, on regrette cependant n’avoir pas exploré davantage le potentiel de certains des danseurs que l’on voit un peu toujours dans le même registre, alors qu’on soupçonne davantage de leur part. A l’issue du spectacle, le public est conquis, et le message est passé : kaléidoscope des danses et des gestes, mélange du réel et de l’illusion, et surtout bel hommage au ballet classique, l’ensemble transporte.
A voir :
Don Quichotte du Trocadéro de José Montalvo
Du 11 janvier au jeudi 7 février 2013
Au théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro
75116 Paris
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