« J’ai vu arriver une petite mamie de 70 ans qui a attendu que son mari décède pour venir se faire tatouer le prénom de ses enfants », raconte David, de Badabing Tattoo. Hier apanage des « mauvais garçons », taulards, bikers et autres punks, le tatouage est en pleine démocratisation. Le nombre de salons de tatouage explose. En France, on comptait quinze boutiques en 1982 contre plus de trois mille en 2012. Un Français sur dix déclare s’être fait tatouer : « L’image a changé surtout grâce aux médias, aux stars, aux footballeurs et aux mannequins qui exhibent leurs tatouages », explique Christopher, d’Inksteel, tatoueur depuis plus de trente ans dans le centre-ville de Montpellier. Du coup, aujourd’hui, on se tatoue à tout âge, même si les jeunes sont majoritaires : un jeune sur cinq âgé de 25 à 34 ans possède un tatouage contre 12 % des 35-49 ans.
Embellir ou provoquer
Le critère homme/femme n’est plus opérant puisque 9 % des femmes sont tatouées contre 11 % des hommes. On tatoue aussi toutes les catégories professionnelles, du commissaire de police à l’infirmier en passant par l’avocat.Pratique ancestrale, tour à tour rite initiatique, signe d’identité ou marque protectrice, le tatouage s’est développé en marge de la société occidentale pour y revenir aujourd’hui par le biais du Body Art, une version moderne et esthétique du tatouage ; moyen de revendiquer son originalité, de s’embellir ou de provoquer. À 30 ans, Julien, de Te Mana Tattoo, est spécialiste du tatouage polynésien : « Je reçois seulement des passionnés, car les motifs polynésiens sont souvent imposants. Parmi eux, des notaires, des anesthésistes et même un pasteur! Cela semble être leur folie personnelle, un moyen de se lâcher. J’ai même tatoué ma mère, qui a 60 ans, sur les deux bras. »
« Aujourd’hui, on ose davantage, confirme David. On s’adapte à la demande en personnalisant selon le client. Pas question de faire du copier-coller. Il y a une partie créative importante. » Christopher apprécie peu que les clients arrivent avec une photocopie d’un motif trouvé sur Internet ou sur l’épaule d’une star : « Je leur conseille alors de s’acheter un tee-shirt, c’est moins définitif, comme ça ils pourront changer lorsque la mode changera. Et puis aujourd’hui tout le monde vient avec le même motif. C’est stupide, un tatouage ce n’est pas pour ressembler à quelqu’un d’autre, au contraire ! Ça doit être aussi différent que nous le sommes les uns des autres, cela parle de soi. »
Pour lui, la bonne question à se poser est de savoir si l’on veut garder le motif choisi toute sa vie. Et pour éviter les drames psychologiques, il refuse de tatouer les mineurs, les mains, le visage et les doigts : « Ce sont des endroits que l’on ne peut pas cacher et les gens ne se rendent pas toujours compte des difficultés qu’ils pourraient rencontrer pour postuler à un emploi ou trouver un appart ! »
La peau vieillit
David, qui se considère plus artisan qu’artiste, refuse aussi certaines demandes : « C’est un marquage sur le corps de ses amours, ses passions, ses révoltes, mais c’est un marquage pour la vie et le corps bouge et la peau vieillit. Il faut une certaine maturité pour prendre une décision qui est censée être définitive. De la même manière, si une personne hésite, je lui conseille de reporter sa décision. »
En plus du choix du motif se posent aussi les questions de la taille et de l’emplacement du tatouage : « Le tatouage polynésien se prête plus aux grosses pièces car il est adapté à une morphologie et mieux vaut, si on est décidé, une grosse pièce qu’une multitude de pin’s. »
Cette dernière question dépend aussi beaucoup de l’environnement professionnel de l’intéressé : « Certes le tatouage est passé dans les mœurs, résume David, mais dans certaines limites. Dans certains contrats de travail, il est d’ailleurs inscrit « sans tatouage, ni piercing. »
Greg, un audioprothésiste corse, reconnaît qu’il se limite pour des raisons professionnelles : « J’ai affaire à un public d’un certain âge. Des tatouages apparents pourraient faire fuir ma clientèle. Alors mes tatouages s’arrêtent sur le haut du bras. » Enfin il faut compter sur un bon budget, car un tout petit tatouage professionnel ne coûte pas moins de 80 € et les tarifs sont sans limite si l’on considère, par exemple, qu’il y a plus de 80 heures de travail sur un dos.
« J’avoue que c’est un cercle vicieux, raconte Sophie, la femme de David. Lorsqu’on est sûr de son choix, on assimile très vite son nouveau tatouage et on ne le voit plus tellement, il fait partie de soi. Du coup on se met à penser au suivant… et on ne s’arrête pas. »
Risques sanitaires
Et si malgré tout, on vient à regretter son tatouage, deux solutions : le recouvrement ou cover-up, consistant à tatouer un nouveau motif sur l’ancien, ou le détatouage au laser. Restent deux questions : quels sont les risques sanitaires du tatouage, et le détatouage, est-il aujourd’hui fiable et sans danger ? Pour le docteur Régine Bousquet, dermatologue, le risque principal est infectieux : « C’est essentiellement un risque de contamination par les virus, d’où la nécessité d’un matériel stérilisé par autoclave. Même si c’est rare, l’infection, lorsqu’elle arrive, est forcément grave car cela concerne le sida, l’hépatite B et C. »
Il y a déjà plusieurs années, le Syndicat national des artistes tatoueurs, le SNAT, a réagi en créant un manuel « assurance qualité » comme garantie d’un travail bien fait, en collaboration avec des chirurgiens, médecins et dermatologues. Les pouvoirs publics, quant à eux, ont réglementé le secteur en rendant obligatoire une formation aux conditions d’hygiène et de salubrité.
Source: La gazette