La journée avait pourtant bien commencé. Ultime avait ouvert les yeux en même temps que son sourire peu après cinq heures, après une nuit correcte, si on n’est pas puriste.
Une fois l’enfant rassasiée, je rejoignis le Jules qui comatait devant les infos, café à la main. Et ce que je vis m’atteignis en pleine face, comme s’il avait fallu attendre de voir ces images pour réaliser pleinement. La guerre quelque part? La pauvreté sous la neige? Que nenni. Les gens dans la rue. Tout sourires, balade dominicale des bien-pensants.
La « manif pour tous ». (Ou contre certains?)
Soudain, la tristesse m’envahit.
Des centaines de milliers de personnes, peu importe le nombre exact, défilent en criant au respect la démocratie, au vu de leur nombre. Au passage, l’exercice de la démocratie a eu lieu en mai 2012, pour rappel. Et ce jour-là, les manifestants-votants étaient autrement plus nombreux.
Au-delà du motif officiel de cette manifestation, le mariage, transpire avant tout la préoccupation chez les manifestants de la question de la filiation.
Au-dessus de leur tête flottent des drapeaux blanc et rose, où est représentée l’archétype de la famille parfaite contemporaine: un papa, une maman, un fils, une fille. Oui, si tu n’as fait que des garçons, ou que des filles, ou plus d’enfants, clairement, tu as raté ta vie.
Une banderole m’interpelle: « Un papa, une maman: on ne ment pas aux enfants »
Mais qui a parlé de mentir aux enfants? Croient-ils encore aujourd’hui qu’ils naissent dans les choux ou dans les roses? Ment-on à un enfant adopté sur ses origines? Certes, en 2013 et pour de nombreuses années encore j’imagine, la procréation nécessite l’intervention de deux personnes de sexe opposé. Mais élever un enfant n’est-il pas avant tout l’aimer? Et cela, n’importe qui peut le faire.
« Demande aux enfants des orphelinats ce qu’ils en pensent! » me rétorqua-t-on vivement ce matin. Je ne veux pas m’avancer, mais j’imagine que si effectivement on leur demandait, ils répondraient: « sortir d’ici, et être aimé ». Et s’il venait à répondre « un papa et une maman », je pense sincèrement qu’il ne reproduirait là que le cliché véhiculé par les adultes qui s’occupent de lui.
J’ai du mal à saisir où se situe réellement le problème. Que ces manifestants, à qui, bien sûr, il ne pourra jamais arriver d’avoir un proche homosexuel, désirant se marier et/ou avoir des enfants (ou pas), sont réticents à l’idée de devoir expliquer à leurs propres enfants pourquoi leur petit copain de classe a deux papas ou deux mamans? Les enfants ne jugent pas, si les adultes ne jugent pas. Les enfants ont besoin de mots qui expliquent, qui parlent d’amour et de tolérance. Et ça, je pense très fort que les enfants de couples homosexuels ont un train d’avance sur les autres. Forcément.
Les droits des enfants, ce n’est pas d’avoir un papa et une maman (sinon pourquoi autoriser -hypocritement- la PMA et l’adoption aux célibataires?). Le premier droit d’un enfant, c’est d’être aimé. Le droit, bizarrement, le plus bafoué. Parce qu’il ne suffit pas de nourrir un enfant ou de lui fournir un toit et une montagne de jouets pour le rendre heureux. Un enfant élevé par ses grands-parents peut être tout à fait heureux, comme un enfant élevé par un couple hétéro- ou homosexuel. A condition qu’on ne lui mente pas. Il y a tant d’autres manières de mentir aux enfants, tant d’autres situations, a priori normales (« qui entrent dans la norme ») où l’on cache ses origines réelles à un enfant, que je me plais à imaginer que ce mensonge-là est le dernier qu’on lui ferait.
Qui plus est, combien de milliers d’enfants ont déjà « deux papas » ou « deux mamans » (sans parler des familles recomposées pour qui c’est un état de fait non contesté, ah tiens, et pourquoi pas? ) et vivent, actuellement, dans une totale insécurité affective dans le cas d’une séparation ou d’un décès? Nier l’un de leurs parents leur est-il plus favorable, n’est-ce pas aussi un peu nier leur existence propre? Comment peut-on alors prétendre protéger tous les enfants en refusant ce mariage? Qui cela met-il en danger?
Je viens d’un pays où le premier article du certificat d’us et coutumes dit en toutes lettres: « le mariage est autorisé entre deux personnes de sexe opposé ou de même sexe. » depuis une quinzaine d’années je pense. Je ne me souviens pas de vagues de protestation. Et il ne me semble pas que la société y parte à vau-l’eau, ni que les enfants y soient plus malheureux qu’ailleurs – du moins, pas pour ces raisons-là.
L’essentiel est-il dans ce débat? Oui, s’il s’agit de défendre les mêmes droits pour tous. Les Hommes naissent libres et égaux en droits. Tout simplement.
Pour tous.