Après
Xiaolin Xiaoli, Miaoyan Zhang livrait comme deuxième
long-métrage
Black Blood (2010). Le
cinéaste chinois y dénonçait la condition paysanne et le scandale du sang
contaminé. A travers Xiaolin, le personnage interprété par Danhui Mao, narre,
dans une campagne reculée, le récit d’un paysan pauvre qui pour subvenir aux
besoins de sa famille (une femme et une fille) vend son sang à un démarcheur. Xiaolin
boit de l’eau à s’en crever la panse pour fournir toujours plus de sang, sous
les plaintes d’une femme qui s’alliera par la suite à cette cause désenchantée.
Alors qu’ils parviennent à gagner assez d’argent pour acheter un mouton,
Xiaolin décide de se lancer dans le commerce des transfusions sanguines. Aidé
de sa femme, Xiaolin prospère tranquillement grâce à cette petite entreprise familiale
et possède bientôt un important troupeau de mouton…
Au milieu d’un paysage désolé, de cette campagne
perdue où rien ne semble exister, des âmes errantes tentent de survivre par les
moyens qui sont à leurs dispositions. Cette survie,
Black Blood nous la montre par une âpreté glaçante. Elle se résume
à l’unique chose que tout individu a : son corps et en particulier son
sang. Cette « marchandise » est la seule valeur marchande que
possèdent ces habitants isolés, loin des informations propagandistes du Parti
crachées par les enceintes de la radio de Xiaolin. Ce dernier se perd dans une
course effrénée, s’enivrant toujours plus d’eau, synonyme de plus de sang et par
extension de plus d’argent. Une course désespérée pour l’argent qui leur
permettra, ainsi que sa famille de se sortir d’une misère omniprésente. La
caméra de Miaoyan Zhang se fixe alors. Le récit est empreint d’un cynisme
effrayant, et l’on découvre amèrement le cycle de la vie qui fait évoluer ses
personnages pour mieux les écraser par la suite. La réussite de Xiaolin n’est
qu’un leurre qu’une fatalité frappe sans discernement. Sa petite entreprise lui
permet de troquer vélo contre moto, de s’habiller d’un costume/cravate ou bien
d’acheter une cuvette de toilette, signe de modernité au milieu de l’étendue
aride et reculée. Mais bientôt, s’invitent les conséquences de cette
« réussite ensanglantée » : la maladie. Le SIDA contamine à chaque
transfusion sanguine et achève tout espoir d’une meilleure vie.
En mettant en scène
Black Blood, Miaoyan Zhang signe un drame que l’on pourrait presque
qualifier de film d’horreur. Ce ressenti est renforcé par les images
terrifiantes des conditions de vie de ces chinois qui semblent abandonnés à
leur sort. Le corps de Xiaolin, autant qu’il puisse boire de l’eau semble un
corps mort, inerte, qui se traine tant bien que mal dans des décors vétustes.
Plus tard, ils seront à l’image du commerce florissant de Xiaolin et de cette
queue humaine zombifiée qui grandit, dans l’attente, non pas de trouver du sang
pour se nourrir, mais bien de livrer son quota de sang contre quelques billets.
Le film d’horreur prend ici d’autres codes tout en préservant un univers qui
met mal à l’aise, notamment par son atmosphère en suivant des vivants déjà
morts. Par exemple, on ne verra jamais une goutte de sang. L’auteur est trop
pudique pour nous montrer les transfusions sanguines de la mort comme il
utilise des ellipses lourdes de sens et de propos. La photographie en noir et
blanc de Miaoyan Zhang renforce cette vision d’horreur où s’invite en tout et
pour tout deux plans en couleurs, également sombres dans leur façon de
dépeindre la situation ambiante. Les contrastes du noir et blanc sont
travaillés comme la composition du cadre, livrant des plans-séquences tirés en
longueur. Ces choix appuient l’agonie que vivent les personnages à l’écran que
l’on sent condamné. Il y existe alors un certain malaise à suivre ces vies qui
s’effritent et que l’on sait par avance destiné à périr.
On ne sort pas indemne d’un film comme
Black Blood. Son aspect est rêche, son
propos dur. Mais il dégage une ampleur poétique qui trouve peu de comparaison.
Certes le film est miné par des longueurs et une forme qui n’est pas facile
d’accès mais l’effort de l’appréhender, c’est entrer de plein
pied dans une expérience tragi-comique à part entière.
Ce long-métrage est à découvrir
dans le DVD édité par
Spectrum Films. Il est accompagné d’une introduction du réalisateur et de la bande
annonce.
I.D.