Critiques / Opéra & Classique Par Caroline Alexander,
J'y serais bien allée moi aussi à Bruxelles, voir la Traviata à la Monnaie et Pascal vient de me dire , qu'il serait venu avec moi.... L'Opéra fait beaucoup plus de vagues dans le public d'amoureux de l'Opéra, qu'au Théâtre.
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La Traviata de Giuseppe Verdi De l’art de dévoyer
Rendre compte d’un spectacle en fin de parcours, alors qu’il a quitté l’affiche, peut s’avérer intéressant quand le spectacle en question a provoqué, à sa création, remue-ménages et remue-méninges divers. L’absence d’urgence accorde un temps de réflexion. C’est le cas de cette Traviata de Verdi qui, au début décembre 2012 à La Monnaie de Bruxelles, fit couler beaucoup d’encre et de fiel.
La Traviata ! Le nom seul de l’héroïne « dévoyée » que Verdi tira de « La Dame aux Camélias » d’Alexandre Dumas attire les foules et garantit à la maison qui la programme de faire le plein. Comme la Carmen que Bizet dénicha dans une nouvelle de Prosper Mérimée et qui devint l’opéra le plus joué au monde. Les directeurs d’institutions lyriques connaissent leur cible. Pratiquement dès l’ouverture de la location tout est complet. Même si la première est chahutée, abonnés et spectateurs occasionnels viennent occuper leurs places jusqu’à la dernière représentation.
Ainsi, pour des raisons diamétralement opposées, Carmen à Paris (voir WT Carmen de Georges Bizet d’après la nouvelle de Prosper Mérimée du 6 décembre 2013) et La Traviata à Bruxelles soulevèrent des tempêtes de protestations. Tandis qu’on déplorait à Bastille la platitude d’une mise en scène sans relief, on s’offusquait à Bruxelles de partis- pris d’un goût douteux. A tel point que Peter de Caluwe, patron de la maison, prit la précaution de distribuer à son public un avertissement sous forme de tract pour dédouaner la production du sujet qui fit scandale : la présence d’une petite fille au cours d’une scène de débauche sadomasochiste censée représenter, à la fin du deuxième acte, le célèbre bal chez Flora. Selon lui, il ne s’agirait que de théâtre, un théâtre en miroir de notre société de consommation où les enfants se trouvent « en confrontation constante au sexe, à la violence, l’argent, la négation de la dignité humaine » (sic).
Dont acte. L’auteur de l’adaptation à scandale de La Monnaie s’appelle Andrea Breth, metteur en scène vedette en Allemagne, qui avait déjà dans le même théâtre collé des visions d’apocalypse sociale sur une Katia Kabanova de Janacek de fâcheuse mémoire (voir WT Kat’a Kabanova de Leos Janacek du 2 novembre 2010). Elle aime scruter les œuvres à la loupe de la déchéance, transposer les faits racontés en faits divers, de préférence sordides.
Courtisane, demi-mondaine, escort-girl
Qui est, Violetta, ex-Marguerite Gautier, surnommée par Verdi « celle qui est de travers, qui ne marche plus droit" ? Une jolie femme entretenue pour un ou des amants qui lui offrent un grand train de vie. On l’appelait courtisane à la mi-temps du 19ème siècle. Quelques années plus tard elle allait devenir une « demi-mondaine ». Andrea Breth en fait une putain d’aujourd’hui. Une « escort girl », prostituée de luxe qui, de vitrines en parties fines, œuvre au service de la clientèle friquée d’hôtels étoilés.
Pourquoi pas ? Les transpositions, grands écarts dans le temps et l’espace, de sujets de théâtre ou d’opéra sont monnaie courante depuis une quarantaine d’années. De Patrice Chéreau à Krzysztof Warlikowski, on a assisté aux « rajeunissements » du répertoire les plus divers, des plus poétiques aux plus provocateurs ou farfelus. Chaque metteur en scène lui imprime sa spécificité. Celle d’Andrea Breth semble naître d’un réalisme radical doublé d’un besoin de démonstration. Une allusion stylisée ne lui suffit pas. Elle lui faut étaler visuellement les preuves des transferts qu’elle opère.
Ainsi l’objet du litige, le bal chez Flora. Le chœur qui forme la foule des invités est relégué dans la fosse (en soi, une aberration musicale). Sur la scène dépouillée de mobilier des figurants arborant des accessoires de cuir sur leurs corps nus, miment des poses de relations sexuelles. Un homme fait sauter une fillette dans ses bras, la prend sur ses genoux, puis la laisse seule au fond d’un fauteuil à observer les protagonistes du drame qui oppose Alfredo, l’amant meurtri, à Violetta qui vient de l’abandonner malgré elle.
C’est la scène du scandale. Il y en a d’autres. Par exemple à l’acte I, chez Violetta : on n’est plus dans un appartement cossu mais dans un bordel surplombé de vitrines exhibant des filles en poses suggestives. Et, pendant que Violetta chante son premier grand air – le sublime « E strano » -, une pute grassouillette – qui deviendra Annina, sa femme de chambre-servante - titube ivre morte en remontant ses bas filés. Où à l’acte III quand Violetta a tout perdu. Elle git sur le trottoir. Sur l’ouverture, on aperçoit, entre deux pans de mur, Annina qui pratique une fellation rythmée au docteur venu examiner la mourante. Puis, alors qu’elle agonise sur le trottoir, une clocharde SDF affalée à quelques mètres se drogue en se piquant.
Dommage
C’est dommage à plus d’un titre. La scène reste bouleversante, car Andrea Breth sait diriger ses interprètes, la direction d’acteurs, elle connaît. Tout comme au deuxième acte, où la confrontation entre Violetta et Germont père devient un modèle de justesse tout en se situant à contre courant de la tradition, avec un Germont encore vert et manipulateur. Le baryton américain Scott Hendricks s’y révèle plus subtil que son personnage. Dommage encore pour l’ensemble d’une distribution de très bon niveau où l’on savoure la grâce de la jeune soprano slovaque Simona Saturova qui colore sa Violetta – une prise de rôle – de teintes mozartiennes, où l’on découvre la fougue juvénile de Sébastien Guèze, Alfredo à peine sorti de l’adolescence, encore un rien brouillon. Dommage toujours pour la direction incisive d’Adam Fischer
Inutile
C’est inutile surtout. Faut-il pour asséner son savoir faire recourir aux recettes d’une pornographie à bon marché sans lien avec l’œuvre qu’elle illustre ? Andrea Breth a des talents qu’elle dilue. Elle connaît la scène mais tourne le dos à quelques règles élémentaires, notamment en introduisant dans les moments les plus pathétiques des personnages parasites qui en détournent l’attention et l’émotion.
D’une idée pas nouvelle mais toujours intéressante – ramener le drame vers notre monde -, Andrea Breth fabrique une sorte de catalogue des clichés de la provocation. La direction de La Monnaie (propos de Romeo Castellucci et Olivier Py) nous assure, pour nous rassurer, que ce n’est que du théâtre. On pourrait lui répondre que de l’art du théâtre, on peut attendre mieux.
La Traviata de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après « La dame aux camélias » d’Alexandre Dumas. Chœur et orchestre de La Monnaie, direction Adam Fischer, mise en scène Andrea Breth, décors Martin Zehetgruber, costumes Moidele Bickel. Avec Simona Saturova, Scott Hendricks, Salomé Haller, Sébastien Guèze, Carole Wilson, Diertmar Kerschbaum, Till Fechner, Jean-Luc Ballestra, Guillaume Antoine, Gijs Van der Linden, Matthew Zadow, Kris Belligh .
Bruxelles – La Monnaie – du 4 au 31 décembre 2012 – www.lamonnaie.be