Héritier ou liquidateur de mai 68 ? La question mérite d'être posée à Alain Soral, lui qui fut jadis membre du Parti Communiste Français et qui appartient aujourd'hui au Comité central du Front National. L'écrivain monté au Front n'a pourtant jamais renié son marxisme, ce qui lui permet d'affirmer par exemple : « si Karl Marx était encore vivant, il voterait Le Pen». Rencontre, sur un banc du VIème arrondissement de Paris...
« Je suis à la fois un héritier et un liquidateur de mai 68 », affirme d'entrée Alain Soral. De 68 il garde « le mouvement populaire sincère, de la base, les aspirations sociales, la fête étudiante » mais rejette « la manipulation par les élites, comme d'ailleurs souvent dans les mouvements révolutionnaires ». Il est toutefois difficile ne pas classer Soral dans les liquidateurs, lui qui a rédigé le discours de Valmy de Jean-Marie Le Pen, où ce dernier affirme que « les ravages de mai 68 [ont] répandu partout la haine de ce qui est français, la détestation de l'autre et de soi ».
Il conspue volontiers les mouvements féministes et homosexuels, héritiers directs de mai 68 : « communautaristes, fermés, dangereux », ils contribuent selon lui à diviser la société et se substituent aux vrais combats, les luttes de classe. Ainsi, Alain Soral brocarde le féminisme « issu de l'ennui de jeunes bourgeoises », sans fondement populaire puisque « les femmes travaillent depuis longtemps dans les classes dominées ».
Béret basque et lourd pull de laine recouvrant une taille imposante, Alain Soral a, dans le frimas de l'après-midi, des airs de berger landais qui ne serait pas redescendu de ses échasses. Il finit par se faire remarquer d'une riveraine qui, passant par là à vélo, s'arrête, nous dévisage longuement avant de nous interpeller : « Vous savez à qui vous avez affaire, j'espère ? ». L'illustration rêvée de la censure conformiste que n'a de cesse de dénoncer Alain Soral : « Vous voyez, il n'y a pas plus flic qu'une bobo parisienne qui doit sûrement voter Verts. Et je suis sûr qu'elle a fait mai 68 ! »
C'est peut-être contre les anciens soixante-huitards que les flèches de Soral sont les plus venimeuses : « Cohn-Bendit, c'est une merde qui, avant 68, militait pour la mixité des dortoirs à Nanterre, après 68, pour l'amour libre avec des petits enfants, avant de se retrouver finalement eurodéputé parasite comme les autres». Et si l'écrivain confesse un goût affirmé pour la provocation, son désir de secouer la bienpensance le fait flirter avec la théorie du complot façon Protocole des Sages de Sion : « Dans le fond, mai 68, c'est le lobby américano-sioniste qui fait payer à De Gaulle sa volonté de sortir de l'hégémonie du dollar pour retourner à l'étalon-or, et ses déclarations sur Israël en 1967 en manipulant quelques agitateurs professionnels que le système, pour services rendus, a bien promus depuis.»
Quant à savoir si un nouveau mai 68 serait possible
aujourd'hui, Soral n'exclut rien « tant sont nombreuses les raisons de se
rebeller contre le système.» Mais seule l'extrême-droite, d’après lui, peut
aujourd'hui incarner cette révolte, car elle est la seule « hors du
système » : il ne veut ni entendre parler de l'extrême-gauche (« Il
n'y a pas plus intégré dans le système qu'un Besancenot, aujourd'hui dans Gala, invité demain chez Drucker ») ni même de
l'anarchisme (« L'anarchisme, aujourd'hui en France, c'est quelques nostalgiques du mur des Fédérés qui se saoulent à la bière, rien de plus »). Alain Soral se plaît
pourtant à citer Proudhon comme source d'inspiration. Aurait-il lui aussi voté
Le Pen ?
Arthur Cembrese et Mic Gaure d'Imaur