Ségolène Royal sort dix suggestions de réflexion pour le PS, et soudain j'ai l'impression d'être retourné dans le temps d'une quinzaine de mois. Ce qui surprend le plus, dans la force des différentes réactions, c'est que finalement la question devient tout de suite la légitimité non des questions elles-mêmes, mais de la démarche : Ségolène Royal a-t-elle le droit de poser des questions en public ?
J'exagère, mais très peu. Commençons par la presse. Dans le papier de Libé on lit par exemple:
Du côté de François Hollande, on regrette cette initiative «parallèle» au travail «collectif» mis en place par la rue de Solférino.
Qu'est-ce que cela veut dire, au faut, le "parallèle" contre le "collectif"? Est-il illégitime de faire appel aux militants PS, voire au public des "sympathisants"? Est-ce véritablement contre l'esprit collectif? Dans le football, il est reproché à certains joueurs de ne pas jouer "collectif"; alors ils jouent trop "perso". Ce n'est pas évident que la comparaison entre le PSG et le PS tienne la route, pourtant : poser des questions au plus grand nombre, est-ce vraiment jouer perso?
Pourtant, on peut se demander comment Royal peut en faire moins : ce ne sont que des questions, après tout, mais même ça, même la réflexion ouverte est soupçonnée de manoeuvre pour tout récupérer pour elle. Je cite l'un de nos plus fervents trolls de gauche, qui commentait ici :
Ce que certains n'ont pas compris, c'est que nous socialistes ne voulons pas travailler pour Ségolène Royal mais pour le Parti Socialiste. Toute intervention venant de Ségolène Royal est très mal vu car ce sera considéré comme une tentative de récupération. Et pour l'instant, il y a une chose que je ne veux pas, c'est me faire récupérer par Royal.
Vous avez bien lu : "toute intervention venant de Ségolène Royal est très mal vu". Elle ne peut pas avoir raison, sauf, à la rigueur, en se taisant.
La distinction entre le "collectif" et le "parallèle" en dissimule (mal), une autre : celle entre une parole maîtrisée par l'appareil socialiste, et une parole ouverte, j'allais dire "libre", au risque de paraître trop lyrique. Le lyrisme serait de trop, car il ne s'agit que de questions, encore une fois. Même pas une modeste proposition, mais des questions.
Pourquoi Ségolène Royal doit-elle se taire ? Justement parce qu'elle est populaire, qu'elle est une figure de premier plan. Personne ne s'énerve quand un cadre de second plan intervient dans Le Monde pour proposer telle ou telle réfondation ou reconstruction, car ce n'est qu'Untel. Quand c'est Royal qui parle, soudain l'intégrité même de nos chères institutions est menacée.
Hier, Dagrouik avait un mot qui m'a fait rire (c'était chez Nicolas, dans les commentaires) :
Grand jeu du WEEK-END: expliquez moi comment on prend le PS de force, vous avez le droit de faire des dessins ou des textes.
Voilà : même si Ségolène Royal devait se faire élire par les militants, ce serait illégitime, un coup d'état, la "force". La démocratie, c'est bien gentil, mais il faut jouer "collectif"... La popularité de Ségolène Royal l'oblige à se taire, sa popularité rend illégitime tout ce qu'elle peut dire.
Cernons un peu mieux cette alternative collective et la manière dont les initiatives ne doivent pas être "parallèles". Les initiatives doivent, semble-t-il, coller à la structure hiérarchique du Parti, celle des Fédérations, de tout cet organigramme qui me reste assez obscur, pour tout avouer, moi humble sympathisant. Vu de loin, ce système semble conserver quelque chose de féodal, avec des instances diverses qui permettent de décider ce qui va remonter ou pas. Loin de moi de remettre en cause ce qui m'échappe totalement, du moins pour ce qui est de la gestion du Parti. En revanche, pour ce qui est de la gestion de la parole et des idées, je ne vois pas l'intérêt de limiter les réflexions et les discussions à ces parcours complexes et, je devine, semés d'embuches.
Le resultat, c'est qu'on se retrouve dans cette position étrange où l'on doit défendre l'idée même de poser des questions et de discuter ouvertement des orientations du PS. Plutôt que de parler sans cesse de la forme des débats, de la légitimité de ceux qui débattent, passons à la réflexion elle-même.