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On reparle de renvois forcés. Cette fois, il semblerait que ce soit la question de l'administration de calmants lors de vols spéciaux qui pose problème. Alors oui, on peut dire ça comme ça. Mais un petit rappel s'impose pour mieux le comprendre, ce problème.
D'abord le contexte. Il s'agit ici de renvois de 'niveau 4'. Ils sont décrits ainsi:
"Niveau 4: La personne à rapatrier est susceptible d’opposer une forte résistance physique; elle ne peut être transportée qu’à bord d’un vol spécial; elle est escortée par deux agents de police au moins; les moyens de contrainte prévus pour le niveau 3 peuvent être utilisés. Ces rapatriements par vols spéciaux ne sont ordonnés qu’en dernier recours. Ils sont très controversés. "
Au niveau 3 on précise que "au besoin, des menottes ou d’autres liens peuvent être utilisés et le recours à la force physique est envisageable."
Controversés, on voit immédiatement pourquoi. En plus du côté frappant des moyens de contention et de l'usage de la force, ces vols avaient été au centre d'une controverse sur le décès d'un jeune Nigérian en 2010.
On est donc dans un contexte de recours à la force policière. Quelles que soient ses limites légitimes -certains vous diront qu'elles sont ici outrepassées- quelles que soient ses limites légitimes, donc, la question de la participation médicale doit être traitée séparément. Administrer dans un contexte comme celui-ci un calmant à une personne qui le réclamerait, ou tout au moins y consentirait librement, voilà qui fait partie de l'exercice de la médecine dans des conditions difficiles. Administrer un calmant pour exercer sur cette personne un contrôle qui s'apparenterait au contrôle policier, voilà qui est hors du rôle de la médecine. Il est crucial que cela reste ainsi. L'Académie Suisse des Sciences Médicales précise dans ses directives sur l'exercice de la médecine auprès de personnes détenues:
"Toute administration de médicaments, en particulier psychotropes à des personnes
détenues ne peut donc être effectuée qu'avec l'accord du patient et sur la base d'une
décision strictement médicale."
Il y a bien une exception, mais elle concerne un cas très particulier: "En situation d'urgence et dans les mêmes conditions qu'avec un patient non détenu, le médecin peut se passer de l'accord du patient lorsque ce dernier présente une incapacité de discernement causée par un trouble psychique majeur avec un risque immédiat de gestes auto- ou hétéro-agressifs (conditions cumulatives)"
La seule exception concerne donc un patient qui serait à la fois incapable de discernement et dangereux en conséquence d'une maladie mentale sévère. Être récalcitrant au renvoi forcé ne remplit clairement pas ces critères.
Ce point avait encore été précisé dans un complément aux directives plus récemment:
"[Les traitement sous contrainte] doivent toujours être indiqués et prescrits par un médecin. Lors de leur application, la dignité du patient doit être respectée et les mesures doivent être adéquates et proportionnelles. C’est le rôle du médecin de poser l'indication et de veiller au respect des bases juridiques. Les médecins et infirmiers ne peuvent pas introduire des mesures de contrainte sur
ordre des autorités."
L'administration de calmants "pour calmer les récalcitrants" serait à l'origine de "vives tensions"? On l'espère bien. Il serait inquiétant que ce genre de chose passe inaperçu. Si des médecins accompagnent ces vols, c'est pour y garantir la protection du détenu. Se voir dans l'impossibilité de remplir ce mandat devrait impliquer un retrait. Être présent, offrir en quelque sorte sa caution, si des conditions décentes ne sont pas remplies: oui, cela pose un problème. Être présent et offrir son appui à des activités qui n'ont rien à voir avec la médecine, cela en pose deux. L'Académie à nouveau:
"cela ne fait pas partie des devoirs du médecin d’assurer la prise en charge médicale dans des conditions qui entravent ou empêchent une évaluation médicale. Il a dans ce cas le droit, voire l’obligation de refuser d’être associé au renvoi."