C'est ici qu'il faudrait , pour quitter la simple description et saisir le sens et l'originalité de la maison Tamberma , pour comprendre en profondeur ce qu'est l'Habiter, qui ne se réduit pas à l'habitation, faire un détour par les analyses d'A.Berque,concenant l'ecoumène, le milieu humain : « ce en quoi,la terre est humaine et terrestre l'humanité ».un détour qui n'est pas une digression mais qui permet en outre certains rapprochements avec michel Serres ,par exemple,Bachelard évidemment,comme déjà dit , mais surtout, les aborigènes d'Australie sur les Pistes du Rêve.
Topos est précis (toponyme), un être, une chose, s'y situent et le toponyme nous dit où ; mais topos est aussi abstrait (être et chose pourraient aussi bien être ailleurs).topos est donc définissable indépendamment de ce qui s'y trouve : c'est le lieu de notre géométrie cartésienne avec ses coordonnées ou le système des méridiens et des latitudes. Sur le GPS se trace ainsi précisément le lieu géométrique de ma maison et de mon nom. C'est aussi le règne de la ligne droite qui a permis l'architecture et l'urbanisme modernes(Berque cite en particulier Le Corbusier) et qu'on pourrait opposer justement à celle vernaculaire.
Chora est beaucoup plus complexe à définir. Le vocable ne se dit finalement que par métaphore. Berque y évoque une toute autre géographie, qu'il appelle le « chemin des ânes », le cheminement à travers le paysage et ce qu'est donc un paysage : ainsi la Crète.
« Éclat blanc sur la montagne fauve, Chôra se détache dans les souvenirs. On y est monté au fil des siècles en sinuant par le chemin des ânes, dont les sabots ont usé les pierres. Soleil, réverbération; les odeurs de l'été... Plus on monte, et plus grandit la mer. Peu à peu se dessine le rivage où, désormais sûr de son cap,Thésée se défit d'Ariane - du moins selon une version insulaire, personnelle peut-être, de la légende. Ailleurs, on dit que c'était à Naxos. »
On commence à saisir que, dans l'écoumène, on peut ainsi définir des lieux cartographiables(ceux de notre modernité) et des lieux existentiels.(chora),chargés d'imaginaires de souvenirs et de mythes, à l'instar de la maison bachelardienne ou de celle des Tamberma
« C'est sur la « peau fine » de Terre que les humains construisent leurs habitations, défrichent, cultivent. Une peau hérissée de cailloux, craquelée par le feu du soleil pendant la saison sèche, recouverte de pousses d'un vert lumineux dès le début de la saison des pluies. Elle n'a rien de commun avec l'argile résistante, exempte de cailloux et de couleur claire tirant sur le blanc, recueillie dans une carrière avec la pointe d'une houe, utilisée par les potières, également consommée par les femmes enceintes. Elle est différente d'une autre espèce de teinte rosée, prélevée dans un bas-fond, avec laquelle un Otâmmari façonne des greniers semblables à d'immenses poteries. Et d'une autre argile encore, rare et précieuse, prélevée sur une termitière. Gluante, car imprégnée de la salive des termites, elle est utilisée pour renouveler un autel. Les Batâmmariba font preuve d'une grande minutie pour reconnaître les différentes couches de la «peau fine», qu'ils ne confondent jamais.
La «peau épaisse» est la chair interne de Terre. C'est une terre «noire», en réalité d'un ocre dense, qu'atteignent les fossoyeurs en creusant une tombe. Elle est le domaine des « gens de la peau épaisse », ces forces souterraines nées avec Terre. Elles serpentent entre ses replis avant de sourdre dans l'eau d'un marigot ou d'une source, émerger sous forme d'arbres, s'élever vers le ciel en violents tourbillons au début de la saison des pluies. Tous les quatre ans, elles s'incarnent dans Fawaafa, le gigantesque Serpent femelle qui se meut silencieusement dans le sous-sol de Terre et se réveille à l'époque du dijwani, le rite initiatique des garçons.
Pour concrétiser cette idée qui pourrait rester obscure, l'auteur prend comme exemple la pensée des aborigènes australiens. Le Rêve et le temps du Rêve, mais ce pourrait l'être aussi bien, par le texte précédent, celui de D.Sewane parlant de la terre et du serpent femelle Fawaafa qui a couvé les œufs dont sont issus les premiers êtres ; comme des Batâmmariba, ouvrant et malaxant la peau de la terre.
Les habitants du Désert de l'Ouest australien ont un terme propre, Tjukurrpa,(que nous traduisons par Dreamtime, Le Temps Du Reve) qui désigne un ensemble de structures et pratiques sociales . Le Tjukurrpa, inclut les catégories du mythe, du rituel, de la cosmologie et des origines des manières de faire et de penser, il est celui par lequel l'essence des choses est présentée et définie par leur existence. De ce fait, il n'est pas seulement histoire et cosmogonie, mais s'implante aussi dans le contemporain, car aucune structure ou technique nouvelle ne peut échapper à son prisme. cette pensée paysage a faili se perdre.Entassés dans des lieux de concentration,sans justement les règles d'usages entre tribus, les aborigènes du Désert central se mourraient (entre autres persécutions) d'acculturation.G.Bardon, instituteur à Papunya eut l'idée de convaincre les "anciens" de peindre les Rêves sur les murs de l'école puis sur des toiles à l'acrylique.ce fut le début de l'art aborigène qui emplit nos musées et expositions
Les Aborigènes australiens, lisent la terre comme nous lisons un livre, interprétant tous les traits du paysage comme les traces vivantes d'êtres fantastiques. Venus d'ailleurs, de la mer, du ciel ou des entrailles de la terre, ces « grands ancêtres « et héros nomades sillonnèrent le continent et le balisèrent d'empreintes de leurs corps ou de métamorphoses de leurs organes.
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Chaque action des ancêtres eut des répercussions sur la configuration du paysage. Les lieux d'où ils émergèrent du sol devinrent des points d'eau ou des entrées de grottes ; là où ils marchèrent, s'écoulèrent des cours d'eau ; et les arbres se mirent à pousser là où ils avaient enfoncé leur bâton à fouir dans le sol.
Topos et chora :Bruce Chatwin, dans une comparaison savoureuse du chant Des Pistes, conte les tribulations d' un arpenteur(on pense à Kafka) chargé du tracé rectilligne du chemin de fer,confronté à deux « anciens » qui le refusent chaque fois au profit de sinuosités des pistes du rêve parce que telle colline, tel arbre ou rocher est un lieu sacré où l'ancêtre est apparu et où il a laissé des empreintes (esprits enfants),servant d'identité clanique aux nouveaux-nés .Telle une takyiènta Chez les Tamberma, ils ont émergé de la boue.
La boue tomba de leurs cuisses, comme le placenta d'un bébé. Puis, tel le nouveau-né qui pousse son premier vagissement, chaque ancêtre ouvrit la bouche et cria : «JE SUIS!» «Je suis... Serpent... Cacatoès... Fourmi à miel... Chèvrefeuille...». Et ce premier «Je suis», cet acte primordial de nomination, fut considéré, alors et pour toujours, comme la strophe la plus secrète du chant de l'ancêtre, la plus sacrée. Chacun de ces anciens (baignant alors dans la lumière du soleil) avança son pied gauche et nomma une chose. Il avança son pied droit et en nomma une autre. Il nomma les points d'eau, les roselières, les gommiers. donnant des noms de tous côtés, appelant à la vie toutes choses et tissant leurs noms dans des strophes.
Les anciens s'ouvrirent un chemin dans le monde entier par leur chant. Ils chantèrent les rivières et les montagnes, les lacs salés et les dunes de sable. Ils chassèrent, mangèrent, firent l'amour, dansèrent, tuèrent : partout où les portaient leurs pas, ils laissèrent un sillage de musique.
Ils enveloppèrent le monde entier dans un réseau de chants ; et, enfin, lorsque la Terre fut chantée, la fatigue les envahit. De nouveau ils ressentirent l'immobilité glacée des temps. Certains s'enfoncèrent dans le sol là où ils se trouvaient. D'autres se glissèrent dans des cavernes. D'autres encore regagnèrent en rampant leur «demeure éternelle », .le point d'eau ancestral où ils étaient venus au jour. Et tous s'en retournèrent sous terre .BRUCE CHATWIN.LE CHANT DES PISTES
Ci-dessus la piste du Rêve"FOURMI à MIEL et sa rerésentation sur toile
Pourtant cet engendrement n'est pas terminé ;chaque enfant reçoit son nom(totem) de la fréquentation du site par sa mère, là où sont déposées les empreintes, les esprits enfants, qu'ont laissés derrière eux les ancêtres fondateurs.Cet engendrement se poursuit encore de nos jours. Une portion de territoire appartient à un clan par l'intermédiaire d'un chant,celui justement qu'a chanté l' ancêtre engendrant les choses. Or les aborigènes font revivre ces chants et par là réengendrent le paysage.
« Avant que les Blancs ne viennent, continua-t-il, personne en Australie n'était sans terre, puisque chacun recevait en héritage un tronçon du chant de l'ancêtre et un tronçon du pays où passait ce chant. Les strophes que possédait un homme constituaient ses titres de propriété. Il pouvait les prêter à d'autres. Il pouvait en emprunter à d'autres en retour. Mais, par contre, il lui était impossible de les vendre ou de s'en débarrasser.
Lorsque, par exemple, les anciens du clan du Python décidaient qu'il était temps de chanter leur cycle de chants du début à la fin, des messages étaient envoyés, tout au long de la piste, pour convoquer les propriétaires des chants au lieu du grand conseil. L'un après l'autre, chaque « propriétaire » chantait son tronçon d'empreintes de pas de l'ancêtre. Toujours dans l'ordre correct !
« Chanter une strophe dans le désordre, dit Flynn d'un air sombre, était considéré comme un crime. Généralement le coupable était condamné à la peine capitale.
- Je vois, dis-je. Cela équivalait, sur le mode musical, à un tremblement de terre.
— Pire, dit-il d'un air sombre. C'était abolir la création. »
A chaque réunion du grand conseil, poursuivit-il, il était très possible que d'autres rêves convergent. Ainsi à l'un de vos corroborées, vous pouviez avoir quatre clans totémiques différents, provenant d'un nombre indéfini de tribus. Tous y échangeaient les chants, les danses, les fils et les filles, et s'accordaient réciproquement des « droits de passage ».
« Quand vous serez resté un peu plus longtemps, dit-il en se tournant vers moi, vous entendrez l'expression "acquérir la connaissance rituelle". »
Cela signifiait que l'homme augmentait sa carte de chants. Il élargissait ses choix, explorait le monde par le chant. » BRUCE CHATWIN.LE CHANT DES PISTES
Nous pouvons maintenant revenir aux Tamberma l'instar des aborigènes dans leur rapport au paysage , tout dans la maison n'est pas conçu pour le simple utilitaire, mais D.Sewane ,y sens surtout la présence des ancêtres. Et elle le vit d'aiileurs comme un engendrement, une naissance..
Quand je pense à une takyiènta, c'est le kunamunku qui s'impose à mon esprit : la pièce du bas où les habitants disent ne pas vouloir rester. Surtout la nuit : les souffles qui résident dans ces autels coniques élevés sur le pourtour de la tour centrale, font trop sentir leur présence. La tour elle-même est appelée « maison des ancêtres » parce que, sur la paroi de l'ouest, sont modelés les autels des morts les plus anciens de la famille. Ces autels, sorte d'excroissances de forme allongée, sont surmontés d'une pierre, dans laquelle s'incarne la « force » d'un père, retrouvée sur le sol la nuit de son enterrement. La nuit où il est appelé par son vrai nom, tenu secret. À cet appel, qu'elle ressent comme une injure, son ombre «se redresse». Elle «jette sa force» sous forme de pierre.
Énumérer autels, crânes d'animaux suspendus aux poutres, poteries à pointes calées entre les autels - des poteries noircies par le temps contenant une « force de brousse » trouvée par un Voyant, et incluse dans un galet ou une racine -, le collier de cauris ou le sac de peau de chèvre accroché au mur... donnerait une image bien vaine d'un lieu que l'on n'a jamais fini d'explorer. De même que dans Une histoire d'amour et de ténèbres, Amos Oz espérait trouver dans la maison de son oncle « ses entrailles secrètes, intérieures, invisibles, une issue dissimulée dans un mur creux, dans le dédale du labyrinthe, ou au-dessous, dans les fondations», on n'a jamais fini de suivre les ramifications souterraines de la tûkyiènta, qui la relient, à travers ces autels, au cimetière et à la brousse.
Après avoir assisté au renouvellement du vieil autel de la Grande d'un père, on se rend mieux compte de la prodigieuse force de vie que contient un tel autel. Tout d'abord, on casse sa « tête » : on l'ouvre. Apparaît alors la cheminée qui le creuse dans toute sa longueur. Le conduit s'enfonce idéalement dans la terre. À travers lui circulent les souffles des morts, de leur tombe à la takyiènta. Avant que l'autel ne soit refermé, les enfants de la famille - du bébé porté sur le bras aux aînés déjà mariés - tous posent sur l'autel leur main gauche. De même, les enfants d'une famille posent leur main sur l'épaule de leur père (ou mère) étendu sur la terrasse, avant qu'on le porte au cimetière. Puis, à tour de rôle, chacun d'eux regarde longuement à l'intérieur de l'autel : ils y mettent leurs pensées, qui se mêleront aux souffles.
La vocation d'une takyiènta n'est pas de protéger ses habitants du vent ni de la brûlure du soleil. Elle se veut gardienne des souffles de ses morts et des forces de brousse alliées à la famille. S'ils la désertaient, elle ne tarderait pas à tomber en ruine : maladies, morts prématurées, champs ravagés, épouses stériles. C'est pourquoi l'épaisseur de ses murs maintient en permanence l'obscurité et le silence auxquels aspirent ces présences DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT.
La maison forteresse Tamberma est à elle seule un monde..On pourrait en douter pour qui a des idées premières d'illimité. Forteresse elle est au premier regard contraire fermée, repliée dans ses murs.A. Berque fournit l'explication du paradoxe..il cite la vision du monde japonaise, enclose dans une insularité étroite et qui se conçoit cependant incommensurable, « racine du soleil » à l'opposé de la « petitesse du scientisme chinois(Norinaga) qui prétend mesurer. Comment le relatif pourrait il ainsi s'égaler à l'absolu ?
Cependant, mundus a aussi, directement, le sens de foyer cosmogénétique dans l'usage que l'urbanisme romain hérita des Étrusques : celui de trou circulaire (comme la ville étrusque et comme le disque terrestre, orbis terrarum, homologie que rappella locution pontificale urbi et orbi, « à la ville [Rome] et à l'univers») creusé dans le sol, recouvert d'une pierre dite lapis manalis (gardant les âmes des morts, Mânes, de remonter sur terre), et conduisant à un ou deux hypogées (sans doute à coupole, comme le ciel). Ce mundus, de connotation féminine, symbolise, dans la ville, à la fois le centre du monde (dans l'espace) et son origine (dans le temps). La ville - ce fut notamment le cas de Rome - se trouve ainsi assurée dans un ordre cosmique, celui-là même dont elle est à la fois la source et la garante. AUGUSTIN BERQUE..ECOUMENE.
Dans la Poétique De L'espace, Bachelard rêve et médite sur le « rond, citant Jaspers : « l'être est rond ».il ne s'agit pas pour lui de géométrie « la sphère du géomètre est la sphère vide ; il ne traite que des surfaces qui limitent » ;Mais de ce que suscite l'image de la rondeur. Et il cite Rilke et les Poèmes Français dans sa « voyance » de l'arbre et de sa rondeur.
Mais le poète reprend le rêve de plus haut. Il sait que ce qui s'isole s'arrondit, prend la figure de l'être qui se concentre sur soi. Dans les Poèmes français de Rilke, tel vit et s'impose le noyer. Là encore autour de l'arbre seul, milieu d'un monde, la coupole du ciel va s'arrondir suivant la règle de la poésie cosmique. Page 169, on lit :
Arbre, toujours au milieu
De tout ce qui l'entoure
Arbre qui savoure
La voûte entière des cieux.
Bien entendu, le poète n'a sous les yeux qu'un arbre de la plaine ; il ne songe pas à un ygdrasil légendaire qui serait à lui seul tout le cosmos en unissant la terre et le ciel. Mais l'imagination de l'être rond suit sa loi : puisque le noyer est, comme dit le poète, « fièrement arrondi », il peut savourer « la voûte entière des cieux ». Le monde est rond autour de l'être rond.
Dieu lui va apparaître
Or, pour qu'il soit sûr
II développe en rond son être
Et lui tend des bras mûrs.
Arbre qui peut-être
Pense au-dedans
Arbre qui se domine
Se donnant lentement
La forme qui élimine
Les hasards du vent !