A propos de The Master de Paul Thomas Anderson
Madison Beaty et Joaquin Phoenix
Aux États-Unis, après la seconde guerre mondiale et des combats intenses qu’il a menés sur une île du Pacifique contre le Japon et qui ne l’ont pas laissé indemne, un vétéran (Freddie Quell, joué par Joaquin Phoenix) tente de retrouver une vie normale en Californie en distillant sa propre gnôle ou en faisant des photographies. Mais bientôt, les démons de la guerre et les traumatismes resurgissent. Freddie est incapable de se réadapter à la société. Bientôt, il tombe sous la coupe de Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), le dangereux gourou d’une secte nommée La Cause et qui prétend pouvoir le guérir. Entre intimidations et cassages de gueule en règle, Freedie devient bientôt l’homme à tout faire de Dodd. L’homme à tout faire, mais surtout le cobaye et une proie idéale pour le psychiatre imposteur…
Au regard de l’attente voire de l’impatience que suscitait la projection de The Master, autant dire que la déception est proportionnellement grande. Entièrement écrit et imaginé par Anderson, The Master pèche par ses hésitations, ses longueurs, son manque de clarté et de discernement quant à ses enjeux et ce qu’il voudrait nous dire exactement. De quoi s’agit-il dans ce film ? Du portrait d’un soldat traumatisé et influençable, un ancien de la Navy un peu simple d’esprit et qui tombe sous la coupe d’un charismatique gourou ? Ou alors plutôt des liens et d’une amitié ambiguë pour ne pas dire malsaine entre Quell et Dodd ? On pourrait simplement penser que The Master raconte plus simplement l’émergence et la montée en puissance aux États-Unis d’une secte dont l’histoire ressemble fort à celle de la Scientologie. Aux Etats-Unis, la célèbre secte parrainée par Tom Cruise a d’ailleurs déposé de nombreuses plaintes contre la société de distribution du film. Dodd jouerait donc Ron Hubbard, le Père de la Scientologie ? Anderson s’en est vivement défendu, arguant qu’il n’avait pas du tout pensé à la Scientologie (un peu, quand même ?) mais avait souhaité privilégier une approche beaucoup plus psychologique que sociologique.
Joaquin Phoenix
Soit. Toujours est-il qu’on s’ennuie ferme dans ce film qui manque cruellement de direction (non pas d’acteurs, on y reviendra) et d’un cap précis. Anderson a voulu montrer l’ascendant psychologique que prend peu à peu Dodd (Seymour Hoffman est brillant comme à son habitude) sur Quell mais les séances d’hypnose et d’occultisme auxquelles on assiste sont répétitives et tirent en longueur. Surtout, on ne voit pas trop ce qu’elles apportent au film ni où l’auteur de There Will be blood ou Magnolia veut en venir exactement. Par exemple, les séances publiques où Dodd demande à Quell de fermer les yeux et de faire des allers-retours d’un mur en bois à une fenêtre en décrivant ce qu’il ressent et à quoi lui fait penser la matière de ces deux objets sont particulièrement longues. Peu convaincantes, elles laissent en effet circonspect voire dubitatif. Quel réel intérêt ont-elles ? Qu’apportent-elles à l’histoire ? Quels enseignements doit-on en tirer ? etc…
Philip Seymour Hoffman
Alors, on se penche sur le cas Phoenix. Omniprésent dans le film (et souvent filmé en gros plans), l’acteur inoubliable de La nuit nous appartient (James Gray) nous refait le coup d’une partition tragi-burlesque et d’un jeu empruntant volontiers à Charlie Chaplin, comme il l’avait déjà fait dans Two lovers. Sauf que cette fois, Phoenix force carrément le trait pour ne pas dire surjoue un vieil ivrogne voûté et rachitique qui se tient les mains sur les hanches comme s’il était essoufflé et à bout de forces. Il ne manquerait plus que la canne ! Un vieillard, c’est en tout cas à ce que l’on pense en voyant ce pauvre Quell, soldat souffreteux et malade dont profite le charismatique Dodd qui n’a pas de mal à la manipuler. Quell est un type simple du Massachusetts, un vétéran de la guerre brut de fonderie et influençable, forcément fasciné par le leader charismatique de La Cause, ébloui par l’aura de ce pseudo-intellectuel qui parle bien mais qui n’est qu’un charlatan. Quell est un animal dingo et violent, à l’image du personnage joué par Daniel Day-Lewis dans There will be blood. Incapable de contenir et de refouler davantage la schizophrénie qui couvent en lui (la psychiatrie n’existait pas pour les soldats à l’époque), Quell « décompense » dans des séances de tabassage qu’Anderson suggèrent cette fois davantage qu’il ne les montre explicitement. Si la névrose et les séquelles de la guerre explosent dans des scènes où Quell casse tout autour de lui quant ce n’est pas aux adversaires de Dodd qu’il s’en prend directement, Anderson ne s’y attarde pas, préférant même parfois le hors-champ.
Sans doute pour montrer que son héros est d’une autre étoffe au final, que Quell peut évoluer, rebondir, changer et ne pas sombrer surtout dans la démence. Révélant un caractère et une personnalité qu’on ne semblait pas lui attribuer au départ. The Master est au final beaucoup plus positif et moins noir que celui de There will be blood.
Ce qui manque pourtant étrangement à ce film, c’est de l’émotion. Elle est rarement présente en effet, hormis lors de la première séance d’hypnose que pratique Dodd sur Quell et où ce dernier confie un souvenir sentimental très intime dans le Massachussets, une histoire d’amour douloureuse et qu’il a ratée ou plutôt gâchée avec une jeune fille de 16 ans…
Mais ce qu’il y a de plus frappant, et qui est nouveau chez Anderson peut-être, c’est la ressemblance ou plutôt les citations constantes de son cinéma à celui de Malick. L’île du Pacifique où se situe l’action au début du film est un clin d’oeil appuyé à La ligne rouge, mais ce ne sera pas le seul. La rouquine au visage poupin qui apparaît dans les scènes de flash-backs et les souvenirs de Quell renvoie à ce qui a toujours semblé correspondre à l’idéal de beauté féminin chez Malick, de Sissy Spacek dans La ballade sauvage à Jessica Chastain dans Tree of Life.
Pourtant, The Master est un film plus optimiste qu’il n’y paraît, plein d’un espoir qu’il n’y avait pas dans There will be blood par exemple. Nouveauté chez Anderson et héritage dostoïevskien : les dingues peuvent s’en sortir. En expiant leurs crimes par exemple…
http://www.youtube.com/watch?v=VkfbsBrg6Lg
Film américain de Paul Thomas Anderson avec Philip Seymour Hoffman, Joaquin Phoenix, Amy Adams (02 h 17)
Scénario de Paul Thomas Anderson :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Jonny Greenwood :