Pendant longtemps, on a pensé que leur disparition — comme notre propre disparition — ne pouvait résulter que d'accidents et de destructions, d'une ultime incapacité à résister à l'usure et aux agressions de l'environnement. Mais la réalité s'est révélée d'une autre nature. Aujourd'hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent le pouvoir, à tout moment, de s'autodétruire en quelques heures. Et leur survie dépend, jour après jour, de leur capacité à percevoir dans l'environnement de notre corps les signaux émis par d'autres cellules, qui, seuls, leur permettent de réprimer le déclenchement de leur suicide.
C'est à partir d'informations contenues dans nos gènes que nos cellules fabriquent en permanence les exécuteurs capables de précipiter leur fin, et les protecteurs capables de les neutraliser. D'une manière contre-intuitive, un événement positif — la vie — procède de la négation d'un événement négatif — l'autodestruction.
C'est cette fragilité même, ce sursis permanent et l'interdépendance qu'ils font naître qui sont une des sources essentielles de notre plasticité et de notre pérennité, permettant à nos corps de se reconstruire sans cesse et de s'adapter à un environnement perpétuellement changeant.
A l'image ancienne de la mort comme une faucheuse brutale, surgissant du dehors pour détruire, s'est surimposée une image radicalement nouvelle, celle d'un sculpteur, au cœur du vivant, à l'œuvre dans l'émergence de sa forme et de sa complexité.
Jean Claude Ameisen
Le Monde. Débats, 16 Octobre 1999