Je suis parti chargé comme un sherpa. Lesté des livres dont j'ai besoin pour boucler mon Mauvais Siècle, mais également lourd de ces adieux qui m'ont laissé les jambes tremblantes et la voix enrouée. « Ce n'est que le début… et tu reviendras… » Inch'Allah…
Heureusement pour la suite, Rosie et moi étions dans une forme splendide, une journée toute puissante. Je n'ai jamais cherché mon souffle. Par contre, vent de face, tout bonnement le contraire de ce qu'assurait la météo. Puis, la topo de Googlemaps montrait une région plate entre Cognac et Royan. Faudrait qu'ils envoient un être humain sur place pour revoir leurs données. Eh, eh, eh… Qu'à cela ne tienne. Le temps a été splendide tout au long de la journée, le parfum de la mer me parvenait en pleine poire, aiguillant mon envie de me rendre au bout de la route, et les côteaux de la Petite Champagne, verts, jaunes, roses, m'emballaient le cœur.
Biblimobile Jaune
Première vraie sortie avec la remorque : je ne la sens pas sur le plat, dans les descentes elle me freine, et dès que ça monte de 5 %, elle me tue. Faut dire que je l'ai bien testée, avec une première journée de 73 kilomètres (encore trouvé moyen de me rallonger), ponctuée d'une petite montée à chaque mille mètres ! J'ai tiré quelques conclusions de l'aventure et je vais modifier certains trucs. On verra. Chose certaine, je ne vais pas me taper les pyrénées ou les Alpes avec la Biblimobile Jaune. Les quelques pentes à plus de 8 % m'ont donné des crampes dans les cuisses et le dos et j'ai dû m'arrêter pour marcher un peu de long en large de la route. J'ai suis allé jusqu'à me faire la mythique paralysie totale de la jambe droite ! Eh, eh, eh… Heureusement, comme le même truc m'était arrivé au premier jour de mon voyage dans les Laurentides, je savais à quoi m'en tenir. Pas besoin d'amputation, suffit de marcher et de respirer. Ne pas s'abandonner au premier réflexe, celui de s'étendre en travers de la route pour se laisser applatir par les moto-morons. Ça passe. Ça revient, mais ça repasse encore. Également, je sais désormais que je peux continuer à grimper, même quand le niveau de douleur est inusité, que ça hurle dans les oreilles, que ça sature la conscience comme une sirène d'alarme ou la turbine d'un jumbo-jet.
Ce ne sont que des signaux. Dans la réalité du muscle, il reste encore bien de la ressource. Puis, suffit de boire une gorgée, de respirer le sel atlantide, de changer l'angle ou la posture de la colonne. Le corps est vaste. L'humain est grand. Il y a le temps. J'ai confiance. Je déborde d'amour et de force.
Au bout de la route, au bout de la Terre, en une seule journée, par la force de ma chair et un bon coup de volonté, la récompense incommensurable du grand joyau bleu. Comment ne pas s'esclaffer, esti ?!
—© Éric McComber