Il y avait la force tranquille de François Mitterrand, il y aura désormais la révolution discrète de Jean-Marc Ayrault qui en vérité est celle en arrière-plan de François Hollande. En effet, la tribune publiée par le Premier ministre dans les colonnes du Monde en début d'année n'est pas seulement une feuille de route. Elle constitue un "coming out" politique et acte un décalage entre un PS "archaïque" dans ses idées et sa conception du monde et un exécutif rose pâle qui assume et revendique sa conversion à un modèle social-démocrate qui accepte officiellement la mondialisation.
La tribune publiée dans les colonnes du Monde (édition du 3 janvier) à un titre trompeur : "Pour un nouveau modèle français". Si on évacue les poncifs la promotion de la solidarité, de l'égalité, de la laïcité ou encore la lutte contre la précarité et le chômage qui sont autant de déclarations de bonnes intentions sans plus, apparaît alors la substantifique moelle. Les propos du Premier ministre ne dessinent pas directement un nouveau modèle de société. Pas plus un simple dépoussiérage destiné à faire perdurer une formule unique au monde mélangeant niveau élevé de la dépense publique et protection sociale large.
Non, Jean-Marc Ayrault rejette le concept d'exception française et l'idée de territoire replié sur lui-même qui résiste à une mondialisation accusée de broyer les valeurs et les repères.
Agir plutôt que subir. Au protectionnisme réclamé par une partie de la gauche et de la droite, Jean-Marc Ayrault prône au contraire l'ancrage de notre pays dans la mondialisation présentée comme une chance et non un péril. "La tentation est grande de reporter la responsabilité la crise économique sur autrui, d'accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en Europe" estime le Premier ministre qui appelle "à remédier à nos propres faiblesses, et à mieux tirer parti de nos innombrables atouts".
L'Ayraultohollandisme semble ainsi reposer sur deux piliers. D'une part l'acceptation totale des règles du jeu de la mondialisation, ce qu'a fait depuis longtemps un autre socialiste, Pascal Lamy directeur de l'Organisation Mondiale du Commerce depuis 2005. D'autre part la volonté de réduire la dépense publique et donc l'intervention publique. Un quasi-blasphème pour une gauche qui a jusque là a toujours juré par un service public fort, irradiant le territoire national.
La rupture idéologique est conséquente et ne commence qu'à être avouée à demi-mot. Elle n'est pas sans rappeler l'évolution du parti travailliste vers le blairisme, formule adoucie du Thatchérisme.
La difficulté immédiate pour le PS consiste à mettre un terme à un double langage devenu intenable. Entre un discours très à gauche dans les arcanes du PS et un "réalisme assumé " présenté comme un réformisme nécessaire dans les lieux de pouvoir. Gérer pour durer, durer pour gérer diront certains?
A cet égard le nouveau modèle français présenté par Jean-Marc Ayrault à des allures de nouvel édit de Nantes. Il manifeste la reconnaissance du phénomène de mondialisation et par conséquence la fin, à défaut d'une guerre de religion, d'un affrontement idéologique jugé dépassé. A haute voix Jérôme Cahuzac n'a-t-il pas d'ailleurs pas avoué n'avoir jamais cru dans la lutte des classes ?
Dans cette France apaisée, les émigrés fiscaux d'aujourd'hui sont les huguenots d'hier. Passé le procès public en défaut de patriotisme, ils seront discrètement travaillés pour revenir au bercail. Mondialisation quand tu nous tiens …
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