Si on écoute un tant soi peu Laurence Parisot ou sa garde rapprochée, la situation actuelle des entreprises n'est due qu'aux 35H00, au manque de flexibilité des salariés et, bien entendu aux salaires trop élevés, face à la concurrence internationale. Salaires qui sont très souvent désignés comme étant les premiers responsables de la dégradation des marges des entreprises françaises.
Cette dernière accusation restée longtemps sans réponse est démontée pièce par pièce par Liêm Hoang-Ngoc, économiste, membre du bureau national du PS et député européen dans une tribune qu'il a publiée le 8 janvier dans Le Monde
Selon Liêm Hoang-Ngoc, on nous vend toujours le même argument : " (...) Lestées par un coût du travail trop élevé, les entreprises ne dégageraient pas suffisamment de marges d’autofinancement pour engager les investissements nécessaires afin de réorienter l’offre sur une trajectoire hors coût à l’allemande. La restauration des marges d’aujourd’hui serait donc les investissements de demain et la compétitivité hors coût d’après demain (...) "
Or, ce n'est pas le coût du travail qui est le premier critère mais l'augmentation des dividendes au détriment de l'investissement
" (...) que nous enseigne l’analyse de l’évolution récente du taux de marge en France ? (...) une part croissante des bénéfices fut redistribuée, au détriment de l’investissement, sous forme de dividendes. Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui (...) "
On pourra lire à ce sujet un article publié en novembre 2008 par Michel Husson qui écrivait : " (...) la part des salaires a baissé et celle des profits a donc augmenté. Mais les entreprises ne se sont pas servies de cette manne pour investir plus. Comparant la périodes 2000-2006 aux deux décennies précédentes précédentes, un rapport de l'ONU montre que dans un grand nombre de pays, dont la France, le taux d'investissement a baissé en dépit de l'augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée (...) "
Ce qui est confirmé dans autre article publié en mai 2010 : " (...) Pendant ce temps les revenus nets distribués par les sociétés non financières (pour l’essentiel des dividendes) continuent leur ascension, en dépit de la crise (...)
En 2009, les entreprises consacrent donc plus de 8 % de leur valeur ajoutée aux actionnaires contre 3 % au début des années 1980
Si on prend l’excédent brut d’exploitation (EBE) comme référence, c’est près de 28 % du profit qui va aux actionnaires (13 % au début des années 1980). L’année 2009 est en quelque sorte un rattrapage du creux de 2008, et cela malgré la baisse relative du taux de marge (...) "
De la légende du coût du travail "assassin" à la réalité de l'insuffisance de demande
La légende : " (...) Selon l’interprétation la plus courante, le taux de marge aurait baissé à cause de l’augmentation du coût unitaire du travail (calculé en tenant compte de la productivité). Cela plomberait donc l’incitation à investir et, par voie de conséquence, la compétitivité et serait la cause de la dégradation du solde extérieur, en dehors de l’impact exercé par la hausse du prix des importations de matières premières. Pour restaurer la compétitivité, il suffirait donc de réduire le coût du travail afin de restaurer le taux de marge et rendre l’investissement profitable. Plus le choc est important (20 milliards selon Gallois), plus l’effet serait spectaculaire (...) "
La réalité : " (...) La dégradation du taux de marge et du potentiel de croissance de l’économie n’est pas due à des salaires directs ou indirects excessifs (leur progression ayant été contenue, sous la « pression exercée par le chômage » dans les négociations sociales). La baisse du taux de marge est avant tout est liée à une dégradation de la demande. La conjoncture, devenue morose à partir de 2008, a en effet amenuisé les carnets de commandes des entreprises, qui ont donc réduit leurs ventes. Leur production fut donc moins forte, sans que les entreprises n’ajustent immédiatement l’emploi à la baisse. La productivité a donc mécaniquement baissé. Le coût unitaire de la main d’œuvre a donc augmenté et, symétriquement, le taux de marge a diminué (...) "
Les entreprises utiliseront-elles le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour investir ?
" (...) La contraction des carnets de commandes a en effet provoqué une baisse du taux d’utilisation des capacités de production, qui se situe à son plus bas historique. Dans ce contexte, les entreprises n’ont aucune raison d’investir (...), même en présence d’une baisse du coût du travail. Elles ont d’ores et déjà tendance à déclasser leur stock de capital inutilisé et à « ajuster » leur main d’œuvre (...) "
Ce qui ne fait que confirmer les propos de Laurence Parisot qui, lorsqu'elle réclamait une baisse des cotisations sociales des entreprises, en octobre 2012, refusait la moindre contrepartie, y compris d'investissement : « (...) l'entreprise pourra profiter des baisses de cotisations pour baisser son prix hors taxes, investir, augmenter les salaires... ou conserver sa marge. Pas question de négocier des engagements (...) Il faut laisser la liberté d'utiliser les marges de manoeuvre »
Peux t-on être plus clair ?
Ce qui amène Liêm Hoang-Ngoc à conclure que contrairement au fait qu'aucune contrepartie n'a été demandée aux entreprises pour bénéficier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), il va falloir : " (...) tôt ou tard conditionner l’octroi du CICE aux entreprises à des décisions d’investissement, dès lors que la relation causale allant du taux de marge à l’investissement n’est pas avérée (...) "
Faute de quoi, une fois de plus, dans quelques années, on ne pourra que constater que : " Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui ". Ce qui n'empêchera certainement pas le successeur de Laurence Parisot au Medef d'essayer de nous démontrer le contraire !
A découvrir : Le blog de Liêm Hoang-Ngoc Le site de Michel Husson
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