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Chronique Une nuit à Rome T1 (Jim) - Bamboo/Grand Angle

Par Bande Dessinée Info

Elle a le regard encoléré de ceux qui atteignent les lisières. Ceux qui scrutent l’horizon de leurs yeux d’aveugles. Elle aurait pu se retrouver ailleurs ; ses pas auraient pu ne pas la conduire jusqu’à cette côte, ces remous, ces relents de mer italienne qui remontent depuis la crique. Elle pourrait ne pas se relever, choisir de rester là. Silhouette assise à peine ébranlée par la naissance de la brise. C’est le matin, mais la lune n’est pas encore tout à fait éteinte. Elle attend de se donner aux vagues. Devenir embrun ; retourner, nue, au centre de la terre.

Lui a cessé de dormir, cette nuit-là. Il l’a cherchée dans les moindres recoins de la ville, mais n’a jamais rejoint le seuil. Alors il s’est résigné, assis sur la pierre fraîche et tout empreinte des pieds des estivants, face aux fenêtres d’une cité que le jour pénètre à peine. Agrippant son visage lourd, il s’apprête à tuer les masques d’homme qu’il a été. Aujourd’hui, lui seul aura quarante ans.

Entre Marie et Raphaël, les souvenirs s’impriment au compte de dizaines d’années. À vingt ans chacun et l’innocence pourtant lointaine, ils se font une promesse : celle de passer la nuit de leur quarante ans ensemble, à Rome. Peu importe ce qu’ils sont devenus, peu importe les routes empruntées entre temps, les rencontres hasardeuses ou significatives, les perspectives tracées. Cette promesse, ils ne l’ont pas gravée sur l’écorce d’un arbre ; ils n’ont pas non plus mêlé leur sang. Mais ils le savent : dans vingt ans, un 15 août, ils se rejoindront pour une nuit à Rome.

Trois jours avant le 15 août, une averse de chaleur frappe la capitale française. Raphaël, en couple avec Sophia depuis presque un an, accueille un nouveau locataire, Marie-Antoinette, chaton mâle. Avant de passer quelques jours au vert, Sophia a prévu une fête surprise pour son anniversaire ; les amis et les bouteilles défilent vite, les conversations s’embrument, l’appartement se remplit de visages connus et d’incrustés d’occasion. Une fête normale ; Raphaël déballe ses cadeaux. Jusqu’à un incident, le dernier cadeau. Une vieille cassette qui a l’odeur du passé. Vingt ans en arrière : les yeux de Marie, son corps, sa voix. Et cette promesse qui ressurgit depuis la bande. Raphaël fait mine d’être passé à autre chose, mais il ne niera pas longtemps l’évidence du voyage.

Finalement, ce n’est pas tant le rendez-vous avec l’autre qui importe ici que le rendez-vous avec soi-même, avec nos rêves perdus. Jim

Ces voyages prennent forme à différents niveaux. Une nuit à Rome n’est pas tout à fait une plongée dans Paris, ni dans Rome ; ce n’est pas non plus une immersion citadine, ni rurale ; cela flirte avec les grands espaces et les huis clos, et aboutit toujours sur un horizon intériorisé. Car le vrai voyage, peut-être, est celui qui naît et s’enferme dans le regard de Raphaël et Marie. Deux regards bien différents : le premier empli de doutes et d’échecs, vide autant que peuvent l’être les yeux vaguement expressionnistes du personnage sombre et béant du tableau que Raphaël a accroché à son mur ; le second niant toute contingence, déterminé et déjà défaillant. Deux regards qui se fuient toujours, si tournés vers eux-mêmes.

Vingt ans plus tôt, Raphaël et Marie n’ont pas formulé la promesse de se retrouver ensemble, mais ils ont pris un rendez-vous avec eux-mêmes.

Je me doutais bien qu’il était risqué de commencer à voyager. (…) on revient chamboulé de toutes ces vies possibles, toutes ces rues, ces lumières, ces gens croisés… Jim

Décors trouvés, il convient à présent d’y apporter des vies, d’y dessiner quelques tranches d’existence. Chez Jim, qui signe scénario et dessins, les architectures de Paris et de la province italienne se confondent au sein d’une même planche : le Colisée de Rome répond fièrement à la dame de fer parisienne ; la maison de charme romaine, aux moulures si typiques et à la peinture craquelée, n’a rien à envier à l’appartement haussmannien.

Dans ces ambiances, quelques personnages se croisent, plusieurs générations, des amis, des amants. Ils semblent jouer, dans l’emphase ou dans la retenue. Plans serrés, cadrages parfaits ; pour les répliques : courtes, lapidaires s’il le faut, quitte à mettre des mots dans les regards, finalement, pour faire parler l’intensité. Pas de doute : on est propulsé face au grand écran. On pense reconnaître en Sara l’Italienne les traits so british de Kristin Scott Thomas, et, dans une autre scène, sur une photographie, les profils de deux jeunes mariés rappellent ceux du couple Brad Pitt – Angelina Jolie. Pas de doute non plus : Marie, c’est bien la fille « aux dimensions parfaites » tout droit sortie des Poupées russes de Klapisch. On se demande alors, en milieu de film, qu’elle pourrait être la bande originale la plus appropriée. Et on réserve la réponse pour un peu plus tard (un peu moins de vingt ans, quand même), attendant d’ouvrir le second volet.


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