La sublime et profonde comédie (fleuve...) de Bertolt Brecht, "Maître Puntila et son Valet Matti", nous est donnée à voir par onze artistes talentueux que dirige rigoureusement Guy Pierre Couleau. Bien qu'allant dans la bonne direction, sa mise en scène manque pourtant de caractère et laisse comme un goût d'inachevé dans la vision de l'oeuvre proposée. Un peu dommage.
Brecht, rappelons-le, narre l'histoire du riche Puntila, propriétaire terrien odieux, tyranique et calculateur, à la veille de fiancer sa fille. Sous l'emprise de l'alcool, celui-ci se transforme régulièrement en patron compréhensif et attentionné, au grand dam de son dévoué valet Matti qui, en première ligne, doit continuellement faire preuve de tact et d'intelligence pour composer avec des changements de comportement aux conséquences parfois désastreuses. Le domestique finira d'ailleurs par considérer que c'en est trop pour lui...
Souvent extrêmement drôle, la pièce n'en est pas moins sombre et cruelle. A la lumière des rapports Puntila-Matti, elle amorce également une réflexion pertinente sur le travail et la liberté dans notre société.
Au coeur d'une scénographie assez glaciale composée d'immenses panneaux blancs se mouvant pour symboliser les différents espaces de l'intrigue, Guy Pierre Couleau fait s'enchaîner les tableaux avec fluidité mais distille un bric-à-brac d'idées de mise en scène disparates pas toujours inspirées. Il alterne par ailleurs burlesque et drame sans jamais véritablement mêler ces deux genres. Une erreur selon nous, car c'est bien dans le premier que se niche le second, révèlant toute la puissance de la pièce. Ceci étant, l'ensemble se tient et se laisse plaisamment regarder, en dépit d'une durée des plus indigestes (trois heures !) liée à la longueur du texte mais aussi à certaines séquences trop étirées.
Nous l'évoquions en titre, si aucun des membres de la distribution ne démérite, le spectacle est clairement tiré vers le haut par ses deux interprètes principaux, Pierre Alain Chapuis et Luc Antoine Diquero. Le premier, en Puntila, dévore magnifiquement le plateau, est aussi imposant et infect que drôlatique et pathétique. Etonnant mélange de Jean Le Poulain et Jack Nicholson... Le second, en Matti, dans une soumission dont on se demande quand elle criera "stop", offre un jeu moins tonitruant mais vif, malin, et d'une fort belle densité. Citons encore Sébastien Desjours, futur marié totalement fantasque qui réjouit le public en "sauterelle diplomatique", et Clémentine Verdier, sa fiancée, dont nous avons apprécié l'énergie et la sincérité.
Pour les acteurs et pour Brecht, vous pourrez donc vous rendre au Théâtre des Quartiers d'Ivry.
Jusqu'au 3 février.
Photos : Agathe Poupeney