Il y a 6 mois, la comédienne à l’accent so british s’arrête en pleine tournée de « Jane Birkin chante Serge Gainsbourg via Japan ». En cause, des soucis de santé. Les concerts lui demandaient trop d’énergie, il y avait nécessité à recharger les batteries. Mais pas question de le lâcher ce cher Serge, encore moins d’enfumer le public. Elle reprend le chemin de la scène avec une première date synonyme de tour de chauffe dans les Vosges le 11 janvier. Avec elle, on évoque le récent succès de sa chanteuse de fille Lou Doillon, le spectre encore planant de Gainsbourg, sa relation avec le public et ses projets à soixante-six ans.
Vingt ans après la disparition de Serge Gainsbourg, quels souvenirs gardez-vous de lui quand vous montez sur scène le chanter ?
C’est d’abord la personne que j’ai aimé, que j’ai trouvé si remarquable avec son originalité folle. C’est aussi le personnage avec ses différentes facettes : sa beauté, son humour, sa culture, son mal-être, sa violence, son sarcasme… C’est aussi sa générosité sans limite, avec sa façon de payer les impôts avant tout le monde parce qu’il ne voulait pas être quelqu’un de disgracieux dans son propre pays. Il voulait montrer l’exemple, en faisant parfois un peu de morale. C’était tellement inattendu ces choses là avec lui, mais c’est absolument vrai ! C’est le personnage qui me manque aujourd’hui, comme il manque aux Français de manière générale. Mais il manque aussi à moi.
Les spectateurs viennent voir Jane Birkin ou écouter Serge Gainsbourg ?
Ils viennent peut-être écouter Serge pour la dernière fois. Toutes les chansons sont de lui. Je sais très bien que je joue les prolongations de Serge. Mais je pense que c’était bien plus le cas immédiatement après sa mort. Là, les gens venaient toucher quelqu’un qui les avait profondément marqué. Aujourd’hui, je leur offre des musiciens japonais et des mélodies qu’ils ont adorées. J’espère que je ne chante pas trop mal et que c’est la raison pour laquelle les gens viennent un peu pour moi. Par contre, viendraient-ils si je ne chantais pas Serge ? Je ne sais pas.
Impatiente de remonter sur scène après ce report de la tournée ?
Je n’ai jamais été arrêtée avant. Donc ça me fait une drôle de sensation. Oui, j’ai hâte de retrouver mes musiciens japonais surtout. Etre face au public, ça m’a toujours un peu effrayé. En même temps, je veux que le public connaisse ce show. Il était tellement parfait quand on l’a joué à travers l’Australie, l’Amérique, le Canada, la Pologne, l’Espagne ou le Portugal. On était complètement dans notre lancée. Ca a été très frustrant d’être obligé de tout stopper.
Le fait que cette reprise ait lieu dans une petite ville de Lorraine (Saint-Dié), ça a un sens particulier ? Londres, Dublin, Paris ou Athènes vous attendent ensuite…
C’est quelque chose de réconfortant. Ca me plait bien. Après un arrêt de pratiquement six mois, il faut qu’on reprenne l’habitude de jouer ensemble, se préparer. C’est une chance pour moi de faire des grands et des petits lieux. Moi je préfère les petites salles, il y a moins de stress.
Un nouvel album avec vos propres chansons, vous y pensez ?
Non. Je vais déjà finir ce que j’aurais du faire avec mon spectacle « via Japan ». Une fois la tournée achevée, je pars au Liban pour jouer un one-women-show écrit par Wajdi Mouawad. Ensuite, je dois tourner un premier film aux Etats-Unis puis un second film à Paris avec Maggie Smith. Après l’été, je me rends dans les pays arabes pour jouer mon spectacle « Arabesque ». L’ultime date aura lieu en France dans le cadre de Marseille 2013 [ndlr : Marseille-Provence, Capitale européenne de la culture en 2013]. Arrivée à Noël l’an prochain, je ne voudrai plus entendre parler de scène. Qu’on laisse passer deux ou trois ans. Peut-être à soixante-dix ans, mais pas avant.
Vous avez encore des rêves Jane Birkin ?
Il me semble que je n’ai pas atteint grand-chose. Parfois je regarde d’autres artistes sur Wikipedia. Ils ont un tellement beau parcours, ils ont fait des films qui ont compté. Qu’est-ce que j’ai fait de moi-même par rapport à eux ? J’en sais rien. J’ai fait beaucoup de hors-pistes. Je crois que j’ai aimé le hors-piste tout autant que les pistes. Si je casse ma pipe, j’espère au moins qu’on parlera de moi sur Wikipédia pour « La pirate » de Jacques Doillon. Si je casse ma pipe, j’aimerais que l’on parle aussi du film « Boxes » que j’ai réalisé. Je l’ai trouvé bien ce film. Et puis peut-être une pièce de Patrice Chéreau, « La fausse suivante ». Je serai assez contente qu’on montre ça. Avec un film de Claude Zidi aussi, parce qu’avec Pierre Richard, c’était trop bien !
Votre fille Lou Doillon semble marcher dans vos pas. D’actrice à actrice, de chanteuse à chanteuse, de mère à fille, quel regard avez-vous sur son succès ?
Lou a fait une chose qu’aucune d’entre nous n’a réalisée. Ma mère était aussi actrice et chanteuse. Mais ce n’était ni ses propres paroles ni ses musiques. Lou est un auteur-compositeur avec une voix divine. Personnellement je m’en suis rendu compte il y a trois ans lorsqu’elle était devant son premier micro. Quand vous êtes sa maman vous l’avez suivi de très près quand même. Et j’attendais comme un « boum » à Montparnasse que ça saute ! Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un et boum ! Quand « Places » est sorti, le lundi d’après elle était disque d’or. La semaine suivante, elle était platine. La plus jolie chose que j’ai lu, ça a été la critique de Rock&Folk : « le meilleur album sorti en France depuis une décennie ». Lou me disait : « oui mais je n’ai pas la couverture d’Elle magazine, je n’ai pas la couverture de Paris-Match ». Je lui ai répondu : « mais qu’est-ce que tu t’en moques, tu as tout les professionnels qui disent que c’est réussi. Donc commençons par là. Les autres vont te mettre en couverture si ça marche. » C’est exactement ce qui s’est passé. C’est un très grand bonheur parce que ça fait dix ans que dans les interviews les journalistes me parlaient de Charlotte alors que Lou faisait le même métier, actrice de théâtre et de cinéma. Là, tout d’un coup, on lui découvre un don qui n’a rien à voir avec ma mère, moi ou Charlotte. Sa voix ne ressemble à aucune des nôtres, c’est elle. Il était temps, car c’est arrivé pile à son anniversaire de trente ans. Quand votre enfant réussit et vous dit qu’il vient de naître une deuxième fois à trente ans, ça vous fait pleurer de bonheur.
Jane Birkin, pourquoi venir vous voir sur scène ? Vous pouvez nous en faire le teaser ?
Si vous avez un chien malade ou quelqu’un à la maison, il faut absolument rester avec eux ! Mais si vous n’avez pas grand-chose à faire, si vous voulez emmener votre sœur, votre frère, votre mère, je ne sais pas, venez… En toute honnêteté, avec « Arabesque », c’est ce que j’ai fait de mieux. C’est les paroles et les musiques de Serge, arrangées par Nobuki Nakajima qui est un maestro du piano. C’est prodigieux ce qu’il a réussi à créer. Comment le vendre ce spectacle ? Je n’ai jamais trop su comment faire… Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas prête à repasser sur scène pendant un long moment après. Avec ce spectacle, j’aurai fait ce que je voulais faire.
Propos recueillis pas Jérémy Chrétien