… Pas que des militaires !
par Benjamin
Il réagissait dans plusieurs commentaires, ici regroupés, sur la note “Afghanistan” et sur l’intervention de l’OTAN et de la France, Guess Who lui donnant la réplique. Tous les deux ont été émus par la lecture du livre en photo : “Les cerfs-volants de Kaboul” de Khaled Hosseini. Ils n’en tirent pas les mêmes conclusions.
J’ai du mal à croire qu’on libère un peuple en lui imposant des déluges de bombes, en interdisant - quitte à tirer dessus par précaution - aux gosses de jouer près des convois qui traversent Kaboul.
Même chez nous, il y a 64 ans et contrairement à ce qu’on veut bien nous faire croire de nos jours, les sentiments des populations françaises vis à vis des Alliés étaient très mitigés: enthousiasme total à Paris qui n’a quasiment pas reçu une bombe contre franche hostilité en Normandie qui a été trois mois durant sous un orage d’acier (il y a eu des travaux d’historiens là dessus). Et pourtant, quel combat plus légitime que celui contre la barbarie nazie?
Le tout militaire est aussi stupide que le tout humanitaire. Mais sur ce dernier plan, aucun des objectifs programmés en Afghanistan n’a été atteint, même a minima. Des militaires envoyés pour soutenir en les protégeant des actions humanitaires et plus largement, de développement économique, pour former l’armée afghane et à la rigueur pour monter quelques raids très “pointus” puisque c’est sous l’égide de l’ONU, d’accord. Des occupants, non.
On ne libère pas un peuple, on peut l’aider à se libérer et pour cela il faut créer les conditions nécessaires. Quand la mortalité infantile aura reculé, quand la population sera alphabétisée et aura été formée, quand les préoccupations du quotidien seront moins lourdes, la propagande des talibans ne prendra plus. Une graine ne donne une plante que sur du terreau, pas sur des cailloux secs.
Et quels militaires pour ces tâches?
Dans les colonnes du Parisien Libéré d’hier on interrogeait un militaire de base qui avait servi là bas, et qui y reviendra peut-être. Son opinion était la même: “il y a là bas largement assez d’hommes pour ce qu’on y fait, ça se joue ailleurs; cela dit, si on me demande d’y retourner, j’irai” (sous entendu: je suis un soldat discipliné mais je n’en pense pas moins) Posez-vous tous la question: si on était encore au temps de la conscription, est-ce que j’accepterais d’envoyer là bas mon fils ou ma fille ou celui ou celle de mes proches; est-ce que c’est notre combat, qui mérite ce sacrifice? Moi je réponds clairement NON! J’expédierais mon gamin en suisse ou ailleurs, comme les Américains qui le pouvaient expédiaient leurs mômes au Canada s’ils ne trouvaient pas de piston (GW Bush bien planqué en ce temps, et qui envoient des jeunes tuer et se faire tuer sans état d’âme) C’est typiquement l’effet pervers de la suppression de la conscription (rendue inévitable par la sophistication grandissante des techniques de combat qui oblige à employer de vrais guerriers professionnels): on parle de cela en se fichant de la vie des soldats employés (il y a déjà eu 14 morts français dont un éventré au couteau de son vivant) Après tout, ce ne sont que “des professionnels qui font leur métier” (sous-entendu: qu’ils crèvent si ça doit arriver!) Guerre d’Indochine faite par des engagés? On s’en moquait, sauf les militants engagés. Guerre d’Algérie qui mettait des vies de conscrits en jeu? Là c’était une autre paire de manches, la France entière se sentait concernée. Nos soldats de métier doivent être employés pour défendre nos intérêts vitaux, assurer la sécurité de notre territoire et de nos populations ou effectuer des actions internationales recueillant un large consensus, tant dans l’opinion publique nationale qu’internationale. C’est une litote, de dire que ce n’est pas le cas!
Que je sache, la France n’a jamais eu la moindre influence historique dans la région qui fut sous contrôle britannique, qui n’est pas loin de l’Inde, du Japon, etc. Et nous n’avons aucun intérêt à préserver. Nous devons déjà assurer toute une flopée d’opérations en Afrique au nom de notre présence passée… Nous n’avons pas les moyens de gesticuler (au sens stratégique du terme) partout dans le monde. Surtout quand c’est sous le commandement d’une autre nation, sans marge d’autonomie. Qu’avons-nous tiré de notre participation à la “libération” du Koweit ? Le régime de ce pays est-il moins corrompu, plus libéral, 17 ans après?
Pour la “restructuration en profondeur” on ne fait rien, on a perdu la guerre d’avance: la seule question est de savoir quand ce sera patent, au bout de combien de mois et de morts dans les deux camps, de “victimes collatérales” (euphémisme pour dire: civils massacrés par erreur ou “dans le doute”).
Il est quand même aberrant que l’OTAN ait été acclamée quand elle a libéré les Afghans du joug des Talibans, et qu’elle soit perçue comme une force d’occupation sept ans après; que le “président” corrompu, ignare et incompétent qu’elle a installé ne soit en fait que le maire de quelques quartiers de Kaboul. Personne, absolument personne, n’a gagné une guerre en Afghanistan, même en y mettant des moyens gigantesques. Avec ce que coûte le déploiement hebdomadaire d’un soldat, on payerait le salaire annuel d’un instituteur ou d’un infirmier. Cherchez l’erreur.
Sept ans de guerre de “libération” en Afghanistan, et même à Kaboul les “libérateurs” sont obligés d’imposer des distances de sécurité entre la population “libérée” et les convois… (et dès qu’ils en sortent, ils se font canarder) Quel beau résultat!!
Je reste persuadé que des actions de développement économique, social, éducatif et humanitaire à LONG TERME seraient plus efficaces que des soldats et des bombes et quand on sait ce que coûte de nos jours un soldat en campagne, un vol de Rafale, une sortie du Charles de Gaulle, je ne suis pas du tout certain que ça coûterait plus cher. Le rapport 2007 sur le développement humain publié par les Nations unies donne des chiffres alarmants : l’indice de pauvreté en Afghanistan est l’un des pires au monde ; 30 % des Afghans ne mangent pas à leur faim ; 50 % des enfants ont un poids en dessous de la normale ; 70 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. Le taux d’alphabétisation des adultes est l’un des plus bas au monde, puisque seulement 23,5 % de la population de plus de 15 ans sait lire et écrire. Pour les plus jeunes, l’accès à l’école primaire pour les 6-13 ans atteint 50 % : un chiffre en progrès mais qui cache malheureusement une autre réalité : le manque crucial d’enseignants de bon niveau transforme nos écoles en garderies. En Haïti, les forces de l’ONU dépensent des fortunes et font courir de gros risques aux casques bleus et aux populations prises entre deux feux pour ne pas parvenir à maintenir un semblant d’ordre dans le gigantesque bidonville de Beausoleil (là encore, ce sont des Français qui s’y collent, associés aux Brésiliens) La “Folha de S. Paulo” a publié une contribution qui signalait qu’avec cet argent, on aurait pu assainir le bidonville, l’équiper, le socialiser, y tracer des rues permettant aux policiers de patrouiller - ce qui est inexistant. Bref, supprimer les causes essentielles d’insécurité.
Une résistance à une armée d’occupation, quelle qu’elle soit et dans quelque contexte que ce soit, ne peut survivre que si elle trouve une sympathie minimale ou tout du moins une totale neutralité dans le milieu ambiant. Les Afghans ont vécu sous le joug des Taliban et malgré cela, une grande partie d’entre eux les soutient sept ans après qu’ils aient été chassés! C’est là-dessus qu’il faut agir en combattant les éléments OBJECTIFS que j’ai cités plus hauts et pas en agissant seulement sur le plan militaire voué par avance à l’échec: dans l’histoire, personne n’a jamais “pacifié” l’Afghanistan, sauf les Anglais très partiellement et justement quand ils ont joué une autre carte.
Benjamin