Il y a quelques jours,
Jean-Marc Ayrault a publié une
tribune dans Le Monde qui aurait, me semble t-il, mérité d’être un peu plus
commentée et mieux considérée.
Certes on y retrouve un discours dans l’ensemble assez convenu et les incontournables thèmes de gauche comme la promotion de la solidarité, de l’égalité, de la laïcité ou encore la lutte contre la précarité et le chômage. On y trouve également l’apologie de la méthode Hollande qui peut se résumer en deux mots : concertation et négociation. Mais une fois ces poncifs rapidement dépassés, cette tribune marque une véritable et saine rupture dans le langage politique de la gauche.
Tout d’abord parce qu’à ma connaissance, c’est la première fois qu’un
dirigeant socialiste au pouvoir exprime clairement la nécessité de
« renouveler en profondeur le modèle français ». Je dirais même
plus, comme dirait Dupont (ou Dupond je ne sais pas), je n’ai entendu ce type
de propos de la bouche d’aucun premier ministre en exercice (sauf peut-être
Chaban avec sa « Nouvelle société » mais j’étais trop jeune pour m’en
souvenir).
Jusqu’à présent, le modèle français ou plus précisément le modèle social
français, était intouchable. Hors de question pour un homme politique au
pouvoir de le remettre ouvertement en cause sous peine de se voir considéré
comme un gros réactionnaires antisocial. A plus forte raison pour un politique
de gauche. Certes beaucoup d’économistes et de commentateurs de la vie publique
avisés nous disent depuis longtemps que le modèle de nation-providence à crédit
qui est le notre n’est plus viable, mais de la part d’un premier ministre,
c’est une grande première.
Ensuite, parce que Jean-Marc Ayrault ne tombe pas, dans ce que j'appelle, le
syndrome du bouc émissaire qui touche toute la classe politique à gauche comme
à droite mais surtout à gauche. La crise, notre endettement pharaonique, nos
exportations qui s'écroulent, notre croissance famélique ou notre chômage
pléthorique, c'est évidemment de la faute des "autres". Les autres étant selon
les jours et les tendances, les banques, les marchés, la mondialisation, les
grandes entreprises, les riches, la Chine, les américains, l’Europe et j’en
passe et des meilleures.
Or, en évoquant la crise économique et sociale, Jean-Marc Ayrault nous dit:
« La tentation est grande d'en reporter la responsabilité sur autrui,
d'accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la
concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en
Europe. » !
Et d'en conclure qu’il nous faut « remédier à nos propres
faiblesses, et (…) mieux tirer parti de nos innombrables atouts
».
Voilà enfin un discours de responsabilisation. La situation dans laquelle
nous nous trouvons n’est pas de la faute d’autrui, ce qui signifie que si nous
nous sommes assez « clairvoyants pour identifier les causes de nos
difficultés », nous pouvons l’améliorer.
Au passage d’ailleurs, il réaffirme très clairement, l’erreur que serait
pour la France, le repli sur soi protectionniste préconisé par le Front de
Gauche et par Montebourg.
Enfin, autre raison d’apprécier cette tribune décidément iconoclaste à
plusieurs égards, c’est lorsque Jean-Marc Ayrault écrit noir sur blanc qu’il
« nous faut d'abord repenser le rôle des pouvoirs publics »
et lui de faire un constat encore inédit dans la bouche d’un socialiste :
« (…) la dépense publique a perdu de son efficacité : elle est
passée en cinq ans de 52 à plus de 56 % de la richesse nationale, sans que
notre niveau de vie ait progressé. »
Fini le « toujours plus », cher aux tenant d’un Etat providence obèse
et inefficace, réexaminons ce que doivent être les missions de l’Etat et des
collectivités territoriales et adaptons les moyens mis à leur disposition à ses
objectifs.
Comme évoqué en introduction, cette tribune n’a pas été bien mise en valeur,
probablement du fait de la personnalité d’Ayrault et parce que les points
importants ont été noyés dans un discours plus traditionnel. Pourtant, elle
marque une rupture nette avec l’habituel langage de gauche et surtout avec
celui d’une partie du PS, Montebourg en tête. On est bien loin de la plupart
des discours du congrès de Toulouse.
Même si tout ces points peuvent apparaître à beaucoup comme autant
d'évidences, et même si l'Europe y est expédiée bien trop rapidement, à travers
cette tribune, l’exécutif a le mérite de se coltiner sans faux semblants et
sans ambiguïtés volontaires, avec plusieurs gros tabous de gauche : le
modèle social français, le rôle des pouvoirs publics, la mondialisation ou
encore la nécessité de réduire les coûts de production des entreprises.
En fond, il exprime également sa prise de conscience que face aux
bouleversements auxquels nous sommes confrontés, c’est tout le paradigme
français qu’il faut reconsidérer.
C'est plutôt rassurant, il est seulement dommage que ce soit Ayrault et non pas Hollande qui ait exprimé tout cela. A ce propos, j’ose espérer que ce n’est pas, de la part de ce dernier, par crainte de mécontenter tels ou tels alliés ou supposés alliés politiques.