Le silicium ne manquerait pas dans les océans, bien au contraire

Publié le 08 janvier 2013 par Memophis
Les océans recevraient beaucoup plus de silicium qu’on le pense, ce qui doit faire plaisir aux diatomées. Plusieurs apports, notamment ceux en provenance des résurgences et des marges continentales, auraient en effet été négligés lors d’une précédente évaluation. Ce flux ne devrait plus être ignoré par les modèles climatiques.

Les diatomées, microalgues à carapaces siliceuses, produisent parphotosynthèse le quart de l’oxygène que nous respirons. Ce faisant, elles consomment du dioxyde de carbone (CO2) et jouent de ce fait un rôle majeur dans la pompe biologique de CO2. Pour preuve, elles participent à l’exportation de la moitié du carbone présent dans les eaux superficielles des océans vers les grands abysses. En outre, ces algues sont uniques parmi les organismes photosynthétiques marins, car elles ont besoin de silicium pour fabriquer leurs frustules de verre, ce qui explique partiellement le lien fort existant entre le cycle du carbone et celui du silicium.

Curieusement, les modèles climatiques ont longtemps ignoré le silicium, leur composante biogéochimique destinée à quantifier les flux de carbone étant uniquement basée sur la limitation par l’azote ou le phosphore inorganiques dissous.


Les diatomées sont des microalgues unicellulaires planctoniques, les seules à posséder une enveloppe externe siliceuse. Il en existerait plus de 100.000 espècesdans nos océans. © Lemar, IUEM

Plusieurs origines possibles pour le silicium des océans

Généralement, le silicium arrive dans les océans via :

  • les continents, les fleuves, les résurgences d’eau douce et lesmarges continentales, lesquels sont alimentés en silicium par le lessivage des roches et des sols siliceux par les pluies (la silice se dissout dans l’eau en donnant de l’acide silicique, souvent dit « silice dissoute ») ;
  • les fonds marins, plus précisément les sources hydrothermalesprofondes ;
  • l’atmosphère.

En 1995, un groupe international publiait dans la revue Science un article sur le budget du silicium dans l’océan mondial actuel. Ce document donnait notamment une estimation des apports par les fleuves, les sources hydrothermales et l’atmosphère, les autres étant alors considérés comme négligeables. Cette publication, qui a fait date, est devenue l’un des piliers de la biogéochimie marine pour les observations de terrain, les expérimentations en laboratoire, les études de processus en mer et la validation de modèles.

Le silicium provenant des marges continentales non négligeable

Bénéficiant de nouvelles données rendues accessibles depuis, deux chercheurs du Laboratoire des sciences de l’environnement marin (Lemar), dont fait partie le premier auteur de l’article de 1995, ont repris ce travail en réalisant de nouvelles estimations incluant cette fois les résurgences et les marges continentales. Ils ont montré dans la revue Annual Review of Marine Science que les apports nets de silicium à l’océan mondial en provenance des continents avaient été largement sous-évalués.

Si les apports des fleuves (essentiellement ceux des grands fleuves de la zone tropicale) restent prédominants (61 % du total des apports), ceux provenant des marges continentales représentent 20 % du total et ne peuvent donc plus être négligés. Quant aux apports des résurgences d’eau douce à l’océan côtier, ils s’avèrent aussi importants que ceux des sources hydrothermales profondes ou de l’atmosphère.


Cycle biogéochimique du silicium dans l’océan mondial à l’état d’équilibre. La ligne pointillée représente la limite entre les estuaires et l'océan, les flèches grises les flux d'acide silicique et les flèches noires les flux de particules de silice biogénique. Tous les flux sont exprimés en téramoles (1012 moles) de silicium par an. Abréviations : FR(gross)/(net), apports fluviaux bruts/nets ; FRW, dépôts de silice biogénique dans les estuaires ; FGW, flux des résurgences ; FA, entréeséoliennes ; FH, entrées hydrothermales ; FW, entrées par dissolution des minéraux déposés sur les marges ; FP(gross), production brute de silice biogénique (diatomées) ; FD(surface), flux d'acide silicique recyclé dans le réservoir de surface ; FE(exportation), flux de silice biogénique exportée vers le réservoir profond ; FD(profond), flux d'acide silicique recyclé dans les eaux profondes ; FD(benthique), flux d'acide silicique recyclé à l'interface eau-sédiment ; FS(rain), flux de silice biogénique en sédimentation et atteignant l'interface eau-sédiment ; Fupw/ed, flux d'acide silicique transféré du réservoir profond à lacouche de surface (upwelling, diffusion turbulente) ; FB(netdeposit), dépôt net de silice biogénique dans les sédiments côtiers et abyssaux ; FSP, puits net de silice biogénique dû aux éponges des plateaux continentaux. © Insu

Un temps de résidence du silicium plus court qu’auparavant

Les flux d’entrée du silicium dans l’océan étant plus importants que ceux précédemment définis, les chercheurs ont recalculé le temps de résidence du silicium présent dans l’océan sous forme de silice dissoute. Il serait 35 % inférieur à la valeur de 10.000 ans trouvée en 1995. Or, un atome de silicium délivré par la planète solide à l’océan tourne 25 fois en moyenne dans le cycle biologique (assimilation par les diatomées, puis dissolution des débris siliceux dans l’eau de mer, puis réassimilation, etc.). Il quitte ensuite la phase liquide et est enfoui dans les sédiments marins sous forme d’opale, un minéral siliceux qui contribue sur le très long terme à la formation de minéraux silicatés plus complexes. Un temps de résidence plus court signifie donc que le silicium va « tourner » plus rapidement que prévu dans le cycle biogéochimique.

Les auteurs ont également démontré que dans le réservoir profond de l’océan, contrairement à ce qui était admis jusqu’à présent, le recyclage du silicium par dissolution de silice biogénique (silice intégrée aux diatomées) se déroule prioritairement à l’interface eau-sédiment (75 %), et non dans la colonne d’eau (25 %). Ce facteur ne pourra plus être ignoré par les modèles globaux en physique et biogéochimie.

Il ressort de ces résultats que si seul le puits d’opale sédimentaire dû aux diatomées est pris en compte, il y a davantage d’apports de silicium à l’océan (sources) que d’export (puits). Pour que le budget de cet élément puisse atteindre l’équilibre, d’autres puits sont donc nécessaires : le puits de silice dû aux éponges siliceuses (particulièrement abondantes dans les eaux riches en silice dissoute de l’Antarctique et du Pacifique nord) pourrait être un bon candidat. L’incertitude sur ce puits est cependant telle que l’hypothèse d’un cycle du silicium à l’état non stationnaire dans l’océan moderne demeure envisageable.