A l’occasion de la sortie de son ouvrage « Pouvoir(e)s, les nouveaux équilibres hommes-femmes », Armelle Carminati, DG Diversité d’Accenture monde, à accepté, dans le cadre d’une interview accordée à Sandra Minault (Fondatrice de L-Management), de revenir sur son parcours, et sur son rapport personnel avec la diversité!
Quand et comment êtes-vous « tombée » dans la diversité ?
Très tardivement (rire !). J’ai intellectualisé tout cela lorsqu’on m’en a fait la demande, dans le cadre d’une mission de conseil.
En tant que consultante, comment avez-vous décortiqué la question de la diversité à l’époque où la place des femmes n’était pas encore une question de société ?
Ne sachant pas comment aborder cette question complexe, j’ai démarré ma réflexion et mon travail, un peu comme une scientifique, avec un plan d’action factuel, en utilisant tous les matériaux de recherches possibles : décortiquer la situation, isoler des éléments exploitables, faire parler les chiffres…
…. mais aussi surtout faire parler les gens !
J’ai commencé par des « Exit interview » de type « que sont-ils devenus ? » auprès d’anciens collaborateurs, afin de connaitre les raisons de leur départ, faire un état des lieux, nommer des contextes, mesurer des situations, faire sortir des choses … afin de savoir si la question de la diversité avait été un parti pris au moment du départ.
J’ai tenté d’individualiser la raison d’un départ, plutôt que « sexuer » la raison d’un départ
Puis un jour, de consultante, vous êtes devenue « militante » ! Pouvez-vous nous raconter cette étape de votre parcours, les éléments personnels et professionnels qui ont contribué à votre implication dans la question des diversités
C’est à l’occasion de la conférence parisienne « Women future » (devenue « Catalyst », ONG Américaine) que j’ai eu ce déclic: ce rendez-vous était en fait tout sauf un RDV de féministes comme je m’y attendais ! Ce fut une rencontre incroyable, animée par des filles passionnées, passionnantes, et au parcours professionnel incroyable.
En consultante, on m’avait commandé une mission sur la mixité et j’étais venue l’exposer… Jusqu’à ce que cela se « retourne contre moi », et que l’on me projette en exemplarité, me demandant comment j’avais pu gérer mon parcours, ma vie de famille….
J’étais finalement moi aussi, un peu comme ces femmes : prise en exemple. Ce fut pour moi un réel déclic émotionnel.
Quand l’émotionnel se mêle à l’étude (au cérébral) et que l’on découvre une vraie attente de la part de jeunes femmes (« je me suis faite aspirée par une réelle attente, bienveillante de surcroit ») !… Alors on devient militante !
Comment avez-vous procédé, voire innové, pour « pousser » les talents en général, les femmes en particulier, à oser prendre le pouvoir en entreprise ?
Concernant la question des femmes en particulier :
Vous évoquez là la question du désir des femmes, de leur appétit pour réussir dans des métiers intenses, des raisons qui les poussent à rechercher le pouvoir.
Encore bien souvent malheureusement, le désir de carrière chez les femmes peut être découragé car il n’est pas entretenu, qu’il y a trop de compromis à faire…. Tout peut être gâché, tout simplement que la femme n’a pas trouvé le mode d’emploi d’une bonne gestion de SA carrière. Ces situations sont regrettables, pour la femme bien sûr, qui ne s’épanouie pas en tant qu’individu, mais aussi pour l’entreprise employeur, quoi voit un talent qui ne se révèle pas, et perd ainsi un potentiel.
J’ai alors choisi d’innover, en étant l’une des 1eres entreprises en France à mettre en place le coaching « au féminin ». Mon objectif : aider les femmes à trouver leurs propres leviers, mais aussi ceux de l’entreprise. « Equiper » les femmes, avec des outils nouveaux et innovants pour que les dirigeants prennent conscience de la situation (nouvelle et donc différente certes, mais aussi, à terme, génératrice de résultats et de valeurs) et que les femmes prennent confiance.
Ensuite, nous avons étayé cette pratique en développant le coaching individuel. Cela offrait une approche et des outils dédiés à « l’exploitation » des talents des femmes.
Concernant la question de la gestion des talents (et des diversités !) en général :
Pourquoi une femme aurait-elle moins de leadership ? Comment aider et accompagner ces femmes à fort potentiel de leadership à se révéler ?
Mais aussi, plus largement et à titre d’exemple : pourquoi faire évoluer un jeune prometteur juste « parce qu’il n’a pas fait de grande école » est-il anxiogène ?
La question de gestion des différences et de la relève des talents s’adresse aux femmes (vs les hommes), tout comme aux autres situations de diversité. Ex : les faiblement diplômés vs les diplômés de grandes écoles…
Le défi des RH quand il s’agit de soulever la question de la relève des talents : trouver les bons talents et pour les bonnes raisons.
Même si nous avons aujourd’hui de plus en plus d’outils pour assurer la « relève des talents » : (entretiens, évaluations, coaching, formation… ) tout ce qui compte au fond ce n’est ni le sexe, ni l’origine sociale ou religieuse… C’est bien le potentiel, la personnalité de l’individu : l’humain !
Prendre en considération les différences, quelles qu’elles soient, peut certes être un « révélateur » de potentiel, mais cela fait peur.
C’est ainsi qu’a été évoquée à l’origine, la notion de gestion des différences, de la diversité… de ce qui « potentiellement fait peur ».
La question des « femmes » est une partie de la question de la gestion de la diversité, même si d‘après moi elle garde sa spécificité.
Pourquoi dites-vous que la diversité « hommes femmes » est à considérer différemment des autres types de diversité ?
Prenons quelques exemples :
- « ne pas avoir fait une grande école » est une question qui dérange notre culture française, aujourd’hui.
- « Etre noir » en Afrique du sud est devenu une condition d’accès au monde professionnel
- « Etre gros ou grand », à une certaine époque, était signe d’opulence et de pouvoir. Cela n’est plus le cas aujourd’hui.
Tout cela pour dire que la question des différences est souvent contextuelle, culturelle, évoluant dans le temps dans l’histoire, en fonction d’un contexte donné.
A l’inverse, la différence hommes-femmes est une question universelle : la dissymétrie femmes / hommes a toujours été dans le même sens, partout, et depuis la nuit des temps ! Elle n’est donc pas de même nature. Cependant, une partie des outils pour y trouver remède (confiance et estime de soi) se trouve dans le même arsenal.
Et vous, en tant que consultante spécialiste de la question, mais aussi en tant que femme ou encore que mère, comment vous positionnez-vous ?
Être rare et être « pas pareil », fragilise, peut faire douter, mais c’est aussi un moyen de se démarquer, d’aider l’individu à mieux PRENDRE sa place (et non pas « trouver » sa place)
En tant que mère, avec cette expérience professionnelle, j’ai choisi de faire en sorte de ne pas mettre mes 3 filles sur des rails « convenables ». J’ai préféré privilégier le développement de leur personnalité, de leur audace… leurs différences !
« Ne pas être « convenable », pour ne pas s’enfermer… durablement ! », tel est mon credo !
Parlons un peu de votre ouvrage « Pouvoir(e)s » (Ed. Eyrolles), et de l’aventure humaine qui lui a permis de voir le jour?
En effet, notre objectif initial avec ce livre était de produire et créer de l’influence, favoriser le partage de bonnes pratiques, organiser le partage de compétences, créer une intelligence collective.
C’est en utilisant l’intelligence individuelle de chacun qu’on arrive à un résultat collectif « extraordinaire »
L’equipe de co-auteurs s’est appuyée sur sa diversité : des gens passionnés, passionnants, gourmands et impatients de se nourrir du retour des autres, et toujours avec émerveillement : nous avons tous des expériences à raconter et à rapporter, mais nous nous nourrissons aussi énormément de ce qu’apportent les autres membres de l’équipe projet. Ce livre est le fruit d’une co construction en mode projet où chacun à su / dû trouver sa place dans l’aventure…. A l’image de la vie en entreprise !
Et quel plaisir d’entendre des MERCIS face à cette production, a cette aventure qui s’est révélée tout aussi productive qu’addictive !
Peut-on parler de « pouvoir au féminin » et de « pouvoir au masculin » ?
Les femmes ont tendance à parler de « pouvoir de faire », tandis que les hommes parleront ou percevront plutôt un « pouvoir sur ».
En effet, les femmes sont en attente et en quête d’un type de pouvoir qui leur permettra d’avoir plus de libertés, de pouvoir « faire plus »…
D’instinct, les femmes n’ont pas envie de « prendre le pouvoir ». Elles ne salivent pas du tout sur la notions de pouvoir, tel qu’on peut l’entendre dans les grandes entreprises : pouvoir sur les individus, les équipes, les budgets…
Les femmes n’ont pas toujours, dans ces structures, un tempérament entrepreneur. Dans les carrières corporate, Il faut leur donner envie de pouvoir.
Le coaching collectif à donc pour but d’aider chacune de trouver « le pouvoir à sa façon ».
L’aboutissement est la compréhension du « pouvoir de » : se réapproprier un destin, gagner en autonomie, rendre moins de comptes, s’en vouloir si un projet plante… le pouvoir de moins subir !
Cette notion de pouvoir prend souvent le dessus sur le « pouvoir statutaire » (être assis au comité de direction avoir les attributs du pouvoir, avoir plus d’argent), qui est moins source de motivation pour une femme.
Ex. : On propose à l’individu de prendre en charge « plus » de responsabilités, pour avoir plus de pouvoir. L’homme aura tendance à dire « combien ? » (en volume et en rétribution) tandis que les femmes auront tendance à dire « merci ! », voire même « je n’ai jamais fait, vais-je pouvoir ? ».
Mais aujourd’hui, la question que l’on se pose est de savoir si cette différence sera durable, ou si elle est ce qu’elle est car les femmes sont « nouvelles dans le monde du pouvoir ».
Quelle perception les jeunes générations ont-elles du pouvoir ?
Dans la jeune génération (Gen Y), le « pouvoir sur » ne fait pas plus envie aux garçons qu’aux filles.
C’est une génération qui a de l’appétit, de l’enthousiasme et qui veut changer le monde, comme les nouvelles générations depuis toujours.
Par contre, cette jeune génération a conscience de l’éphémère, et notamment de l’éphémère d’un poste, d’un titre, d’une place, de l’argent, des attributs matériels etc…
De fait, comme la question de l’ambition d’une carrière ascensionnelle avec accès au pouvoir prend du temps, cela les intéresse moins. Ils privilégieront (filles comme garçons) un retour rapide, une jouissance ou un bénéfice immédiat des actions qu’ils entreprendront.
Aujourd’hui, chez les jeunes actifs, il y a un plus grand appétit sur le contenu, le sens, l’intérêt quotidien d’un job. Les apprentissages quotidiens « au fil de l’eau » pèsent bien plus que des « figures imposées » pour décrocher les timbales du pouvoir.
Les jeunes sont moins prêts à respecter le protocole et les figures imposées du pouvoir.
D’après vous, comment sera le pouvoir demain ? Sera-t-il davantage « mixte », c’est-à-dire revêtu de valeurs féminines ?
On ne peut pas parler de pouvoir avec des valeurs au féminin! Ce raccourci est trop dangereux, lourd de stéréotypes et enfermant dans des postures.
Un homme empathique, doux et facilitateur ne serait donc pas un homme ?
Une femme qui ne serait pas dans cette douceur, qui serait plus directe, ne serait donc pas une femme ?
Appuyons-nous sur les talents individuels, sans raisonner en privilège de genre ou de sexe.
Une équipe ne sera pas bonne parce qu’elle est statistiquement mixte, mais parce qu’elle à trouvé la bonne conjugaison entre les talents et différences de chacun. La question « mixité et performance » n’est pas pertinente, encore moins judicieuse. La différence PEUT mener à la performance. Je l’ai évoqué en vous parlant de l’aventure de la rédaction de « Pouvoir(e)s » : c’est lors de la constitution de l’équipe, c’est-à-dire au moment d’assembler des profils différents, qu’il est important et impératif de faire un surcroit d’ajustements pour bien travailler ensemble, pour que tout devienne implicite. Il y a donc un ticket d’entrée à « payer » dans les équipes dites mixtes (ou diverses), pour que l’équipe trouve son mode de fonctionnement optimal. Mais c’est justement ce surcroit d’ajustements et d’implications des individus qui mène à la performance.
Mais tout l’art du manager est là ! Il ne doit pas hésiter à sortir les individus de leur « zone de confort », pour que tout le monde se remette en question, s’implique, tire plus de lui-même… pour en tirer ce fameux « surcroit de performance des équipes hétérogènes ». On ne parle pas d’effet magique » d’avoir embarqué dans le même bateau des gens « différents », mais d’intelligence managériale ! Le profil du manager joue donc beaucoup. C’est lui qui va donner du sens, battre de le rythme, arbitrer, caler les rôles de chacun …
Pour conclure : en tant que « femme dirigeante », quels sont les conseils que vous donneriez à des femmes pour réussir ?
- Avoir le toupet de ne pas être une « fille convenable » : trouver sa juste place, sans se conformer…et sans pour autant prendre tout le monde à rebrousse poil !
- Oser être égoïste : réfléchir et s’attribuer une place a soi, occuper l’espace, plutôt que de prendre la place « après les autres »… ce qui bien sur n’empêche pas d’être à l’écoute des autres ! En bref, c’est avant tout s’écouter, ne pas s’oublier en route, et être en permanence connecté à soi (ce qui me convient, me plait, me réussit, mais aussi ce qui me ronge)
- Se connaitre soi même pour se rendre « lisible » et permettre à l’entourage de connaitre vos propres règles du jeu.
- Construire ses promesses du lendemain tous les soirs, sur des projets « courts termes » qu’ils soient pro ou perso, plutôt que dire « je privilégie tel ou tel aspect global de ma vie », et de ce fait, apprendre à dire non, à gérer ses priorités
Armelle, merci pour ce beau retour d’expérience!
Aller plus loin. Lire aussi :
- La « démarche diversité » en entreprise : phénomène de mode, ou vrai phénomène de Société? – Interview de Sandra Minault sur la démarche diversité en entreprise
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