L'Afrique qui marche est anglophone

Publié le 08 janvier 2013 par Africahit

L'Afrique francophone est en pleine tourmente au moment où les Lions d'Afrique anglophone rugissent, avec des croissances économiques spectaculaires.


Une usine de production d'énergie, Abidjan, Côte d'Ivoire, 2012. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Qui est le nouveau champion de la croissance économique en Afrique subsaharienne en 2012?

Non, ce n’est pas la Côte d’Ivoire, ni le Sénégal ou leGabon. Il faut sortir du jardin francophone pour rencontrer l’Afrique qui marche.

Le champion de la croissance au sud du Sahara, c’est une ancienne colonie britannique, sortie il y a dix ans d’une terrible guerre civile, la Sierra Leone, avec une hausse fulgurante de 32% de son PIB grâce à son minerai de fer et son pétrole.

Le pays fait peu parler de lui et est quasi-absent des médias francophones couvrant l’Afrique.

Et pourtant, cet élève un peu timide du fond de la classe, encore classé parmi les pays les plus pauvres de la planète, vient de décrocher les félicitations du jury et succède à un autre «lion africain», le Ghana, anglophone lui aussi, boosté par le pétrole, qui passe de 13,6% en 2011 à un confortable 8,8% en 2012, selon le FMI.

En 2011, la croissance économique de la Sierra Leone était déjà honnête (+5,1%) et devrait rester très élevée en 2013 (+9,1%). Le sous-sol regorge de diamants, or et bauxite et du pétrole off-shore devrait également aider au décollage du pays.

Stabilité politique et envol économique

Cerise sur le gâteau, la croissance de l’économie va de pair avec l’enracinement démocratique. Pas mal. En conséquence, il serait temps de s’intéresser enfin à cette «success story» à l’Africaine.

Le président Ernest Bai Koroma qui a réussi à attirer de nombreux investissements étrangers vient de se faire réélire dès le premier tour avec près de 60% des voix lors d’un scrutin applaudi par la communauté internationale mais passé largement inaperçu.

Ce presque sexagénaire est peu connu hors de son pays, il préfère se concentrer sur les affaires intérieures plutôt que jouer les divas aux sommets de l’Union africaine, ce chrétien va à la messe les dimanches mais assiste aussi tous les vendredis à la grande prière du vendredi avec les musulmans.

Bref, il panse les plaies de la guerre et s’active pour sortir de la pauvreté ses concitoyens. Même si, bien sûr, tout n’est pas rose et une importante corruption accompagne la forte croissance du PIB.

La deuxième plus forte croissance économique de l’Afrique subsaharienne est enregistrée par un pays francophone, le Niger, avec un beau 14%, qui contraste fort avec le maigre 2,3% de 2011. Mais la performance de 2012 est largement superficielle, essentiellement due au début de l’exploitation du pétrole.

Et ne suffit pas à faire de ce pays un «lion d’Afrique», car il est toujours classé parmi les plus pauvres du monde, avec un indice de développement catastrophique et une explosion démographique qui handicape tout développement.

Le Niger pourrait en outre être contaminé par le «cancer islamiste» qui a gangréné le Nord-Mali. Les perspectives de croissance économique s’établissent à 6,6% en 2013, espérons qu’aucun «fou de Dieu» ne transforme le rêve nigérien naissant en cauchemar durable.

Angola, le nouvel eldorado

Le pays occupant la troisième place du podium des champions de la croissance 2012 n’est ni anglophone, ni francophone, mais lusophone: l’Angola qui dispute au Nigeria la place de premier producteur africain de pétrole et qui bénéficie d’investissements massifs de la Chine.

L’Angola passe de 3,4% de croissance en 2011 à 9,7% en 2012 et devrait frôler les 7% en 2013. Tout roule donc pour l’inamovible président Dos Santos, au pouvoir depuis… 1979.

Le Liberia avec une croissance de 8,8%, en partie boostée par le pétrole, coiffe au poteau, en 2012, la «locomotive ivoirienne» qui rebondit (+8,1%) après la grave crise de 2011 qui avait fait plonger son PIB de près de 5%.

Mais on attendait mieux de l'Eléphant ivoirien, les autorités ayant promis une croissance à deux chiffres. Les prévisions pour 2013 ne sont en outre que d’un peu plus de 6%.

Le président Alassane Ouattara a encore du pain de la planche. Sur le plan économique d’abord mais aussi pour stabiliser la situation intérieure, avec des opposants armés qui multiplient les raids ces derniers mois et une politique de réconciliation qui est trop lente.

Les conflits, boulets des francophones

La Côte d’Ivoire est symptomatique de cette Afrique francophone qui pleure en regardant ses voisins anglophones, notamment le cousin ghanéen, prendre le train de la croissance. Il est toujours frustrant de rester à quai à l’heure de l’émergence africaine. De rater son rendez-vous avec l’Histoire.

En 2012, de la crise au Nord-Mali en passant par la rébellion en Centrafrique et dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les pays ayant le Français en partage ont occupé la mauvaise rubrique de l’actualité.

Et cela devrait continuer en 2013. Rien n’est réglé au Nord-Mali, sous la coupe de bandes armées islamistes qui détruisent des mausolées, témoignages uniques de l’histoire subsaharienne, et terrorisent les populations avec une application médiévale de la charia.

La force militaire ouest-africaine, soutenue logistiquement par Paris et Washington, n’est pas encore sortie des cartons. Et les premiers mouvements auront lieu au plus tôt en septembre 2013. Avec d’ici là, des risques de contagion à la Mauritanie, au Niger et peut-être dans le sud algérien.

Autre foyer de tension francophone, la Centrafrique avec le pouvoir du président François Bozizétrès menacé par une alliance hétéroclite de rebelles depuis qu’il semble lâché par la France et son ex-parrain tchadien. Qui lui succèdera pour gouverner le «ventre mou de l’Afrique»?

Difficile là encore d’être optimiste pour ce pays encore hanté par les folies de Bokassa (qui a dirigé le pays de 1966 à 1979).

S’il plonge dans l’anarchie, il pourrait devenir le repère de tous les rebelles de la région, à l’instar de ce qui est en train de se passer dans le Nord-Mali, devenant ainsi une zone grise de plus sur le continent.

Et la situation dans Kivus congolais, une région potentiellement très riche mais encore une fois déstabilisée par une rébellion soutenue par le Rwanda, ne devrait pas en 2013 faire monter la côte de l’optimisme francophone.

Pour couronner le tout, autre indicateur du retard francophone, la croissance économique dans les pays de la zone Franc est depuis au moins 10 ans systématiquement inférieure à la moyenne subsaharienne.

Elle fait pourtant jeu égal avec la moyenne subsaharienne en 2012 autour de 5,5%, mais c’est uniquement grâce aux chiffres exceptionnels du Niger. En 2013, la croissance de la zone Franc devrait atteindre 4,9%, encore une fois en dessus des 5,3% de l’Afrique subsaharienne.

Début octobre à Paris, lors d’une cérémonie marquant le 40e anniversaire de la zone France, le président Ouattara avait reconnu qu’il fallait se bouger:

«L’heure de l’Afrique a sonné» et «les pays de la Zone Franc ne peuvent rester en marge de cette dynamique.»

Atteindre «l’émergence à brève échéance» constitue «un pari à notre portée», a-t-il espéré. Espérons donc qu’en 2013 les Lions d’Afrique rugissent (aussi) en français.

Adrien Hart