La peur est un comportement inné. Cela dit, nous pouvons
apprendre à avoir peur de nouveaux objets tout au long de notre vie, comme l’a
démontré le conditionnement du Petit Albert.
Albert, un petit bébé de 11 mois, fut placé sur un matelas avec un rat blanc de
laboratoire en 1920, dans le laboratoire du professeur John B. Watson, aux
États-Unis. Au début, il fut autorisé à jouer avec, et ne montrait aucun signe
de crainte. Comme tous les petits enfants, il tendait maladroitement les mains
vers le rat et gazouillait tranquillement. Un peu plus tard, Watson et son
assistante – qu’il épousa par la suite – se mirent à taper violemment sur une
barre de fer avec un marteau, produisant un son brutal, dès que le bébé
touchait le rat. Albert, très choqué, pleurait et semblait effrayé en entendant
le son. Après plusieurs répétitions de l’expérience, on présenta alors le rat
seul à Albert, qui montra des signes de grande agitation dès que le rat fut
dans la pièce et, pleurant, tenta de s'en éloigner autant que possible.
Apparemment, le bébé avait associé le rat au son, donc à une expérience
pénible. Malheureusement, l’association semble avoir été un peu plus loin que
le souhait de nos amis expérimentateurs. Suite à l’expérience, Albert n’avait
pas seulement peur des rats mais également des lapins (y compris de couleur
sombre), des chiens à poils longs, d’un manteau en peau de phoque et même d’un
masque de Père Noël à longue barbe… On ne sait rien de sa vie ultérieure, mais
espérons pour Albert et ses éventuelles futures compagnes que sa phobie du poil
n’aura pas pris des proportions excessives. Il semble que l’on puisse faire
désapprendre une peur apprise en exposant le sujet de façon répétée à l’objet
de son appréhension.
Au niveau physiologique, il existe deux « routes » par lesquelles un stimulus
externe génère une réaction de peur : une route courte, rapide mais imprécise,
passe directement du thalamus à l’amygdale, tandis qu’une route longue, lente
mais précise passe par le thalamus, le cortex et éventuellement l’hippocampe
avant d’atteindre l’amygdale, organe essentiel au décodage des stimulus
menaçants pour l'organisme.
Par exemple, si vous marchez en forêt et que vous
entrevoyez, à vos pieds, une forme allongée enroulée sur elle-même, cette forme
aux allures de serpent va, en passant directement du thalamus à l’amygdale,
très rapidement déclencher des réactions physiologiques de peur très utiles
face au danger. En même temps, ce stimulus visuel va aussi, depuis le thalamus,
parvenir au cortex qui, grâce à sa faculté de discrimination, réalisera
quelques fractions de seconde plus tard que l’objet de votre alarme n’était
qu’un vieux bout de caoutchouc… Vous en aurez été quitte pour une bonne
frousse. Précisons que l’hippocampe joue également un rôle important en nous
renseignant sur le contexte ; ce système de mémoire explicite enregistre,
lors d’un traumatisme par exemple, différents aspects de l’événement (lieu,
date, présence de tiers, caractéristiques diverses…). Ainsi, c’est grâce ou à
cause de lui que non seulement un stimulus peut devenir une source de peur
conditionnée mais également les objets autour, la situation, le lieu...
Les manifestations de la peur sont nombreuses et diversifiées selon les
individus. La première phase de peur, dite phase de choc, se caractérise par
l’inhibition de toute action, pendant que l’on évalue la menace. Cette phase
est la phase de stimulation de l’amygdale, qui va secréter de l’adrénaline et
d’autres neurotransmetteurs qui vont activer le système nerveux sympathique (il
dilate les bronches, accélère l’activité cardiaque et respiratoire, dilate les
pupilles, augmente la sécrétion de la sueur et la tension artérielle, diminue
l'activité digestive…). Notre réponse va être plus ou moins intense et
fréquente selon notre capacité de réaction à ces substances. Dans le meilleur
des cas, elle nous place sous une tension stimulante qui va renforcer notre
acuité mentale. À l’inverse, certaines personnes seront complètement paralysées
et perdront tous leurs moyens.
(sculpture : Claude Fourcade)
Alfred Brauner, dans son livre Ces enfants ont vécu la
guerre de 1947, constate ainsi que les manifestations de la peur
« se traduisent chez certains par des cris, des hurlements, une
agitation intense. Chez d’autres, par des tics, des bégaiements, de l’amnésie,
de l’insomnie. Certains plus calmes en apparence sont plus troublés
intérieurement. D’autres, enfin, apparaissent insensibles. » Chaque
individu réagit différemment à la peur. C’est principalement l’intensité des
sécrétions qui va déterminer les conséquences pour l’organisme. D’autres
facteurs entrent en ligne de compte : l’imagination (qui influe sur
la perception du danger) ; la composante génétique (facteurs
héréditaires) ; l’environnement social (culture, médias, dans le cas d'un
enfant l'anxiété et la surprotection des parents …) ; les hormones (la
puberté, la maternité et la ménopause provoquent des bouleversements hormonaux
chez la femme qui vont renforcer l’anxiété et donc la capacité à développer des
sentiments de peur)... Par ailleurs, nous ne sentons l’intensité de ces effets
physiologiques qu’une fois le péril écarté; c'est au moment où nous prenons
conscience du danger auquel nous avons fait face que nous sentons nos genoux
trembler, notre peau moite...
Les comportements induits par la menace peuvent être rassemblés dans le
diptyque « fuir ou lutter » : si la menace se confirme, on
tentera de fuir ou de se cacher ; si la confrontation devient inévitable,
la lutte est l’ultime option pour tenter de défendre l'intégrité de son
organisme. Dans ce cas, l’organisme est capable d'atténuer la sensation de
douleur face au danger, phénomène bien connu des soldats au combat qui permet
de concentrer nos énergies là où il y a priorité.
Cependant, il existe une dernière hypothèse : celle où il n’est possible
ni de fuir ni de lutter. Cela aboutit alors à la soumission et à l’acceptation
du statu quo. Du point de vue de l’organisme, cela consiste à mettre en jeu ce
qu’on appelle le système inhibiteur de l’action (SIA) ; ce dernier est
utile en fonctionnant de façon épisodique, dans les cas où toute action ne
ferait qu’empirer la situation. Malheureusement, dans nos sociétés basées sur
la compétitivité, nombreuses sont les personnes qui activent de façon chronique
ce circuit pour éviter des représailles. L’inhibition de l’action n’est alors
plus une simple parenthèse adaptative entre des actions d’approche ou de
retrait, mais une véritable source d’angoisse. Ce mal-être va peu à peu miner
la santé de l’individu, car les conséquences négatives de l’inhibition de
l’action sont nombreuses et ont été abondamment décrites : dépression, maladies
psychosomatiques, ulcères d’estomac, hypertension artérielle sont les plus
évidentes. Mais des dérèglements génétiques plus graves comme les cancers et
l’ensemble des pathologies associées à une diminution de l’efficacité du
système immunitaire sont aussi susceptibles de découler de l’activation
prolongée du SIA. Moralité : ne pas attendre le cancer pour fuir ou
lutter!
Sources :
« Le cerveau à tous les niveaux »,
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_a.html (le schéma en est issu, si cela
pose problème merci de me contacter et je l'ôterai immédiatement)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Peur
Brauner Alfred, Ces enfants qui ont connu la guerre, Les Éditions sociales
françaises, 1947
http://www.hypnose-fr.com/peur.php
http://www.peur.org/peur.php
http://en.wikipedia.org/wiki/Little_albert