A propos du livre « Histoire du méchant loup », par Jean-Marc Moriceau (Fayard) ou la montagne qui accouche d’une souris !
"Jean Marc MORICEAU exploite très astucieusement le filon "loup anthropophage". Il refuse obstinément d'envisager l'hypothèse du meurtre camouflé sciemment ou involontairement en prédation par le loup."
par Roger MATHIEU, médecin.
Un commentaire laissé à la Buvette en janvier 2012.
"Voici ce que j'avais écrit en 2007, lors de la sortie de son premier livre “Histoire du grand méchant loup"; depuis Moriceau persiste dans sa volonté farouche d'instruire à charge et de ne pas envisager le meurtre. Le texte qui suit conserve toute son actualité..."
Je ne reviendrai pas sur le cas des loups enragés qui ont bel et bien existé, mordu et tué des Hommes (enfants, femmes et… hommes). Je ne mets pas en doute le fait que certains loups aient eu un comportement aberrant de prédation sur des Hommes. Au sein d’une population de carnivores sauvages, il peut apparaître (les hasards de la génétique) des individus peu farouches, qui si l’occasion se présente, peuvent (au pire) considérer l’Homme comme une proie et (au mieux) comme un danger que l’on ne doit pas fuir, mais attaquer. La probabilité qu’un tel comportement apparaisse au sein d’une espèce, varie en fonction de l’espèce (Très fréquent chez l’ours blanc, beaucoup plus rare chez la belette…).
Les dangers que peut représenter cette « mutation » pour l’Homme est évidemment lié directement à la taille de l’espèce, à sa puissance et… aux disponibilités alimentaires. Le loup n’échappant pas aux règles élémentaires de la génétique, il est probable (certain…), que des individus, en bonne santé, aient pu attaquer des Hommes, les tuer et les manger (loups anthropophages).
Je reconnais que Moriceau a fait un travail de compilation sérieux et que ces travaux sont documentés, mais ou est l’analyse ?
Je reconnais que Moriceau a été prudent en relativisant la prédation du loup comparée à la mortalité liée aux guerres, famines et maladies. Le tabou du « gentil petit loup » est tombé, soit. J’en suis moi-même heureux, comme nombre de naturalistes, défenseurs des grands prédateurs, qui savent que tous les êtres qui vivent sur cette terre, même les plus petits (pensez aux mouches, moustiques, bactéries… virus) représentent un danger pour notre vie : combien de morts par les bactéries en France durant les cinq derniers siècles?
Pourtant, il y a bien un tabou qui persiste, immense, infranchissable… que personne n’ose franchir. Ne me dîtes pas que vous n’y pensez pas… Mais l’idée, si elle vous a effleuré, a bien vite été rangée dans le lourd tiroir « des choses dont on ne parle pas ».
Quel est l’être vivant, intelligent, malin, robuste, qui peuplait en très grand nombre nos régions durant tous ces siècles? Quel est l’être vivant, qui pouvait le plus facilement approcher les enfants et les femmes? Quel est l’être vivant, qui dans tous ces domaines surpassait le loup? Régulièrement, de nos jours, les médias font état de viols, de meurtre horribles, très souvent commis sur des enfants et des femmes. Sans parler des infanticides (parents qui tuent leurs enfants). Tous ces faits sont évidemment documentés avec procès à la clé et condamnations. Et nous sommes aux « temps modernes » avec des mœurs pôlissées, une police et une gendarmerie en état de marche.
Si la misère existe encore bel et bien, elle ne peut être comparée à celle qui sévissait dans la France concernée par le livre de Moriceau et la vie privée, si elle reste de nos jours (et heureusement) encore largement opaque, elle se montre plus transparente.
Essayez aujourd’hui de faire disparaître votre enfant sans que l’école ou les voisins s’en aperçoivent ! Rien ne permet de penser que les psychopathes, pédophiles ou autres pervers soient plus nombreux autrefois qu’aujourd’hui, mais la société telle qu’on la connaît depuis le début du XXe siècle réduit considérablement les possibilités du passage à l’acte et surtout celles de la récidive (traitement des maladies psychiatriques et enquêtes policières).
Quel était le risque pour un psychopathe vivant dans nos campagnes au XVIIIe siècle de violer et tuer un enfant ou une femme rencontrés sur un chemin, dans un bois, ou en rase campagne, en train de garder un troupeau, de ramasser du bois ou de rejoindre son domicile ? Soit il camouflait son meurtre en attaque de loup, soit il cachait sa victime qui était découverte par un chien ou un loup et dévorée.
Quoi de plus facile alors d’accuser le loup et de permettre aux curés de consigner ces « faits » dans les registres paroissiaux. Pourquoi cette hypothèse n’a pas été sérieusement discutée ? Rien ne permet en tout cas de la balayer ? Comment affirmer, au XVIe siècle, que les restes d’un enfant ou d’une femme découverts au bord d’un ruisseau ou dans un bois proviennent d’une attaque de loup, sur individu vivant?
Pour Moriceau, il suffit que ceci soit consigné dans un registre paroissial avec quelques témoins à l'appui… Un peu court, non ? Sans compter qu’on a du mal à comprendre comment un loup sait, d’instinct, reconnaître un enfant et une femme d’un homme adulte ; considérant que le dernier est plus dangereux à attaquer que les deux premiers.
Le psychopathe, lui, le sait et bien mieux que le loup. Voici quelques faits recensés par MORICEAU « Mes aïeux, quel massacre ! À Rosporden, en Bretagne, en 1773, une gosse de 8 ans, puis une de 10, sont emportées par une louve. Et le 23 septembre, “on a découvert la retraite de cet animal dans les bois. On y a trouvé cinq petits louveteaux et des ossements d’enfants avec le crâne d’une personne qui paraissait être plus âgée”. Idem à Berd’huis (Orne), où l’on enterre en 1739 un ” enfant de dix ans, noyé dans la rivière, lequel avait été tiré hors de l’eau par un loup qui lui a mangé mains et bras, jambes, cuisses et reins”. Pareil au Mesnil (Meuse), en 1690, où “Jean Bigot, âgé de huit ans, a esté dévoré du loup et l’on n’a retrouvé qu’une de ses mains et ses entrailles qui ont été inhumés sous un carreau de l’autel, le reste du corps ayant été emporté et mangé dans le bois”. Etc, etc. ».
Et ça, ça prouverait que les loups mangent des Hommes vivants ? On pourrait presque en rire…
Imaginez un Landru vivant au XVIIème siècle dans la lande de l’arrière pays Bigouden, sûr que le loup aurait avantageusement remplacé la cuisinière. Monsieur le curé aurait consigné soigneusement, les faits dans son registre et 300 années plus tard, un professeur de l’Université de Caen aurait ainsi eu « la preuve » qu’une vingtaine de pauvres femmes ont été tuées et dévorées par le loup.
Une seule chose est certaine : à aucun moment, Moriceau n’apporte la preuve, dans son livre, que des loups non enragés ont attaqué et tué des Hommes vivants et sains. C’est pourtant bien là le nœud du problème. Fallait t-il écrire un livre de plusieurs centaines de pages pour écrire –ce que personne ne nie- que des loups enragés ont tués des hommes ou que des loups ont dévorés des cadavres humains ? A moins que…
Voilà, je suis un modeste médecin qui s’est intéressé aux psychopathies (une multitude de cas concrets concernant essentiellement les enfants et les adolescents) et aux infanticides (en particulier à travers le Syndrome de Munshausen par procuration). Ce sujet n’est plus, pour moi, un sujet tabou.
Comme vous tous, je lis la presse, j’écoute la radio et je regarde le journal télévisé. Les procès sont là, avec des faits (bien documentés, ceux-là, avec instruction à charge et à décharge) et les condamnations sont prononcées. Il n’y a plus d’histoires de loups pour disculper les coupables. Quel est le nombre de victimes recensées de ces psychopathes en France au cours du dernier demi-siècle ? 200 ? 400 ? 600 ? Très souvent des enfants et des femmes (Comme au temps de loups…) : c’est probablement l’ordre d’idée.
Combien seraient-elles, ces victimes, sans le travail de la police, les moyens modernes de recoupement des données, les tests scientifiques (empreintes classiques ou génétiques…), la presse qui informe et suscite des témoignages ; l’efficacité des soins psychiatriques ? 5 fois plus, 10 fois ; un peu plus. Allez, disons entre 500 et 1000 victimes humaines recensées avec viol suivi d’assassinat, assassinat de femmes ou d’enfants, ou infanticides depuis 1950. 500 ou 1000 victimes que le loup n’aura pas tuées et dévorées ; et pour cause : il n’y avait plus de loups jusqu’au début des années 90. Une chance pour le loup !
Mais gageons que d’ici quelques mois, la première victime dévorée par le loup sera signalée du côté de Belledone. Un enfant, ou une randonneuse affreusement mutilé ? Il y a quelques années, dans les Alpes françaises, un berger saoul, tombé dans un ravin, a bien essayé de faire croire que ses blessures résultaient de l’attaque d’un loup.
Au XVIIe siècle, ces faits auraient été consignés soigneusement, par monsieur le curé, dans le registre paroissial, pour le plus grand bonheur d’un « professeur d’histoire moderne à l’Université de Caen, un chercheur reconnu en l’histoire rurale en France ». Il y aurait eu « une date, un fait, un événement » et tout ça suffisait pour le professeur, ainsi convaincu de la culpabilité du loup. Dommage, nous étions au XXIe siècle, et il suffisait de regarder la photo de la victime et écouter ses déclarations à la radio, pour comprendre qu’il existait une hypothèse bien plus plausible pour expliquer les faits…
Moriceau enregistre 3.000 attaques du loup sur l’homme (plus que quelques centaines après avoir utilisé quelques filtres de « bons sens »), entre le XVème et le XXème siècle. Combien de ces faits attribués aux loups pourraient être le fait de psychopathes ?
Impossible évidemment de le dire. Un travail réellement scientifique aurait au moins pu évoquer l’hypothèse. En se basant sur les faits, eux, indéniables, rapportés par les annales des tribunaux français depuis une cinquantaine d’années, on pourrait parier qu’entre l’hypothèse « agression d’origine humaine » et « agression par le loup », la première puisse largement dominer. Mais voilà, le tabou est beaucoup trop fort. Une chose est sûr : le petit chaperon rouge doit surtout se méfier du « Grand méchant homme » déguisé en… Grand méchant loup.
Roger MATHIEU, le 25/09/2007
Le trou du loup
26400 BEAUFORT-sur-GERVANNE
04 75 76 44 27
NDLB : La Buvette vous invite également à lire la critique de ce livre par Farid Benhammou