Classes MiNi et Classic, le billet ŕ 49 euros (1), les bagages payants, la carte Fréquence Plus oubliée : telle est la ŤNouvelle Offre Economyť d’Air France. Une maničre comme une autre d’éviter soigneusement d’utiliser le vocable Ťlow costť, un peu vulgaire. Visiblement, Air France ne se męlera en aucun cas au vulgum pecus et ne procčdera jamais de la męme maničre que les Barbares que sont Ryanair, EasyJet et quelques autres de leurs congénčres. C’est du moins la remarque qui vient ŕ l’esprit aprčs l’annonce de la sous-classe MiNi, une contre-attaque trčs attendue, ŕ vrai dire un peu trop timide.
L’essentiel tient en peu de mots. Sur 58 destinations de son réseau court/moyen-courrier, Air France va installer le 6 février une double grille tarifaire. En MiNi, l’aller simple sera affiché ŕ 49 euros TTC mais, ŕ ce prix, il n’y aura pas de franchise de bagage, lequel sera facturé ŕ 15 euros s’il est réservé immédiatement, le double s’il est annoncé ŕ l’aéroport. Et les billets MiNi ne produiront pas de miles. En revanche, aprčs l’embarquement, rien ne distinguera le voyageur MiNi de ses concitoyens se déplaçant, eux, au prix dit Classic. Les journaux resteront gratuits, tout comme les collations et boissons, cela sans distinction de classe.
Est-ce suffisant pour inquiéter Ryanair et EasyJet ? Lŕ est évidemment toute la question, laquelle risque d’attendre longtemps une réponse circonstanciée. En effet, s’il est un secret commercial gardé, c’est bien celui de la répartition des sičges entre Mini et Classic, curieuse guerre entre les anciens et les modernes, intéressante en soi, mais sans plus. Si les premiers devaient ętre issus des rangs des seconds, la recette unitaire moyenne serait en recul et l’opération un échec. Tout au contraire, si le portrait-robot du passager MiNi indique qu’il s’agit d’un repenti rentré au bercail, Air France sera évidemment gagnante. Le verdict, on en conviendra, s’annonce incertain.
On ne se refait pas : Air France n’appartient pas au męme monde que Ťles autresť. C’est-ŕ-dire des concurrents sans peur et sans reproche qui n’hésitent pas ŕ tout faire payer, męme des sandwichs mous de fabrication anglaise. Et qui véhiculent des passagers qui n’espčrent pas qu’une hôtesse souriante leur offre Le Parisien, Libé ou le Canard. Air France est profondément ancrée dans des habitudes ancestrales, celles d’avant déréglementation, d’une forme subtile d’élitisme suranné. C’est ce qui fait d’ailleurs tout son charme, qui explique qu’un Paris-New York ŕ bord d’un triple 7 ou d’un A380 suscite une impression de bien-ętre peut-ętre unique en son genre.
Mais est-il encore possible de tenir un tel raisonnement ? S’il est vaguement vulgaire de faire appel aux techniques terre ŕ terre de yield management, s’il reste agréable de se laisser aller aux plaisirs gustatifs d’une galette de Pont-Aven, de boire un petit café bien français, et non pas une Ťeau chaude colorée de compagnie aérienneť, si les demi-tours en moins de 30 minutes deviennent la rčgle dans la précipitation, si nous continuons ŕ en parler, c’est évidemment que nous nous sommes trompés d’époque.
Au fond de nous-męmes, nous aurions voulu conserver précieusement Air France telle que nous l’avons connue jadis, ŤAir France de tous les cielsť (2), une compagnie trčs Ťclasseť, ŕ l’image de la France d’avant mondialisation et délocalisations. Mais ce n’est tout simplement plus possible.
Aussi, ŕ côté des grands techniciens du yield management, les hauts dirigeants de la compagnie devraient-ils ŕ présent ętre secondés par de fin psychologues. Lesquels leur expliqueraient que la vraie vie du transport aérien n’a plus rien ŕ voir avec les temps bénis des pionniers. Le temps des journaux offerts, des collations et des petits cafés gratuits est terminé et il faut s’y faire, quitte ŕ renier d’intimes convictions. C’est bien pour cela que Ryanair et EasyJet se portent outrageusement bien, que les low cost européennes transportent plus de 200 millions de passagers par an. Elles n’ont tout simplement pas connu l’époque des conférences tarifaires de l’IATA tenues en costumes-cravates sombres et aucun passé ne les encombre.
Cette prise de conscience n’est pas encore tout ŕ fait devenue réalité chez Air France. La classe MiNi en constitue l’involontaire confirmation.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) A partir de, bien sűr…
(2) Le bel ouvrage historique de Denis Parenteau que vient de publier les Editions Ouest-France.