Le thé est la boisson la plus bue dans le monde après l’eau. En effet quand nous pensons à l’usage que nous en faisons, nous le préparons souvent de manière un peu machinale, pour se réchauffer, se désaltérer et boire « quelque chose de chaud ».
Mais son histoire, sa consommation et sa symbolique sont bonnes à rappeler pour mesurer toutes les dimensions de ce breuvage millénaire.
Dans l’exposition présentée en ce moment au musée Guimet, il sera principalement question du thé en Chine et au Japon. Nous verrons ainsi comment après avoir pris naissance en Chine il a gagné l’Asie orientale, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Amérique en passant par ces 3 phases distinguées ici :
- L’âge du thé bouilli sous les Tangs (618-907)
- L’âge du thé battu sous les Songs (960-1279)
- L’âge du thé infusé Ming et Qing (1368-1911)
Pour asseoir cette importance, deux œuvres sont présentées en introduction : l’Album de la préparation du thé (aquarelle, Chine, début du 18ème siècle) qui appartint au Marquis de Robien, qui détaille de droite à gauche toute la culture et la préparation du thé, ainsi qu’un cube imposant qui est en fait la concrétion d’une tonne de thé. Cette Tonne de thé, de l’artiste contemporain Ai Weiwei montre l’importance du thé, sa fragilité et son aspect commercial comme produit d’échange.
Le thé bouilli
On raconte que le thé a été découvert par l’empereur chinois Chen Nong qui se reposait sous un arbuste, une tasse d’eau chaude près de lui. Quelques feuilles tombées dans son eau, alors qu’il était assoupi donnèrent un goût singulier à son breuvage, qui l’éveilla soudainement.
Le thé est apprécié en effet pour ces qualités qui éveillent, son usage est avant tout médicinal. Il est adopté rapidement dans les institutions religieuses, par les moines bouddhiques et les lettrés. Il concurrence le vin.
Le manuscrit du 5ème siècle intitulé Chajiu Lun, rapporte la discussion fictive entre les deux boissons personnifiées, écrite par Wang Fu. Le thé s’oppose au vin, mais l’eau leur rappelle sa présence fondamentale. Dans cette section, deux peintures sur éventails sont présentées, chacune sur la dégustation d’un des deux breuvages : Déguster le thé à l’ombre pure et Trois buveurs de vin.
© Asie 360On voit qu’à cette époque il est plutôt question de verseuse, et pas encore de théière. La préparation du thé consiste à brouiller les feuilles récoltées avec un moulin et à les faire bouillir dans de l’eau en y ajoutant des aromates, du beurre etc… Cela donne un breuvage parfois épais, qui est servi dans des bols avec une louche. C’est ce que l’on voit encore en Mongolie ou au Tibet. Ce « bouillon » sera servi ainsi jusqu’au 10ème siècle. Dans le Famesi, la crypte bouddhique la plus célèbre a été découvert ce Moulin à moudre le thé datant de 869, une pièce similaire est présentée datant de 872. La préparation est méthodique et requiert une certaine application. Le thé est bien apprécié du monde bouddhique, tandis que les taôistes lui préfèrent l’alcool. Ici dans Lu tong infusant le thé, Ding Yunpeng rapporte l’histoire des 7 bols de thé où sont décrits précisément leurs effets sur le corps. Au 6ème déjà, se sent devenir immortel, et il confie qu’il ne peut en dire davantage.
Le thé traduit son usage dans la production céramique. Entre le 6ème et le 10ème siècle, l’économie verra éclore le commerce de poteries en grès, peu raffinées, l’objet doit bien tenir en main. Ce sera ainsi des pots, des bols ou des verseuses. On verra aussi de la proto-porcelaine, qui contient du kaolin mais qui est essentiellement composée de grès. Les formes sont simples, et s’autorisent parfois de légers motifs : pétales de lotus ciselées par exemple. Les verseuses du monde lamaïque en métal et cuivre influencent les formes des théières. L’Ancienne route du thé et des chevaux, qui passe notamment par la Mongolie et la Haute-Asie, de l’époque des Tang et active jusqu’au 20ème siècle, verra naître ces créations adaptées à leur mode de consommation spécifique. Ici sont aussi présentées des porcelaines du 18ème siècle dont les motifs imitent des matières, comme le bois, à la demande des empereurs mandchous de la dynastie des Qing (1644-1911). Les céramistes chinois s’inspirent ainsi des créations de Haute-Asie.
© chercheur de théhttp://www.chercheurdethe.com/2012/01/06/une-galette-des-rois-de-pu-er/
Le thé est conditionné sous forme de galettes, il est compressé ainsi pour être transporté.il devient dès lors une véritable monnaie d’échange et alimente, le circuit d’échange appelé L’Ancienne route du thé et des chevaux. C’est ainsi que le Tibet et la Mongolie deviennent de grands consommateurs. C’est en retour qu’ils vont fournir aux chinois leurs plus belles bêtes, étant éleveurs de chevaux hors pair. La route n’est pas aisée dans ces territoires, elle traverse le Yunnan, le Sichuan, le Tibet, le Qinghai et la Mongolie. Mais elle sera toujours pratiquée jusqu’aux alentours de 1911.
Le thé battu
Au 11ème siècle, on va commencer à boire du thé vert qui sera battu (et plus tard repris au japon). Les propriétés d’éveil vont être exacerbées par cette nouvelle méthode qui consiste à mettre dans un bol le thé vert moulu en une fine poudre, puis à le battre tout en le mélangeant avec l’eau bouillante. Le résultat donne une sorte d’émulsion qui sera la nouvelle manière d’apprécier le thé.
La dynastie des Song (960-1279) défend désormais le breuvage. Il devient très populaire et il est réputé pour stimuler la créativité. En Chine, la boisson est répandue et l’industrie céramique prospère au cours des 12ème et 13ème siècles. L’apparence des objets est sobre, notamment lorsque l’on voit les « céladons », ces grès chinois aux nuances satinées. Les bols dit « clairs de lune » sont aussi d’apparence simple, et d’une couleur pastel et translucide. On dit que « le thé a inventé la porcelaine ». Leurs existences sont corrélées car ils sont tous les deux les révélateurs de l’autre. La porcelaine a été découverte en Chine méridionale. Les premières pièces sont des qingbai ou des blancs-bleutés, blancs couverts d’une vitrification azurée. Ces pièces sont très appréciées en Chine. Puis on passe des grès, aux temmoku noirs. La couleur des poteries fait ressortir la mousse blanche du thé battu. Les motifs légers vont être travaillés : tantôt en goutte d’huile ou en fourrure de lièvre. Ils se caractérisent par leur brillance et leurs glaçures maîtrisées.La ritualisation du thé n’est pas encore connue en Chine, mais elle prend naissance au Japon. Les premiers théiers y sont plantés et acclimatés. A Kyoto le temple Daïtoku fondé en 1319 devient le berceau de la cérémonie du thé (chanoyu). Pour démonstration, la maquette du Pavillon de thé bouddhique du Musée Guimet (un peu plus haut dans la rue) est présenté. Il est fidèle aux pavillons du Japon hormis le toit de chaume qui a été remplacé par des tuiles en titane. Il comprend deux pièces, l’une destinée au service, l’autre à la célébration de la cérémonie. Il peut contenir 7 personnes. Les cérémonies du thé étaient un moyen pour les shoguns de laisser de côté les tensions issues des conflits militaires. Le thé devient alors un élément de médiation culturelle important.
Dans cette section, est présenté un ensemble de très beaux objets qui participent à la cérémonie : pot à poudre (en grès au couvercle en ivoire), des netsuke (figurines portées à la ceinture pour faire contrepoids) représentant les maîtres du thé, coupe à cendres (en raku rouge) ou boites à encens. Dans la lignée des maîtres de thé, c’est Sen no Rikyû (1522-1591) que l’on peut retenir. Il défend le style wabi, cette simplicité mélancolique et encourage la création des fameux raku, bols à thé à la surface renflée qui flatte le toucher et dont les imperfections font référence à l’esprit ancien. Il invite à considérer chaque rencontre autour du partage d’un thé comme un instant unique qui ne reproduira plus.
Le thé infusé
© Christie’s Images Ltd. 2011Le thé que nous connaissons est né suite à un décret impérial en 1391, au début de la dynastie des Ming. Il impose un retour à la simplicité. Désormais, les feuilles de thé sont cueillies et séchées puis torréfiées. C’est en les plongeant dans l’eau qu’elles révèlent tout leur parfum et leur arôme. Cette façon de faire est appréciée des lettrés qui peuvent l’effectuer au milieu de leurs lectures pour stimuler leur esprit. Les céramiques Ming, sont des céladons de Longquan qui cèdent leur place aux porcelaines bleu-et-blanc de Jingdezhen, produits dans la manufacture impériale. C’est le fameux bleu de cobalt que l’on appelle bleu de Chine par abus de langage.
A ce moment on voit apparaitre l’objet théière, le plus souvent en grès ou en porcelaine. Les réussites les plus abouties sont l’œuvre des potiers de Yixing au Jiangsu dont la gamme varie du jaune au noir, et du rouge au brun. Au 18ème siècle, l’empereur Kangxi contemporain de Louis XIV, est séduit par les émaux venus de France. Il demande que l’on copie cette technique.
© Thierry Ollivier et le Musée GuimetCe bol en porcelaine fine porte à la base la marque de l’empereur en émail bleu dans un double encadrement. Le revêtement extérieur est un émail jaune et franc orné de compositions florales entrelacées.
La suite de la présentation se compose d’objets en couleurs : l’émail rose dit pourpre de Cassius, venus des Pays-Bas par exemple, et d’objets de commandes d’Europe qui seront produits à partir de la seconde moitié du 17ème siècle. Au 18ème siècle, ce sera directement à Rouen, Sèvres, Delft ou Meissen que les services à thé seront fabriqués.
A la fin de l’exposition, quelques pièces du reste du monde sont présentées en rapport avec le thé et sa dégustation. Ils proviennent du Maroc, de Russie ou d’Inde.
Film avec Maître Tseng Yu Hui, De Tran Anh Hunh.
Cérémonie et dégustation du thé, d’une des plus grandes gouteuses de thé. Les images de la cérémonie sont montées avec celle de fruits, de fleurs etc… qui sont évoqués dans la dégustation.
Tout cela donne envie de saisir tous les arômes de notre prochaine tasse !
A voir :
Le Thé – Histoires d’une boisson millénaire
Prolongation jusqu’au 28 janvier 2013
6, place d’Iéna
75116 Paris