Desh d’Akram Khan au Théâtre de la Ville (Paris 4)

Publié le 30 décembre 2012 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

Comme une ouverture, Akram Khan apporte la lumière sur scène. Silhouette sombre portant une lanterne. C’est ici un code connu en Inde, la lumière est respectée, elle est assimilée à la vie. C’est après avoir sonné le début du spectacle en assénant de lourds coups de masse sur un gong qui se confond avec le sol de la scène, que l’on comprend qu’il fait écho à la terre (Desh), qu’elle soit un bien de propriété ou plus largement celle sous la ville.

C’est d’ailleurs là qu’il se retrouve, le son du gong s’est transformé en bruits de travaux, dans la magnifique bande son signée Jocelyn Pook, et des klaxons les accompagnent. La danse semble évoquer le passage, les gens qui traversent, les mouvements des véhicules, avec ces gestes saccadés et ses mouvements ondulants des bras. Les jeux de lumières de Michael Hulls matérialisent cette réalité.

Derrière cette vie quotidienne, il y a la rencontre entre l’existence habituelle de l’Occident et celle du Bengladesh. Dans ce solo, en effet,  Akram Khan raconte la découverte récente du pays de ses parents, de ses origines, pour lui qui a grandit à Londres. De son voyage au Bengladesh en 2011, il retranscrit à la fois les gestes, les mimiques, l’accent (dans les moments parlés), les mouvements et les façons de penser. Mais il sait aussi rendre compte de l’histoire du pays : la partition du Pakistan, les années de luttes et la guerre d’indépendance.

Il est avant tout conteur dans cette création éblouissante qui nous transporte ailleurs et qui entre en résonance avec nous. Ses récits sont multiples : il déroule sous nos yeux l’atmosphère des rues bengali : la mendicité, la circulation folle mais aussi des réalités actuelles, les centres d’appels qui sont une des principales sources d’emploi et qui font même travailler des enfants de 12 ans, les valeurs ancestrales et la préciosité de la terre, la cruauté des soldats qui mutilent même des vieilles personnes. Il entrecoupe l’histoire de bribes de son enfance, où les valeurs traditionnelles ne supportent pas l’attrait de la modernité, avec ses icônes occidentales, de tourbillon de la mode, aux yeux d’un Akram Khan adolescent. Son récit est celui du voyage au pays, d’un retour aux sources qui le déconnecte de la technologie pour le rattacher à la terre. Celle-là même dans laquelle ses mouvements s’enracinent, lorsqu’il laisse aller sa créativité qu’il appelle son « flow » dans sa chambre de jeune homme. Ses frappés de pieds font appel à cette terre d’origine, celle de ses racines, avec le khatak.

C’est la quête de l’identité qui est au cœur du spectacle.

C’est elle qui est le moteur du voyage, c’est elle la clé des discussions avec son père, cette figure omniprésente qui plane sur la représentation. Il est magnifiquement personnifié par une astuce proposée par le chorégraphe Damien Jalet, où le danseur dessine sur son crane un visage, et décrit des mouvements qui lui confèrent une existence de marionnette. Très belle performance à laquelle on croit en suivant les mouvements de cette tête flottante qui rappelle à l’ordre, à la terre, et aux racines.

Les gestes sinueux se réfèrent souvent à ceux de la danse indienne et évoquent les mouvements de l’eau, pour ce pays menacé par l’océan. Cet élément fascine le danseur qui confie « Je suis fasciné par l’eau à l’intérieur de la terre, c’est le noyau dur de ma façon de penser et de bouger – fluidité à l’intérieur de la forme… – , et le Bengladesh possède les deux éléments en abondance, l’eau et la terre (…) J’ai eu envie d’explorer une histoire qui rassemble la tragédie et la comédie des vie dans ce pays »

On oscille entre l’Europe et le Bengladesh en  prenant la mesure de cette dualité qu’Akram Khan doit à ses origines. Celle de la danse traditionnelle du Nord de l’Inde (le Khatak) et celle de la danse contemporaine ou son choix de la danse qu’il préfère à la restauration, celle de l’eau et de la terre, ou encore entre la réalité du présent (l’histoire du centre d’appels sollicité parce qu’Akram Khan ne parvient plus à faire marcher son téléphone portable) ou celle du passé, ou celle du réel et de l’imaginaire.

C’est cette dernière dimension qui est convoquée pour parfaire le tableau, pour décrire la forêt d’évocations du Bengladesh, avec des passages merveilleux où Akram Khan évolue dans une jungle faite en dessins-animés grâce au designer Tim Yip ou dans des flots de bandelettes de tissus blanc la tête à l’envers. Le troisième personnage est comme son père, une fillette imaginaire, tantôt invisible tantôt dessin animée qui le chahute et le questionne, introduisant la réalité actuelle avec sa mode et ses icônes. Qui est-elle ? Un trublion attendrissant qui devine la vie, une autre génération à qui il faut montrer la voie.

De ce ballet complet, Akram Khan occupe l’espace tout entier, en variant les tableaux, et fait oublier le temps. Ces messages en disent long et font écho en nous profondément. Un magnifique moment qui ouvre la réflexion…

A voir :
DESH, d’Akram Khan
Jusqu’au 2 Janvier 2013
Au Théâtre de la ville
2 Place du Châtelet
75004 Paris

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