La fille qui aurait dû potasser plus assidûment les manuscrits de Chilam Balam

Par La Chose

Parce qu’une blogueuse glamour et populaire ne peut décemment pas épargner à ses lectrices, avides de sensations fortes par procuration, cette soirée de Réveillon parisienne au cours de laquelle elle a forcément croisé deux ou trois célébrités qu’elle a tutoyées sans façon, comme Dave, Nadine de Rothschild ou les frères Bogdanov.

Avec Loutre, en général, le 31 décembre, on fait des choses très festives et très osées, comme acheter une bouteille de champagne et dévaliser le rayon « apéritif » de chez Picard. Après, on s’enferme dans notre maison, on chauffe plein de mini-pizzas et de petites choses très chères et pas très nourrissantes, et on se met dans le canapé pour vomir des insanités à propos de Patrick Sébastien. Le plus souvent, à minuit, on dort depuis longtemps et donc on loupe le compte à rebours, et après on oublie d’appeler nos amis, de leur envoyer des SMS ou de pourrir leurs murs Facebook avec des GIF animés de petits rennes qui dansent et qui copulent, et puis ça fait des histoires et on ne parle plus à nos amis pendant quelques semaines (mais après tout redevient normal et on recommence à s’insulter sur les réseaux sociaux).

Cette année, on n’avait pas prévu de faire autre chose, surtout à cause du coup des Mayas et des pyramides mexicaines qui prédisaient le futur encore mieux que Paco Rabanne, et donc comme il allait pleuvoir des météorites, des grenouilles et des albums de Zaz et de Vincent Delerm, on voulait pas trop s’embêter à préparer plein de choses pour le Réveillon. Mais là-dessus, les parents de Loutre nous ont téléphoné.

Les parents de Loutre, ce sont des gens formidables qui habitent en Normandie, dans une ville très jeune et très dynamique où il y a une très bonne équipe municipale de belote, un hôpital moderne où on pose essentiellement des prothèses de hanche, un club de football qui est sponsorisé par la jardinerie-graineterie locale, une antenne du Pôle Emploi très fréquentée et un cimetière très fréquenté aussi. On aime beaucoup aller les voir à cause du cake aux olives et au thon que fait la mère de Loutre chaque fois qu’on est là, et aussi à cause de Gérard, le labrador du père de Loutre, qui est très vieux et très gentil même s’il a quelques problèmes d’incontinence urinaire et fécale.

Moi j’ai toujours été un peu jalouse de Loutre à cause de sa famille qui est si nombreuse, avec des oncles, des tantes, des cousins et des ancêtres un peu partout, et tous ces gens-là se retrouvent pour les baptêmes et pour les mariages. Alors que dans ma famille à moi, on est cinq ou six, et de toute façon, quand on se retrouve tous ensemble, on se met à parler de choses politiques, et puis du Proche Orient, et puis des nazis, et puis de comment les harengs marinés au vinaigre de l’arrière-grand-mère étaient quand même meilleurs que ceux de la cousine Rachel, et puis on se fout sur la gueule, et puis la tante Esther dit qu’elle préférerait être morte, la cousine Rachel répond qu’elle peut arranger ça, le cousin Benjamin leur demande de la fermer, ma mère s’arrache la peau autour des ongles et puis tout le monde finit par se réconcilier autour d’une boîte de Xanax.

Pour le Réveillon, les parents de Loutre ont beaucoup insisté pour inviter aussi ma maman, qui est dans une phase très optimiste et positive grâce à la Paroxétine et à l’Alprazolam. Du coup tout le monde s’est entassé dans la voiture et on s’est mis en route, et heureusement que le trajet n’était pas trop long, rapport à Ted Bundy qui avait des flatulences à cause des chocolats de Noël, et à Eva Braun, qui vocalisait  beaucoup dans sa cage, ça faisait comme un concert des voix bulgares qui aurait été donné par la Wehrmacht.

Dans la maison des parents de Loutre, on a retrouvé sa mère, qui est quelqu’un de très gentil même si parfois elle est un peu stressée, et puis son père, qui a rigolé pour la dernière fois vers 1971, et aussi son frère, qui ouvre la bouche pour parler seulement les jours impairs des années bissextiles (à condition que l’alignement de Vénus et Jupiter forme un angle de 45 degrés), et puis sa grand-mère, qui a 92 ans et qui triche aux cartes quand elle a un coup dans le nez (mais qui pleure tout le temps depuis qu’elle est en maison de retraite avec des vrais vieux), et puis son oncle, qui est un Pédégé très riche et très gentil même si sa femme ressemble à Nadine de  Rothschild, et puis une tante qui est mariée à un élu UMP local, et puis le cousin de Loutre qui est le fils de sa tante (je sais pas si tu suis) et qui a un calendrier « Ensemble, tout devient possible » dans sa chambre et aussi une montre à l’effigie de Patrick Balkany, et puis d’autres cousins qui ont l’air de sortir de La vie est un long fleuve tranquille côté Lequesnoy (mais c’est pas de leur faute, c’est parce qu’ils ont été élevés à Versailles et qu’on leur faisait porter des culottes courtes en plein hiver pour aller à la messe).

Pendant le dîner, j’étais assise entre le père et la grand-mère de Loutre, qui regardaient dans le vide, et juste en face de ma maman, qui regardait dans le vide aussi, et ça me donnait l’impression d’être à une veillée funéraire chez des paysans taciturnes au fin fond du Larzac, où les gens mangent leur soupe en silence avec seulement le bruit des cuillères en bois qui raclent le fond des bols en terre cuite. J’avais très envie de leur proposer une petite tournée générale de Venlafaxine au whisky, mais à ce moment-là j’ai entendu la mère de Loutre hurler, et quand j’ai regardé elle était en train de s’arracher la peau des joues en faisant des gros yeux, parce que Phlegmon avait pris un stylo Bic pour faire des dessins sur la nappe en papier, et la maman de Loutre a toujours peur que Phlegmon arrive à s’énucléer avec le ressort du stylo (je t’ai dit qu’elle était un peu stressée?).

Après l’entrée (j’étais très surprise parce que c’était un cake aux olives et au thon), le cousin de Loutre (qui avait mis une cravate avec la tête de Patrick Devedjian dessus) a commencé à dire des choses à propos de la France qui allait très mal quand même, et des assistés qui nous prenaient tous nos sous pour s’acheter des écrans plats et même des consoles de jeux, et moi je lui ai demandé s’il avait finalement trouvé un médicament qui marchait pour son acné (qui est très, très virulente), et il m’a demandé si ça m’amusait de défendre les gauchistes qui ruinaient la France, et j’ai dit que je voyais pas le rapport avec son acné, et puis la tante de Loutre (celle qui ressemble à Nadine de  Rothschild) a essayé de changer de sujet en nous demandant joyeusement si on voulait venir leur rendre visite dans leur maison de Deauville parce qu’ils avaient agrandi la piscine et la pool house, et puis la grand-mère de Loutre a crié « la paille au cul et le feu dedans! » et elle a fondu en larmes sans raison, et puis juste après le papa de Loutre a commencé à pleurer en nous demandant si on se rendait bien compte du mal qui était fait à tous les petits chiots et les petits chatons qui sont vendus dans les animaleries, et puis ma mère a éclaté en sanglots en disant que tout ça, c’était la faute des nazis et aussi du complexe d’Oedipe, et puis la mère de Loutre a commencé à grignoter discrètement des pastilles de Cimétidine pour calmer son ulcère parce que Phlegmon était sortie dans le jardin sans enfiler son bonnet et ses gants. Le papa de Loutre, la grand-mère et ma maman continuaient à pleurer, Gérard (c’est le labrador) venait de s’oublier sous la table, ça commençait à être un peu le bordel à table et aussi à ne pas sentir très bon à cause de Gérard et de la dinde qui avait eu un peu chaud dans le four. Loutre marmonnait des choses à propos de la fin du monde qui aurait vraiment dû avoir lieu et des Mayas qui sont vraiment des connards aussi nuls en prévisions que les mecs de Météo France et les instituts de sondages, et j’avais très envie de faire pipi et de rentrer dans ma maison pour faire une partie de n’importe quel jeu vidéo où il faut tuer un maximum de gens. C’est à ce moment-là que le frère de Loutre, qui n’avait pas décroché un mot depuis le début de la soirée, a crié très fort « 2012, année de la loose, 2013 année de la BAISE! », et puis il est retombé dans le silence.

A minuit, tout le monde s’est embrassé avec beaucoup de bonheur, le papa de Loutre m’a serrée très fort en pleurant et en me félicitant de ne pas acheter de petits chiots dans les animaleries, ma maman m’a serrée très fort en pleurant et en me demandant pardon pour tout le mal qu’elle avait fait depuis 1946, le cousin de Loutre m’a serrée très fort et m’a proposé à l’oreille d’aller me faire mettre chez les terroristes islamistes qui volent des pains au chocolat, la maman de Loutre n’a pas pu me serrer très fort parce qu’elle était occupée à s’arracher les cheveux en regardant Phlegmon essayer ses nouveaux rollers, la grand-mère de Loutre était bourrée et n’a serré personne dans ses bras, et puis tout le monde s’est souhaité une bonne année.

Moi j’ai toujours été un peu jalouse de Loutre à cause de sa famille qui est si nombreuse.
Mais maintenant ça va mieux.