http://www.lepoint.fr/monde/syrie-les-chretiens-de-damas-vises-05-01-2013-1608811_24.php
La manière dont la presse rend compte du conflit syrien est tout à fait orientée. Tout d’abord, il faut savoir que l’article du Point repris ci-dessus, vous le retrouvez mot pour mot dans une série impressionnante de journaux (tapez « tir d’obus sur un quartier chrétien de Damas » dans Google et vous verrez combien de journaux sont concernés). On a donc bien affaire à un matraquage de la pensée. On veut faire croire que si tout le monde dit la même chose, c’est que c’est forcément vrai. Cette tactique a été bien utile pour discréditer de régime de Damas et nous faire croire que l’opposition était constituée de citoyens syriens pacifiques épris de démocratie.
Petit à petit, quand il devint évident que les « opposants » employaient les armes d’une manière aussi efficace que l’armée syrienne, il a bien fallu changer de discours. On a dit alors que le conflit se militarisait devant la dure répression du régime. Autrement dit : la lutte armée de l’opposition est légitime (notez en passant que la lutte armée du Hamas, qui envoie des roquettes sur Israël, n’est pas présentée de la même façon puisque là on nous dit en gros qu’Israël a le droit de se défendre)
Ce qu’on s’est bien gardé de nous dire, c’est que les « opposants » légitimes syriens ont vite été entourés et dépassés par de nombreux djihadistes venus des quatre coins du monde arabe. Il s’agit surtout « d’enragés de Dieu » qui ont déjà combattu un peu partout et dont un certain nombre sont directement issus des troupes d’Al Quaïda. Ces djihadistes sont armés par l’étranger (les pays arabes que nous soutenons comme l’Arabie et la Qatar). De plus, les services secrets américains, français et anglais, ainsi que certains éléments de l’armée de ces pays sont bien présents dans la région. Les conseillers russes, qui soutiennent Assad, ne manquent pas non plus, me direz-vous. Certes. Mais cela veut bien dire qu’on est en fait en présence d’un conflit entre la Russie et l’Occident et que ce dont il est question, c’est de se disputer la Syrie. Alors qu’on arrête de nous faire croire qu’il s’agit d’un conflit interne pour la démocratie. L’avenir du peuple syrien, tout le monde s’en moque. On a en Syrie des conseillers militaires et du matériel russes et en face un Occident belliqueux qui se sert de djihadistes fanatiques tout en leur fournissant des armes et un soutien logistique (les satellites américains doivent leur donner pas mal d’indications sur ce qui se passe sur le terrain, comme les satellites russes doivent donner le même genre de renseignements aux troupes d’Assad, d’ailleurs).
Mais revenons à notre article du Point. Qu’un obus soit bien tombé sur un quartier chrétien, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais alors qu’il aurait fallu avouer
- que les djihadistes n’ont rien de simples « opposants »
- qu’ils ne sont pas seulement armés d’armes légères mais aussi d’armes lourdes
- qu’ils essaient d’impliquer dans le conflit les populations palestiniennes en exil en Syrie et les chrétiens syriens eux-mêmes, ces deux communautés étant restées jusque maintenant en dehors des affrontements (soit en prenant à contrecœur le parti de l’armée d’Assad qui était la seule à pouvoir les protéger, soit en constituant eux-mêmes des milices citoyennes pour empêcher les djihadistes d’envahir leurs quartiers)
- Que les djihadistes ont bien dit qu’ils massacreraient tous les Alaouites et mettraient les Chrétiens dehors
Voilà ce que l’article du Point (ou des autres journaux qui recopient sans réfléchir les dépêches de l’AFP) ne pouvait pas dire sans heurter la sensibilité de ses lecteurs. Le public occidental ne comprendrait pas pourquoi nos gouvernements soutiennent des islamistes enragés dont le programme est de massacrer les civils innocents qui ne seraient pas de la même confession qu’eux (sont visés les chiites, les alaouites, les maronites et les chrétiens).
Alors, plutôt que d’avouer que des rebelles étrangers que nous soutenons tirent des obus sur une population civile chrétienne innocente, on se contente de citer le fait sans rien dire de l’origine du tir. A ce stade, un lecteur inattentif qui ne suit pas le conflit de près pourrait même s’imaginer, s’agissant d’un obus, que c’est l’armée syrienne qui a tiré, ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais il y existe heureusement des lecteurs attentifs, alors, après avoir relaté la chute de cet obus sans en avouer l’origine, on noie l’information et on nous dit par exemple
- que « les troupes (syriennes) ont pilonné durant la nuit Daraya, une localité qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines.
- Alors que le quotidien Al-Watan, proche du pouvoir, affirmait dans son édition de vendredi que la ceinture sud de Damas était désormais "sécurisée", de violents combats y ont eu lieu dans la nuit, faisant quatre morts parmi les rebelles »
Donc le tir des djihadiste contre une population civile innocente n’est finalement qu’un tir de plus dans un conflit qui s’éternise. Mieux : on insiste sur l’impuissance de l’armée à s’imposer sur le terrain (cf. les mots «qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines »). Puis on discrédite les organes de presse de l’ennemi : Al-Wattan avait annoncé qu’une zone était sécurisée alors que de violents combats y ont de nouveau lieu ». De cette information, le lecteur occidental retire l’impression que l’armée syrienne est à bout de souffle, qu’elle n’en peut plus, que la chute du régime est proche, et que même dans les zones « sûres » les opposants sont capables de continuer les combats. S’ils meurent, c’est en martyrs de leur cause (il y a eu quatre tués).
On aurait pu présenter les choses autrement. Dire que même dans un quartier « sécurisé » il est facile de s’introduire et de faire exploser une voiture. Ou dire que l’armée syrienne a été formée pour se défendre contre Israël et qu’elle n’était pas préparée à des combats de rue menés par des étrangers qui s’infiltrent parmi la population syrienne dont ils se servent comme bouclier humain. Si l’armée ne fait rien, les djihadistes massacrent les civils non sunnites, si elle tente de reprendre le quartier, elle tue des innocents et on aura alors un beau prétexte pour que l’Occident intervienne (comme il l’a fait en Libye).
Voilà tout ce que l’article ne dit pas. Mais il continue en ridiculisant le discours officiel du régime (comme cet aéroport qui serait fermé à cause du brouillard alors qu’en réalité les djihadistes l’ont une nouvelle fois investi). Finalement, il conclut en citant le nombre de morts (toujours les chiffres cités par l’opposition, qui a intérêt à minimiser ses pertes propres et à gonfler le nombre de victimes innocentes. Elle compte donc probablement ses djihadistes morts au combat parmi les victimes civiles innocentes).
Bref, dans nos pays démocratiques et libres, on aura compris que notre presse est orientée selon les intérêts de certains (et qui ne sont ni ceux des citoyens occidentaux ordinaires ni ceux des citoyens syriens). Ce qui m’inquiète, c’est que la liberté de la presse est un des piliers de notre démocratie et on a souvent reproché à juste titre aux régimes dictatoriaux d’en faire un outil de propagande. Il serait donc grand temps de se poser des questions sur la nature réelle de notre régime politique.
Chrétiens syriens (Crédit photo AFP)